Marcelle, Fernande, Micheline, Mardelle naît le 19 novembre 1914 à Perrusson, près de Loches (Indre-et-Loire), fille de Marcel Mardelle, 30 ans, charpentier-entrepreneur (employant un ouvrier en 1921), fils de charpentier, et de Fernande, 23 ans, son épouse. Michel, frère aîné de Marcelle, est né deux ans plus tôt, le 29 février 1912. Marcelle est la nièce de Maurice Mardelle, charpentier, poète et littérateur local.
Marcelle va à l’école jusqu’au brevet supérieur, parle anglais, et un témoignage familial pense qu’elle devait être enseignante ou éducatrice.
En 1965, dans son livre éponyme Le convoi du 24 janvier (ayant souvent servit de base à ce qui s’est écrit ensuite sur les “31000” d’Auschwitz-Birkenau), Charlotte Delbo relatera la suite de son destin ainsi : « Elle avait épousé un vétérinaire installé à Tours. En 1941, son mari qui était dans une organisation de résistance a été arrêté. Relâché, il a repris sa place au combat, mais en entrant dans la nuit. Marcelle Laurillou a quitté sa maison de Tours pour aller habiter chez ses parents à Amboise avec ses deux enfants qui avaient huit et six ans ».
L’auteure le précise elle-même : elle a rédigé cette courte biographie à partir de renseignements collectés par Hélène Fournier, seule survivante des vingt Tourangelles déportées dans ce convoi. Mais comment celle-ci a-t-elle obtenu ces informations ? Qui a-t-elle contacté ? Car les recherches menées en archives par Thérèse Gallo-Villa et publiées en mai 2019 sur le site TharvA invalident nombre des faits rapportés.
Le 1er juin 1933, à la mairie de Loches, Marcelle Mardelle épouse Marcel Julien Laurillou, né le 16 septembre 1908 à Loches, fils de cultivateur et menuisier de voitures. En 1934, leur fils Jacky naît à Perrusson.
En 1936, le couple et leur premier fils vivent chez les parents Mardelle à Perrusson. Marcel travaille alors comme menuisier avec son beau-père.
Marcel et Fernande Mardelle vont ensuite s’installer à Amboise, où ils résident en 1942.
À partir de juin 1940, Marcel Laurillou est ouvrier menuisier à la CIMT à Saint-Pierre-des-Corps (37).
Quand Marcelle Laurillou est arrêtée, son couple, en conflit, est déjà séparé. Elle-même est allée vivre chez ses parents à Amboise et a engagé une procédure de divorce. En attendant une décision de justice, Son mari conserve la garde de leurs enfants, qui seront élevés par leurs grands-parents paternels.
Quand s’installe l’Occupation allemande, à l’été 1940, une partie du cours du Cher délimite la ligne de démarcation entre zone occupée et zone “libre”, de Villeneuve-sur-Cher en amont jusqu’à Bléré en aval. Le passage de la rivière doit s’opérer clandestinement pour les prisonniers évadés, les personnes voulant retrouver de la famille en zone libre, les volontaires pour rejoindre Londres via l’Espagne ou le Portugal, les Juifs, puis les réfractaires au STO, etc. Pour ce passage, les secteurs de Bléré et de Montrichard sont particulièrement appropriés : proximité de Paris, présence de transports, étroitesse du Cher avec de nombreux îlots, gués et écluses. On passe la rivière en barque, à gué, sur le manteau d’une écluse, ou par les points de contrôle sur les ponts, caché dans un véhicule, déguisé en paysan ou ouvrier, etc.
Groupes et individus recherchent des filières d’évasion : certaines d’entre-elles partent des frontières nord, d’autres commencent à Paris, les dernières sont à trouver sur place.
Une grande partie des passeurs sont des occasionnels, faisant passer la Ligne seul ou – au mieux – à deux ou trois. D’autres deviennent de vrais passeurs professionnels : leur nom et leurs coordonnées se transmettent de bouche à oreille “sous le manteau”, parfois fort loin. Une très petite minorité est vénale et se fait rétribuer, parfois grassement lorsqu’il s’agit de Juifs, tous réputés comme riches ! Chaque passeur possède sa méthode et ses circuits, et peut se faire aider par ses parents, ses amis, ses collègues.
