Lors de la mobilisation générale d’août 1914, son père est rappelé à l’activité militaire, rejoignant le 6e bataillon territorial du Génie à Verdun. Le 13 février 1917, il est détaché au dépôt de métallurgistes, 19 rue d’Estrée à Paris 7e. Trois jours plus tard, il passe aux Aciéries et Forges de Firminy (Loire). Le 1er juillet suivant, il passe au 86e régiment d’infanterie. Le 15 février 1919, il est mis en congé illimité de démobilisation et se retire impasse Langlois.
En mai 1920, âgée de 15 ans, Lucienne Lebreton entre dans la maison de couture d’Alice Bernard, au 40 rue François 1er (Paris 8e).
Le 12 janvier 1924 à Paris 18e, âgée de 18 ans, elle se marie avec Henri Joseph C., un fraiseur de 21 ans. Dans un premier temps, elle « reste dans [son] ménage ». Le père de Lucienne est devenu employé du Gaz de Paris.
Dès le mois de mars suivant, elle entre en qualité de bichonneuse à la société des Chaussures Ettrlich Frères, 15 rue de l’Évangile (Paris 18e). Fin février 1925, elle « reste dans [son] ménage » pendant deux mois. D’avril à novembre 1925, elle travaille pour la maison de Confection Delamarre, 15 rue d’Aboukir (Paris 2e). Puis, pendant sept mois, de nouveau, elle « reste dans [son] ménage ». En juin 1926, elle prend un emploi de cartonnière chez Faillot, 145 rue de La Chapelle (Paris 18e).
Le 28 novembre 1926, elle entre à la Société des transports en commun de la région parisienne (STCRP) comme receveuse stagiaire sur tramway, affectée en surnuméraire au dépôt Michelet. Elle sera titularisée le 1er février 1929.
Fin 1928, Lucienne C. habite au 44 rue Myrrha (Paris 18e).
Le 7 janvier 1930, elle demande à être affectée au dépôt de Lagny vers le 15 février, car elle va déménager au 5 place d’Aligre (Paris 12e).
Le 21 juin suivant, le tribunal civil de la Seine prononce le divorce de son couple. Le 12 juillet, à Paris 12e, Lucienne se marie avec Fernand Raymond Ginestet, né le 24 février 1903 à Aubin (Aveyron), machiniste (chauffeur d’autobus) à la STCRP. Le père de Lucienne étant retraité, les parents Lebreton sont partis s’installer dans les Côtes-du-Nord (Côtes-d’Armor), à Caurel.
Sous prétexte de faciliter la circulation automobile, le réseau des tramways d’île-de-France est démantelé au cours des années 1930 : le dernier tramway parisien circule le 14 mars 1937. À une date restant à préciser, Lucienne est nécessairement affectée au réseau des autobus, toujours comme receveuse.
Le 21 septembre 1938, elle est domiciliée au 5, rue de la Collégiale (Paris 5e, parallèle à l’avenue des Gobelins).
Le 11 mai 1939, le tribunal civil prononce le divorce du couple Ginestet, sans que celui-ci ait eu d’enfant. Le 4 novembre suivant, Lucienne Lebreton est mutée au dépôt de Saint-Mandé.
Le 1er janvier 1940, elle est mise à la retraite à sa demande. Deux mois plus tard, le 28 février, ayant demandé à reprendre du service, elle est affectée au dépôt de Bastille (groupe Est). Puis elle sollicite de nouveau sa mise à la retraite le 28 mai (elle a 35 ans…).
À partir de janvier 1942, elle est concierge au 9, rue de la Collégiale. Elle y vit maritalement avec Donato Lombardi, 41 ans, de nationalité italienne, travaillant chez Avignon Frères, 91 avenue de la République (Paris 12e).
Arrêtée sur dénonciation
Le 21 septembre 1942, René C., un habitant de l’immeuble se présente au commissariat de quartier du Jardin des Plantes pour signaler que sa concierge « se [livre] à la propagande communiste en plaçant des tracts communistes sous les tapis de l’immeuble ou en glissant des factums dans les sacs à provisions des locataires […]. » Le même jour, le commissaire du quartier écrit au directeur des Renseignements généraux de la préfecture de police pour lui transmettre cette dénonciation. Deux jours plus tard, ce courrier est transmis à la B.S.1 (brigade spéciale anticommuniste) « pour enquête, surveillance, et visite domiciliaire le cas échéant ». Le 2 octobre, un inspecteur se présente à la loge, où il trouve Donato Lombardi et la propriétaire de l’immeuble, qu’il interroge. Peu après, le policier discute sur le trottoir avec l’épouse du dénonciateur. Il semble que la police ne trouve pas de motif suffisant pour donner suite… Le couple de délateurs se tourne-t-il alors – ou simultanément – vers les services allemands ?
