Emma Alberta Laumondais naît le 11 décembre 1900 à Royan (Charente-Inférieure / Charente-Maritime – 17), chez ses parents, Auguste Lemondais, 29 ans, jardinier, et Fémina Favre, 32 ans, son épouse, domiciliés au 77 rue des Gardes.
Le 8 octobre 1921 à Prignac (17), petit village (280 habitants) situé entre Matha au nord et Cognac au sud, elle se marie avec Roger Armand Bolleau, né le 19 avril 1898 dans ce village. Son époux a été incorporé dans l’infanterie du 2 mai 1917 au 5 juin 1920, participant à l’occupation des Pays rhénans après l’armistice. Le père de Roger est receveur-buraliste. Roger est devenu employé des Postes et télégraphes à l’agence postale.
La fille unique des Bolleau, Hélène, naît le 6 avril 1924 à Royan, où ils s’installent définitivement en 1936, au 11, rue des Clos-Fleuris (villa “Ma retraite” ?).
Roger Bolleau est alors facteur-chef à Pontaillac, quartier résidentiel de Royan, sur le front de mer.
Avant guerre, Roger Bolleau est militant du parti communiste.
En 1940, de lui-même – car il n’a à cette époque plus aucune liaison avec le Parti communiste interdit -, il comprend qu’il faut se préparer à la lutte contre l’occupant. Il ramasse les armes que l’armée française abandonne dans sa débâcle. Aidé seulement de sa femme, il continue à faire paraître La Voix des Charentes dont plusieurs numéros, tirés à la ronéo, sont distribués “sous le manteau”.
Les Bolleau recueillent de l’argent pour les emprisonnés et leur familles, forment le groupe “Germain” (selon le pseudonyme de Roger), premier groupe de Francs-tireurs et partisans (FTP) en Charente-Maritime. Hélène, qui n’a pas encore dix-huit ans et qui est secrétaire (elle a son brevet élémentaire et son brevet commercial), dactylographie les stencils permettant l’impression des journaux et tracts clandestins sur une machine ronéo.
Roger Bolleau est arrêté par la police française le 7 mars 1942, en revenant de Saintes (17) où il a rencontré Octave Rabaté, responsable politique de la région des Charentes et de Loire-Inférieure du PC clandestin, chez Alexandre Lemasson, responsable du secteur de Saintes, et son épouse Marcelle (31670).
En même temps que Roger, les gendarmes arrêtent Hélène.
Simultanément sont arrêtés Léonce Laval, professeur de Lettres, et Robert Dartagnan, professeur de dessin, au collège Émile Zola de Royan. Tous les trois étaient “fichés” pour avoir apporté leur soutien à la République espagnole. Le nom de Robert Dartagnan figurait sur une liste du Parti communiste clandestin saisie sur une des personnes arrêtées dans le cadre de l’“affaire Pican-Cadras”, déclenchée par la brigade spéciale anticommuniste (BS1) des Renseignements généraux à Paris. Dartagnan est conduit à Bordeaux (vérifier pour Laval et Bolleau).
Puis ils sont transférés à Paris, au dépôt de la préfecture de police.
Remis aux “autorités d’occupation”, ils seront ensuite incarcérés à la prison militaire du Cherche-Midi, réquisitionnée par l’occupant, à l’angle de cette rue et du boulevard Raspail (Paris 6e) ; le 13 avril pour Dartagnan…
Six jours après son arrestation, Hélène est relâchée. Mais elle ne rentre pas à la maison. Appartenant au Front national des jeunes, elle vivra désormais dans la clandestinité. C’est à elle qu’incombe de maintenir les liaisons du groupe Germain avec les autres groupes. Mais le terrain n’est pas sûr pour elle en Charente.
Elle passe en Deux-Sèvres et en Vendée. Distribution de tracts, collectes au profit des militants, imprimerie (Voix des Charentes et aussi Jeunesse libre de Charente-inférieure), telles sont ses tâches. Elle intervient ensuite à Angers, où elle participe à la campagne de non-livraison du blé aux Allemands.