Un des objectifs du SD, service de renseignements et du maintien de l’ordre de la SS, dit Gestapo, est de contrer cette migration interdite. À Tours, la Gestapo, installée au 17, rue Georges Sand, est dirigée par Georg Brückle [1], assisté de Rudi Francke. Parmi les agents allemands, on peut relever le nom de Roblisca, d’origine tchèque et commandant la prison installée dans l’école Michelet (« Carl »).
Les militaires allemands s’appuient également sur un réseau d’agents collaborateurs français, qui observent, traquent, dénoncent, font arrêter, dont Pierre Wennert, particulièrement actif dans les affaires concernant communistes et juifs [2].
Parmi ceux-ci, Hélène E., 35 ans, née Fe, mère de neuf enfants, épouse d’un ancien militaire de carrière devenu assureur, puis en 1941, à 55 ans, agent recruteur pour la Légion des volontaires français (LVF). C’est par son intermédiaire qu’elle entre en contact avec des officiers allemands de la Feldkommandantur de Tours, puis avec Georges Bruckle, le chef de la Gestapo locale ; elle devient l’agent A. 203.
À l’été 1942, suite au déplacement à Loches de son mari qui y poursuit son activité pour la LVF, Hélène E. prend le car Tours-Loches plusieurs fois par semaine, dont toujours le mercredi. Au cours du trajet, elle écoute les conversations, épie les gens lui paraissant suspects et les dénonce au poste allemand de Cormery, sur l’Indre, à proximité du passage de la Ligne, les faisant ainsi arrêter.
De même, elle fréquente les cafés, les restaurants, les hôtels, les jardins publics, les magasins avec leurs queues sur les trottoirs propices aux papotages, etc., afin d’espionner les gens, à l’écoute de toute information ou allusion lui permettant de pourchasser les supposés opposants à Vichy, ciblant particulièrement Juifs et communistes. Une de ses méthodes privilégiées est de faire savoir sous le manteau qu’elle veut franchir la Ligne de démarcation, n’hésitant pas à faire croire qu’elle-même est Israélite. Lorsqu’elle a trouvé un passeur, elle s’intègre si possible à un groupe et, au moment opportun du passage, fait arrêter « passeurs » et « passés ». Elle se fait souvent accompagner par un agent masculin du SD, supposé alors être son frère ou un ami ; lequel se charge d’aller téléphoner à Georg Brückle pour venir opérer les arrestations.
En 1942, Michel Laurillou, le frère de Marcelle, prisonnier de guerre évadé, est réfugié à Perrusson, à 3 km au sud de Loches (Indre-et-Loire), dans le village de leur enfance, alors en zone “libre”. Leur mère, Fernande Mardelle, y possédant toujours une propriété, avait demandé et obtenu des Allemands un Ausweis pour s’y rendre… Marcelle Laurillou avait également obtenu une autorisation, mais celle-ci ne lui avait pas été renouvelée.
Afin de franchir la Ligne pour rendre visite à son frère, elle a d’abord recours aux services de René Gabb, 53 ans, agent d’Assurance à Amboise, connu comme passeur, logeant avec son épouse chez la mère de celle-ci, au 26, route de Bléré.
Mais, à partir de l’été 1942, la surveillance de la ligne de démarcation par l’Occupant se fait de plus en plus étroite, celui-ci intensifiant sa chasse aux fugitifs qui s’en approchent ainsi qu’aux passeurs. Ayant conscience de ce risque croissant, René Gabb restreint ses passages.
Début septembre 1942, Marcelle Laurillou a trouvé un autre passeur, le jeune boucher Robert Firmin, de Faverolles-sur-Cher, en zone libre, qui lui fait traverser la rivière en barque à la hauteur de Bourré, un peu en amont de Montrichard. Une filière désintéressée…
Revenue à Amboise, Marcelle Laurillou rencontre René Gabb qui lui demande par où elle a pu franchir la ligne.
