Lucette, Suzanne, Magui naît le 6 décembre 1914, à Tours (Indre-et-Loire – 37), fille d’Emmanuel Louis Marie Magui, 46 ans, charpentier, et d’Alphonsine Eugénie Lamy, 41 ans, son épouse, lingère. Lucette a (au moins) six frères et sœurs plus âgés : Louise, née en 1894 à Saint-Benoît, Henri, né le 31 août 1899 à Poitiers, Georgette, née en 1901 à Tours, les jumeaux Georges et Emmanuel, nés le 24 novembre 1905 chez leurs parents, alors domiciliés au 5, rue de l’Élysée à Tours, Yvonne, née en 1910.
Le 7 février 1916, à 7 heures du matin, leur père, âgé de 47 ans, décède au domicile familial, alors au 16, rue de la Paix, quartier Poissonnerie, à Tours ; son décès est déclaré au service d’état civil par deux voisines du quartier. Lucette a un an et demi.
Son frère aîné Henri, fantassin arrivé sur le front le 7 juin 1918, est blessé le 14 septembre suivant près de Glenne (Marne). Il finit la guerre à l’hôpital, avant d’être démobilisé le 1er octobre 1919.
Lucette va à l’école jusqu’au certificat d’études primaires.
Jusqu’en 1931, elle habite rue de la Paix avec sa mère et son frère Georges.
En 1932, à Tours, elle se marie avec Jean Auguste Herbassier, né le 11 décembre 1911 dans cette ville, peintre en bâtiment. Ils ont un fils, Jean, né vers 1933.
Lucette tiendra ensuite une épicerie-buvette, rue de la Paix.
Sous l’occupation, les Herbassier habitent au 49, rue Rouget-de-L’Isle, quartier de La Riche, à Tours.
Un rapport de police daté du 26 mai 1954 rapportera : « À la suite de l’arrestation à Paris de dirigeants nationaux du Parti communiste clandestin, certains responsables interrégionaux furent identifiés. Les Allemands recherchèrent activement dans notre ville le nommé Chartier André dit “Victor”, responsable interrégional du PC clandestin pour la Touraine, l’Anjou, l’Orléanais. L’enquête sous la direction de la Gestapo provoqua l’arrestation de M. Dumas Jules, 84 rue Georges Courteline, à qui Chartier avait confié sa carte de tabac [afin qu’il puisse toucher ses rations à sa place]. Chez Dumas, de nombreux tracts anti-allemands furent saisis, et certains documents permirent l’arrestation des membres de l’organisation clandestine du PC constituée à Tours, [une soixantaine de personnes] parmi lesquels se trouvaient Madame Herbassier, née Magui Lucette, et le nommé Pisetta Louis, arrêtés le même jour… »
Charlotte Delbo rapportera une autre version. Selon elle, Lucette Herbassier est dénoncée par des voisins ayant vu des gens venir chez elle avec des valises, d’autres en sortir avec ces mêmes valises. Et, de fait, celles-ci contenaient des journaux clandestins et des tracts du Front national [1].
Le 4 août 1942, vers 4 h 30 du matin, des policiers français font irruption au domicile familial et emmènent les trois personnes présentes.
Le lendemain, le fils âgé de neuf ans sera mis à la rue…
Jean Herbassier est détenu pendant une heure au commissariat central, puis conduit à la maison d’arrêt de Tours, mis à la disposition du SD (“Gestapo”). Au cours de son interrogatoire, on lui présente plusieurs photos en lui demandant s’il connait les personnes représentées. On lui reproche d’avoir tenu des propos anti-allemand et d’appartenir à des organisations communistes ou gaullistes. Faute de preuve, il sera finalement relâché le 7 novembre.
À l’aube du 6 novembre 1942, Lucette Herbassier est parmi les dix-sept détenues extraites de leurs cellules pour monter dans deux cars. Dans l’un d’eux se trouve déjà Marcelle Laurillou, détenue depuis deux mois à l’école prison Michelet.
Les véhicules s’arrêtent rue de Nantes et les dix-huit sont menées dans la gare de Tours par une porte annexe, échappant ainsi aux regards de la population. Sur le quai, des soldats allemands montent la garde devant le train où elles doivent prendre place.
À midi, leur train s’arrête à la gare d’Austerlitz, à Paris. On les fait entrer dans une petite salle d’attente équipée de bancs, où des bénévoles de la Croix-Rouge distribuent à chacune un bol de bouillon « Kub » et une tranche de pain noir. Un agent de police française est là pour les accompagner aux toilettes.