Puis ses chefs décident de la muter â Paris. Avant de se rejoindre cette nouvelle affectation, elle passe à Royan pour prendre des vêtements et des tickets d’alimentation.
Hélène Bolleau y est arrêtée le 7 août 1942, par des policiers allemands accompagnés de policiers français. Immédiatement emprisonnée à La Rochelle, elle le fait savoir à sa mère qui, depuis l’arrestation de son mari, fait mine de n’avoir aucune activité suspecte.
Le 24 août Roger Bolleau, Robert d’Artagnan et Léonce Laval sont transférés parmi cinquante-trois détenus au fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122, devenu « réserve d’otages » de la région parisienne.
Emma Bolleau est arrêtée le 15 septembre 1942, en apportant un colis à sa fille en prison : au cours de son interrogatoire, un prévenu avait déclaré ne pas avoir été en contact avec Hélène mais avec sa mère.
Le 21 septembre 1942, Roger Bolleau, Robert d’Artagnan et Léonce Laval sont fusillés comme otages dans la clairière du fort du Mont-Valérien (Seine / Seine-Saint-Denis) parmi quarante-six détenus du fort de Romainville [1].
Emma Bolleau rejoint sa fille à la prison militaire allemande de Lafond à La Rochelle (installé dans un hôpital psychiatrique évacué et réquisitionné), et toutes deux sont transférées le 30 octobre à la Maison d’arrêt d’Angoulême, 112 rue Saint-Roch.
Le 18 novembre 1942, elles sont transférées au fort de Romainville où elles sont enregistrées sous les matricules n° 1222 et 1223, en même temps que la jeune Marcelle Bureau (1224), Germaine Drapron (1225) et Alice Varrailhon, toutes deux de Saintes (1227).
Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne : leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » (transférée à Compiègne le 22.1).
Le lendemain, Hélène et Emma Bolleau font partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept du quartier allemand de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police).
Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites en camions à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.
Le lendemain matin, après avoir été brutalement descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
Hélène Bolleau y est enregistrée sous le matricule n° 31807 et Emma sous le matricule 31806. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie de la police allemande : vues de trois-quart avec un couvre-chef (foulard), de face et de profil (les photos d’immatriculation d’Hélène et Emma ont été retrouvées).
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
Emma Bolleau “tient” cinquante-deux jours ; à Birkenau, c’est beaucoup. Charlotte Delbo explique : « Si aucune mère n’est revenue, c’est parce que les mères souffraient doublement : en elles-mêmes, en leur fille pour qui elles ne pouvaient rien, qu’elles devaient laisser battre sans broncher, qu’elles ne pouvaient plus protéger, à qui elles avaient bientôt le sentiment d’être à charge. »
Emma Bolleau contracte la dysenterie, mourant de soif. « Au marais, je l’ai vue boire dans le pas des chevaux l’eau boueuse qui remontait du sol », relatera sa fille Hélène. Cette soif l’empêche de manger ; elle devient squelettique.
Emma Bolleau meurt le 20 mars 1943, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) ; elle n’a que quarante-deux ans.
Sa fille Hélène survivra et se mariera avec Paul Allaire en 1945… (voir la page de ce site consacrée à Hélène Allaire).
À une date restant à préciser, dans un quartier pavillonnaire de Royan, a été baptisée une rue Roger et Emma Bolleau ; « Roger, résistant royannais, fusillé au Mont Valérien le 21 septembre 1942 – Emma, résistante royannaise, déportée au camp d’Auschwitz, décédée le 20 mars 1943 ».
Notes :
[1] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN”, jusqu’à son changement d’appellation le 1er juin 2018).