Il lui déclare que lui-même héberge un prisonnier de guerre français évadé et qu’il a été contacté récemment par un couple de Hollandais vivement désireux se rendre en zone libre. Marcelle lui annonce alors qu’elle a prévu d’y retourner quelques jours plus tard, le 10 septembre . Elle accepte de les prendre en charge lors de son propre passage de la Ligne.
Le 10 septembre à 13 heures, à Amboise, Marcelle Laurillou prend le car pour Tours avec Hélène E. et son compagnon « Carl ». Dans le véhicule de transport collectif, ils sont rejoints par Violette Lévy, née Joel, 31 ans, fonctionnaire à Paris, révoquée comme juive, dont le mari est prisonnier de guerre en Allemagne, accompagnée de leur fils Jean, 8 ans. Pendant un temps, ceux-ci étaient réfugiés dans le village viticole de Pocé-sur-Cisse, puis, informée qu’elle était repérée, Violette Lévy s’était rapprochée d’Amboise, dans l’obligation de passer rapidement en zone libre. Elle a trouvé le contact avec René Gabb, peut-être via André Thomas, beau-frère et voisin de celui-ci.
Ainsi, Marcelle Laurillou convoie cinq personnes, parmi lesquels deux réfugiés juifs et dont les trois autres se révèleront être des agents du SD. L’objectif est bien de démanteler une filière locale de passeurs.
Arrivé à Tours, le groupe attend au café du Méridien, place de la Gare, le départ de l’autocar pour Montrichard, vers 17 heures.
Une fois descendus au terminus, Marcelle Laurillou conduit le petit groupe chez son contact, Louis Serin, 39 ans, boucher-éleveur, habitant une grande maison avec dépendances au bord du Cher. Celui-ci les fait monter dans sa voiture à cheval pour les conduire jusqu’à Bourré ; faute de place, Carl emprunte une bicyclette. À proximité de la maison de garde-barrière de Bourré, les passagers descendent de la carriole, franchissent le passage à niveau pour rejoindre sans tarder le chemin de halage au bord de la rivière.
Installé avec des camarades sur la rive gauche du Cher, Robert Firmin guette l’arrivée de Marcelle Laurillou, en surveillant aux jumelles la rive opposée. Vers 19 h 15, tous voient arriver la voiture à cheval et ses passagers. Quand le groupe de fugitifs atteint le bord de l’eau, une des personnes fait le signal convenu avec son mouchoir. N’ayant rien remarqué de suspect, Robert Firmin pousse son bateau. Dès qu’il met un pied sur la rive droite, un des hommes descend et vient se placer derrière lui, tandis qu’un autre, resté au haut de la berge, lui fait signe de monter. Soudain, au coup de sifflet, d’autres agents de la Gestapo de Tours, menés par Georg Brückle et dissimulés jusque-là, accourent par le chemin de halage. Marcelle Laurillou crie en pleurant : « On est pris ». Ne pouvant s’échapper, Robert Firmin monte et rejoint le groupe. Puis, quand il tente de s’en écarter, un Allemand le menace d‘un revolver et lui donne une paire de gifles. “Voyageurs” et passeurs sont conduits jusqu’à la maison de garde-barrière, où ils sont alignés contre les palissades… les Allemands arrêtent également le cheminot cantonnier Louis Sirot, simple témoin logé sur place, complètement étranger à l’affaire, et Louis Serin, qui s’apprêtait à rentrer à Montrichard. Hélène E. joue encore pendant un temps le rôle de prisonnière…
En deux rotations, les policiers allemands conduisent leurs détenus en automobile au poste de douane allemande de Montrichard. Lors du premier trajet, ce sont les passeurs Robert Firmin, Louis Serin et Marcelle Laurillou, puis ceux-ci sont rejoints par Louis Sirot, Violette et Jean Lévy, amenés vers 22 h. De son côté, sur ordre de Brückle, Carl ramène la voiture à cheval au domicile de Louis Serin, accompagné d’Hélène H. et de l’agent Moll (vraisemblablement le « prisonnier de guerre évadé »).