Le mardi 6 octobre suivant, à 8 heures du matin, Lucienne Lebreton est arrêtée par un Feldgendarme accompagné d’un policier français, « au bistro d’en face, où elle prenait son café, comme tous les matins » (selon le récit de Charlotte Delbo).
Le 10 octobre, Donato Lombardi signe une lettre dactylographiée adressée à la préfecture de police dans laquelle il se porte garant que les faits reprochés à sa compagne « n’ont pas existé ». Il suppose que “la” locataire a mis en cause Lucienne pour se venger « ou par peur qu’elle soit dénoncée comme faisant le trafic de fausses cartes de pain, Madame Lebreton lui ayant fait remarquer que cela pourrait lui porter préjudice ». Son courrier transite par le cabinet du préfet de police, avant d’aboutir à la direction des R.G., où un inspecteur rapporte, deux semaines plus tard : « Au point de vue politique, bien que n’étant pas membre effectif du Parti communiste, la nommée Lebreton a toujours eu ses sympathies acquises aux théories moscoutaires, et elle était une fervente admiratrice du “Front populaire” […] l’enquête effectuée à ce sujet n‘a pas permis d’établir le bien fondé de cette accusation, il semble que cette [celle-ci] provienne d’une mésentente entre locataires et concierge. À la STCRP, elle est notée comme bonne employée et ne s’occupant pas de politique. […] On ignore les motifs de son arrestation, et le lieu de sa détention. [elle] n’est pas notée aux sommiers judiciaires. » Donato Lombardi prend connaissance de cette réponse le 20 novembre.
Dès le 29 septembre 1942, Lucienne a été transférée au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122, en même temps que sept autres futures “31000” ; elle-même y étant enregistrée sous le numéro matricule n° 822. Yvonne Cavé, concierge elle aussi dénoncée – avec son mari – par un locataire, est enregistrée sous le matricule 821. Marie Dubois, une tenancière de café, également dénoncée et arrêtée par la police allemande, est enregistrée sous le n° 825.
Le 22 janvier 1943, Lucienne Lebreton fait partie des cent premières femmes otages transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « 22,1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »). Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation… Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.
Auschwitz
Le lendemain matin, après avoir été brutalement descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
Lucienne Lebreton y est peut-être enregistrée sous le matricule 31692, selon une correspondance possible avec le registre des internés du fort de Romainville (aucune de ses compagnes rescapées ne s’est souvenue de son numéro d’immatriculation). Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rang de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois quarts avec un couvre-chef (foulard), de face et de profil (la photo d’immatriculation de Lucienne Lebreton n’a pas été retrouvée).
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
Selon Charlotte Delbo et ses compagnes rescapées, Lucienne est morte au Revier de Birkenau fin mars 1943. L’acte d’état civil officiel dressé par le ministère des anciens combattants a fixé son décès au 30 avril 1943, mais elles pensaient que ce n’était pas exact.
Après guerre, ses camarades rescapées n’ont pu lui retrouver aucun parent.
La plaque apposée sur la façade du 9 rue de la Collégiale indique « Ici a été arrêtée Lucienne Ginestet, employée aux autobus parisiens, décédée en déportation », utilisant le nom de son ex-mari divorcé !
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 174.
Marion Quény, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, notamment une liste réalisée à partir du registre de Romainville (copie transmise par Thomas Fontaine), pp. 197-204, et p. 114.
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : dossier individuel au cabinet du préfet de police (1 W 1838-69999) ; dossier individuel des Renseignements généraux (77 W 433-175372).
Archives de la RATP : copies numériques de documents extraits du dossier de Lucienne Lebreton (6P1940/83519), transmises par Marine Daudanne, archiviste (10-2022).
MÉMOIRE VIVE
(dernière modification, le 26-10-2022)
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