[2] Les fusillades d’otages du 21 septembre 1942 (Mont-Valérien / Souge) :
Le 16 septembre 1942, la Sipo-Sd – qui a alors pris en charge la politique des otages initiée par le haut commandement militaire – décide d’organiser des fusillades massives en représailles de plusieurs attentats organisés par la résistance armée contre les forces d’occupation depuis le 11 août précédent, date des dernières exécutions. Au moment de la décision, le nombre de « victimes expiatoires » (Sühnepersonen) est fixé à quatre-vingt-quatre selon un barème multipliant par deux le nombre des militaires allemands tués ou blessés lors de ces actions. La région parisienne ne disposant pas d’autant d’otages fusillables, il est décidé de prendre des hommes détenus à Bordeaux (deuxième grande ville de la zone occupée), soit pour les conduire au Fort de Romainville, camp d’otages, soit pour les exécuter au camp de Souge ; c’est la deuxième solution qui sera retenue pour des raisons de “sécurité”.
Avant même les exécutions, le Docteur Horst Laube, responsable de la section II-Ju de la Sipo-SD en France, considère qu’il « ne serait pas recommandé de fusiller tout de suite tous les otages disponibles à Paris, afin qu’à l’avenir dans les cas imprévus, on puisse trouver à Paris des otages à tout moment ».
Entre temps, le 17 septembre à 21 h 55, la résistance communiste frappe le grand cinéma Rex, boulevard Poissonnière à Paris, réservé aux troupes d’occupation (Deutsches Soldatenkino) en faisant deux morts et dix-neuf blessés. Dans la mesure où le principe en avait déjà été fixé, la fusillade du 21 septembre n’est donc pas une conséquence directe de l’attentat du Rex, mais celui-ci augmente le nombre d’otages désignés, le “complément” étant trouvé à Bordeaux.
Le 18 septembre, Karl Oberg, chef supérieur des SS et de la police allemande en France depuis mai 1942, arrête : « Dans les derniers jours et malgré des avertissements exprès, des attentats ont à nouveau été commis par des criminels communistes contre des membres de l’armée allemande et des civils allemands. C’est pourquoi j’ordonne en représailles l’exécution de 116 Français dont 70 à Bordeaux et 46 à Paris, lesquels ont été trouvés coupables d’activités antiallemandes ou communistes ».
Le 19 septembre 1942, un avis du chef supérieur des SS et de la police allemande en France est publié dans les quotidiens auxquels les internés du fort ont indirectement accès : « Par suite d’attentats commis par des agents communistes et des terroristes à la solde de l’Angleterre, des soldats allemands et des civils français ont été tués ou blessés. En représailles pour ces attentats, j’ai fait fusiller 116 terroristes communistes, dont la participation ou la complicité à des actes terroristes ont été prouvées par des aveux. En outre, d’importantes mesures de déportation ont été prises. »
Le 20 septembre, dans l’après-midi, quarante-six hommes internés au fort de Romainvillle sont appelés pour être conduits à la casemate n° 17. Ils pensent d’abord partir en déportation, puisqu’il est écrit que la fusillade a déjà lieu. Ce n’est qu’une fois enfermés qu’on les informe qu’ils seront fusillés le lendemain.
Le 21 septembre 1942, entre 9 h 20 et 10 h 47, quarante-six otages sont fusillés par groupe de cinq puis de trois, dans les fossés du fort du Mont-Valérien à Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine). Le même jour, 21 septembre, soixante-dix otages, désignés parmi des détenus placés sous l’autorité de la Feldkommandantur 529 de Bordeaux, sont fusillés au camp militaire de Souge, commune de Martignas-sur-Jalle (Gironde).
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 45-47.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 115 (16125/1943).
Concernant Roger Bolleau : Serge Klarsfeld, Le livre des otages, Les éditeurs français réunis, Paris 1979, pages 174 à 179, fiche allemande, page 197.
Dany Allaire, fils d’Hélène Allaire (message 04-2013).
MÉMOIRE VIVE
(dernière modification, le 27-09-2024)
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