Au cours de la nuit, tous les prisonniers sont détenus en mairie, certains dans le local de l’appariteur municipal. Excepté Robert Firmin, qui est rapidement embarqué dans l’auto grise de la Gestapo avec Brückle, Carl et Hélène E. Arrivés route de Bléré, à Amboise, deux agents allemands en descendent, allumant leurs torches électriques. Ils sonnent au numéro 26, puis en reviennent dix minutes après avec René Gabb, homme de forte stature, qu’ils poussent dans le véhicule. Dix minutes plus tard, ils y ramènent Jean Thomas.
Madame Jean Thomas étant restée à l’intérieur, en train d’essayer de stopper l’hémorragie de sa belle-sœur, et ne peut pas voir Hélène E., mais elle l’entend dire « N’oubliez pas le barbu », en parlant de son mari, comme deux autres témoins, dont l’un précisera que la femme qui dirigeait les arrestations n’a pas dit un mot en allemand.
Les agents allemands déposent ensuite les deux hommes à la gendarmerie d’Amboise, à la garde des gendarmes français, Carl les conduisant lui-même jusque dans la chambre de sûreté de la brigade où il procède à un premier interrogatoire (« Pour cette raison, aucun PV ne fut dressé et le passage de ces deux personnes à la chambre de sûreté ne fut pas mentionné au registre d’écrou »). Puis les agents allemands repartent avec Robert Firmin. À la sortie d’Amboise, ils vont encore chercher un vieil homme malade, qui n’est que le père de l’homme réellement recherché. Arrivés à Tours, ils déposent Hélène H. chez elle.
Le lendemain, Carl revient chercher Gabb et Thomas avec une camionnette dans laquelle sont déjà les prisonniers récupérés à Montrichard, pour emmener tout le monde à Tours.
Le 11 septembre, les personnes arrêtées sont donc toutes incarcérées dans l’école Jules Michelet de la ville, alors transformée en prison (et devenue collège depuis).
Le 5 novembre 1942, les hommes sont transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise).
Le 6 novembre 1942, Marcelle monte seule dans un car, escortée par un soldat allemand. Le véhicule, accompagné d’un autre, les conduit devant la porte de la maison d’arrêt de la ville, rue Henri-Martin. Rapidement, dix-sept prisonnières extraites de la prison sont poussées dans ces cars qui s’arrêtent ensuite rue de Nantes, où les dix-huit sont menées dans la gare de Tous par une porte annexe, échappant ainsi aux regards de la population.
Sur le quai, des soldats allemands montent la garde devant le train où elles doivent prendre place. Marcelle Laurillou partage un compartiment avec Héléna Fournier, Francisca Goutayer, Léa Kérisit, Germaine Maurice et Raymonde Sergent. À midi, leur train s’arrête à la gare d’Austerlitz, à Paris. On les fait entrer dans une petite salle d’attente équipée de bancs, où des bénévoles de la Croix-Rouge distribuent à chacune un bol de bouillon “Kub” et une tranche de pain noir. Un agent de police française est là pour les accompagner aux toilettes. Après une attente de plusieurs heures, les prisonnières – toujours encadrées par des soldats – doivent monter dans deux autobus de la STCRP (future RATP).
Dans la soirée, les Tourangelles arrivent dans la brume au camp allemand du fort de Romainville sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis).
À la Kommandantur du camp, derrière le portail d’entrée, Marcelle Laurillou est enregistrée sous le matricule n° 1175. Puis les Tourangelles sont conduites en contre-bas du fort. Les gardiens leur annoncent qu’il est trop tard pour les installer dans le bâtiment de caserne : elles seront enfermées dans une casemate pour la nuit. Il est également trop tard pour leur donner à manger : à cette heure, il n’y a plus rien aux cuisines. Mais d’autres prisonnières ayant appris leur arrivée obtiennent l’autorisation de leur apporter des biscuits extraits de leurs propres colis et de la tisane chaude, qui leur procurent surtout un réconfort moral. Dans ce local souterrain humide et glacé, elles ne parviennent pas à dormir.