Après une attente de plusieurs heures, les prisonnières – toujours encadrées par des soldats – doivent monter dans deux autobus de la RATP.
Dans la soirée, elles arrivent dans la brume au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122.
À la Kommandantur du camp, derrière le portail d’entrée, Lucette Herbassier est enregistrée sous le matricule 1171. Puis les Tourangelles sont conduites en contrebas du fort. Les gardiens leur annoncent qu’il est trop tard pour les installer dans le bâtiment de caserne : elles seront enfermées dans une casemate pour la nuit. Il est également trop tard pour leur donner à manger : à cette heure, il n’y a plus rien aux cuisines. Mais d’autres prisonnières ayant appris leur arrivée obtiennent l’autorisation de leur apporter des biscuits extraits de leurs propres colis et de la tisane chaude, qui leur procurent surtout un réconfort moral. Dans ce local souterrain humide et glacé, elles ne parviennent pas à dormir.
Le lendemain, elles sont conduites au premier (?) étage du bâtiment.
Au cours du mois de janvier, un photographe civil des Lilas est amené dans le périmètre de promenade pour y réaliser des portraits des détenu(e)s devant un drap blanc tendu sur les barbelés, chacun(e) étant identifié(e) par une réglette indiquant son matricule.
Selon le registre du camp, le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en cars au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22,1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »).
Le lendemain (?), Lucette Herbassier fait partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris).
Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites en camions découverts à la gare de marchandises de Compiègne et doivent grimper dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.
Le lendemain matin, après avoir été brutalement descendues et alignées par cinq sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
Parvenues à une baraque d’accueil, une première moitié des déportées est emmenée vers la “désinfection” et l’enregistrement ; en l’occurrence essentiellement les occupantes de la chambrée “communiste” de Romainville, et probablement en fonction de leur enregistrement à Romainville. L’autre groupe, incluant les Tourangelles et dans lequel de trouve Lucette Herbassier, passe la nuit à attendre, assis sur les valises, adossé aux planches de la paroi.
Le lendemain, dans ma matinée, son groupe reçoit la visite de Mala, dite « Mala la Belge », devenue interprète. Après s’être présentée, celle-ci leur conseille, entre autres : « Surtout n’allez jamais au Revier (hôpital), c’est là le danger. Je vous conseille de tenir jusqu’à l’extrême limite de vos forces. (…) Perdez-vous dans la masse, passez le plus possible inaperçue. »
Lucette Herbassier est enregistrée sous le matricule n° 31781.
Pendant deux semaines, les – dorénavant – “31000” sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rang de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois quarts, de face et de profil (la photo d’immatriculation d’Héléna Fournier a été retrouvée, puis identifiée par des rescapées à l’été 1947).
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
Atteinte par la dysenterie, Lucette Herbassier est admise au Revier [2]. Après quelque temps, elle en est renvoyée. Le lendemain, au travail, elle a une hémorragie. Elle est de nouveau admise au Revier, mais pour ne plus en sortir.
Elle succombe au camp de femmes d’Auschwitz-Birkenau le 8 mai 1943, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), qui indique pour cause de sa mort « catharre aiguë de l’estomac ». Certaines rescapées estimeront qu’elle est morte à la fin du mois de mars.
Entre temps, le 8 mars 1943, Jean Herbassier a reçu à son domicile une convocation lui demandant de se présenter à la Kommandantur. Désigné pour partir en Allemagne dans le cadre du Service du Travail Obligatoire (STO), il a rejoint Stratsund (Poméranie). Revenu en France le 9 décembre 1943 lors d’une permission, et décidé à ne pas repartir, il s’est caché successivement à Saint-Nazaire, à Nantes, à Paris, puis à Sepmes (Indre-et-Loire). Il se défendra d’avoir eu la moindre activité pendant la Résistance.
En mai 1945, quand les déportés survivants sont rapatriés, la famille de Lucette Herbassier apprend sa mort par Héléna Fournier, seule rescapée parmi les vingt Tourangelles du convoi.
Notes :
[1] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN”, jusqu’à son changement d’appellation le 1er juin 2018.
[2] Revier. Selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation KB.
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 144-145, page 24.
Archives départementales d’Indre-et-Loire, Tours : dossiers de la commission départementale des déportés et internés résistants, de H à L (50 W 33), dossier de Lucette et Jean Herbassier.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrit, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué) ; tome 2, page 440 (19544/1943).
Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : documents d’Auschwitz, liste de 13 décédés nés en France, extrait du Sterbebuch 1943, acte n° 19544/1943 (26 P 821).
MÉMOIRE VIVE
(dernière modification, le 10-12-2021)
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