Le lendemain, elles sont conduites au premier étage du bâtiment. Héléna Fournier se souviendra : « La chambre que nous traversons grouille de prisonnières ; c’est la chambre du fond que nous devons tenir. Mais, en traversant la première, une belle jeune femme questionne chacune de nous : “Pourquoi as-tu été arrêtée ?” Suivant la réponse, elle invite quelques jeunes à rester dans sa chambre : Élisabeth Le Port, Fabienne Landy, Yvette Marival, qui se disent communistes. Les autres iront dans la chambre du fond : elle ne peut en garder plus, cette chambre est déjà surpeuplée. » Les autres Tourangelles passent dans la chambre 203bis : le coin gauche, près de fenêtre donnant sur la cour, leur est réservé. Les affinités liées dans le trajet Tours-Paris amènent Marcelle Laurillou, Héléna Fournier, Francisca Goutayer, Léa Kérisit, Germaine Maurice et Raymonde Sergent à rester ensemble.
Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »). Le lendemain, Marcelle Laurillou fait partie du groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation… Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Parmi eux, les hommes des arrestations de Bourré et d’Ambroise [2].
Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.
Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
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Parvenues à une baraque d’accueil, une première moitié des déportées est emmenée vers la “désinfection” et l’enregistrement ; en l’occurrence essentiellement les occupantes de la chambrée “communiste” de Romainville, probablement en fonction de leur numéro d’enregistrement dans ce camp. L’autre groupe, incluant les Tourangelles et dans lequel de trouve Marcelle Laurillou, passe la nuit à attendre, assis sur les valises, adossé aux planches de la paroi.
Le lendemain, dans ma matinée, ce deuxième groupe reçoit la visite de Mala Zimetbaum, dite « Mala la Belge », détenue arrivée en septembre 1942 (matricule n° 19880) devenue interprète et coursière (Läuferin). Après s’être présentée, celle-ci leur conseille, entre autres : « Surtout n’allez jamais au Revier (hôpital), c’est là le danger. Je vous conseille de tenir jusqu’à l’extrême limite de vos forces. (…) Perdez-vous dans la masse, passez le plus possible inaperçue. »
Dans le livre éponyme de Charlotte Delbo, le numéro matricule de Marcelle Laurillou n’est pas identifié ; cependant, ce pourrait être le 31785, selon une correspondance possible avec le registre du fort de Romainville. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche. Marcelle Laurillou déclare à ses camarades tourangelles : « Nous ne pourrons pas sortir d’ici. Personne ne sortira jamais d’ici : ils ne nous laisseront pas sortir vivantes avec ce numéro sur le bras. »
Pendant deux semaines, les (dorénavant) “31000” sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.
Le 3 février, la plupart d’entre elles sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie policière allemande : vues de trois-quart, de face et de profil ; la photo de Marcelle Laurillou n’a pas été retrouvée.
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
Atteinte de dysenterie, Marcelle Laurillou est admise au Revier de Birkenau, adressant un dernier sourire à Héléna Fournier, seule rescapée parmi les Tourangelles.
Elle y succombe le 16 avril 1943, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), son nom étant orthographié « Laurillon ».
En France, le 23 juin 1943, sur l’insistance de Marcel, son mari, le tribunal civil (lequel ?) examine leur dossier de divorce. Le Président rappelle que Marcelle étant la demandeuse, aucune procédure ne peut être conduite hors de sa présence et constate qu’on ignore alors où elle se trouve.
Le 22 janvier 1944, la Délégation Générale du Gouvernement Français dans les Territoires Occupé demande au préfet d’Indre-et-Loire des renseignements sur Marcelle Laurillou. Les réponses du Préfet et du maire de Montrichard contiennent des renseignements pour partie erronés. Ainsi, Marcelle Laurillou « serait arrivée à Montrichard par le train de 17 h 45, le 10 septembre » avec « un groupe de personnes venant de Paris ».
Selon ses déclarations ultérieures pour constituer son dossier de reconnaissance d’appartenance aux Forces françaises de l’intérieur (FFI), Marcel Laurillou s’engage le 1er juin 1944 à l’ORA, dans la brigade Charles Martel du Colonel Chomel, où il est placé sous les ordres du lieutenant-colonel Constantini qui commande le maquis d’Épernon. Le 11 août suivant, il est nommé chef de groupe avec le grade de caporal-chef. Il accomplit de « jour et de nuit, des attaques de convois allemands, des embuscades, des sabotages et obstructions de routes », notamment dans la région de la Celle-Guenand et du Grand-Pressigny. Fin septembre, il s’engage au 32e régiment d’infanterie et participe aux opérations de la poche de Saint-Nazaire. Il est démobilisé le 23 août 1945 (son dossier de membre des FFI sera homologué le 10 juillet 1950).
Les parents de Marcelle ont été avisés de sa mort par la mairie d’Amboise.
Le 16 juin 1945, Fernande Mardelle a saisit le Commissaire du Gouvernement en accusant son gendre Marcel Laurillou d’être allé à la Gestapo de Tours dénoncer sa fille comme passeuse. Une information est ouverte, mais plusieurs personnes de Loches et de Perrusson pressenties pour être auditionnées ne sont pas en mesure de fournir le moindre témoignage. Madame Mardelle demande alors l’audition de l’agent de Gestapo Pierre Wennert qui serait au courant de la délation de son gendre. Le 2 juillet – quelques jours avant d’être fusillé – celui-ci indique : « Je précise qu’il n’y avait pas besoin du témoignage à charge de son mari pour faire déporter sa femme ». Le juge donne acte de ce témoignage à Fernande Mardelle, mais les choses semblent en rester là.
Marcel Laurillou ne parlera jamais à ses enfants des activités de leur mère durant l’Occupation. Et un de ses fils n’apprendra sa mort en déportation que lors du discours du curé le jour de sa communion solennelle !
Le nom de Marcelle Laurillou est inscrit sur la stèle aux Déportés érigée par la ville d’Amboise, avec ceux de Jean Thomas et de son frère, du couple Gabb et de Rachel Deniau. Il figure aussi sur le Monument aux Morts de cette commune sous le nom de Laurillou-Mardelle Marcelle.
Notes :
[1] Georg Brückle : arrêté à Baden-Baden en 1948, il est condamné à mort. Mais, en 1954, sa peine est ramenée à dix ans de réclusion.
[2] Pierre Wennert est arrêté en décembre 1944, condamné à mort le 26 juillet 1945 et fusillé le 3 septembre suivant.
[3] Seuls Robert Firmin (matricule 57967) et Louis Sirot (matricule 58088) survivront. Henri Thomas (matricule 58108) décède à Sachsenhausen le 2 mars 1943. René Gabb (matricule 58003) succombe à Sachsenhausen le 24 avril 1944. Louis Serin (matricule 58106), d’abord transféré le 17 juillet 1944 Dachau, puis le 2 novembre 1944 à Auschwitz, le 12 décembre à Buchenwald, et enfin de nouveau à Dachau, y meurt le 28 février 1945. Jean Thomas (matricule 58107), transféré le 4 février 1944 à Buchenwald, y meurt le 21 avril 1945.
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 172-173.
Thérèse Gallo-Villa, D’Amboise à Bourré : la rafle du 10 septembre 1942. Un piège orchestré par la Gestapo, article sur le site TharvA (http://www.tharva.fr/violette-et-jean-levy), mai 2019.
Le cahier de Mémoires d’Héléna Fournier, transcrit par sa petite-fille, Carole Toulousy-Michel.
MÉMOIRE VIVE
(dernière modification, le 27-11-2021)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).