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Angèle, Eugénie, Mercier naît le 24 juin 1909 au lieu dit La Moinerie à Chaumes-en-Brie (Seine-et-Marne – 77), fille d’Alphonse Mercier, 39 ans, et de Désirée Eugénie Racinet, 42 ans, son épouse, domiciliés à Touquin (77), à une dizaine de kilomètres au sud de Coulommiers, mais « en résidence de passage à Chaumes ». Angèle naît « dans la loge de bûcheron » de son père ; elle est le septième enfant de la famille.
Jusqu’à l’âge de treize ans, elle va à l’école à Touquin.
Puis elle est placée chez des fruitiers qui vendent sur les marchés de la région (Coulommiers, Provins) : elle est à la fois “bonne à tout faire” et vendeuse.
Ces commerçants se prennent d’amitié pour Angèle et, à la suite du décès de son père, lui confient, à 24 ans, la gérance du petit hôtel Magd’hotel à clientèle ouvrière situé au 3-5 rue de Lunéville dans le 19e arrondissement.
C’est ainsi qu’elle fait la connaissance de Pierre Landrieux, né le 27 octobre 1913 à Paris 14e, souvent surnommé “René”, avec qui elle vit maritalement à partir de 1934. Dès lors, son destin sera intimement lié à celui de son compagnon, lui-même machiniste aux studios cinématographiques des Buttes-Chaumont, responsable CGT et communiste. Angèle, qui a perdu la foi religieuse de son enfance, adhère au Parti communiste en 1937.
Créateur du Comité d’aide à l’Espagne républicaine du 19e, Pierre Landrieux part en Espagne en avril 1938 pour prendre la relève au sein des Brigades internationales. De son côté, Angèle participe activement à organiser la solidarité avec les républicains espagnols.
Blessé par des éclats d’obus à la cheville, Pierre est rapatrié à la fin de 1938. En février 1939, le Parti Communiste lui confie, ainsi qu’à Angèle, le poste de gardien de la Maison des Blessés.
Mobilisé fin 1939 et affecté à Mutzig, Pierre Landrieux est fait prisonnier en juin 1940 et envoyé dans un Stalag de Prusse orientale. Angèle décide de reprendre le flambeau : dès l’automne 1940, elle distribue des tracts contre le gouvernement de Vichy.
En mai 1941, elle entre dans la lutte clandestine au sein de l’Organisation spéciale du Parti communiste en tant que qu’agent de liaison de Georges Vallet (“Raoul”), ancien des brigades internationales et frère d’armes de Pierre Landrieux.
En 1942, Angèle – sous le pseudonyme de “Nicole” – devient agent de liaison de l’état-major des FTP de la région parisienne, aux cotés de Cécile Rol-Tanguy et Cécile Ouzoulias. Elle est en contact avec Jeanne Alexandre, Marie-Louise Colombain, Suzanne Lasne.
Parallèlement, elle projette un mariage par procuration avec Pierre Landrieux, toujours prisonnier en Allemagne : tous les papiers sont réunis…
Le 14 décembre 1942, sa camarade Suzanne Lasne est appréhendée dans sa planque par les policiers des brigades spéciales venus arrêter un jeune FTP qui s’y trouvait et qu’ils filaient depuis quelques jours. Suzanne, qui n’a pas le temps d’esquisser un geste, a dans sa poche un papier sur lequel elle a inscrit en clair ses rendez-vous des prochains jours et qu’elle compte transcrire en code une fois chez elle.
Le 21 décembre 1942, Angèle est arrêtée à Levallois-Perret, par les brigades spéciales, au retour d’une mission. Le rapport des Renseignements généraux (RG) indiquent un rendez-vous avec un certain “Camus” qui déclare ne pas la reconnaître. Elle est fouillée et son domicile est perquisitionné, mais sans résultat. La fiche établie par les RG indique « divorcée », avec une adresse fantaisiste : « 19, rue du Docteur Landrieux ».
Du 21 au 27 décembre, Angèle Mercier est gardée dans les locaux des Renseignements généraux à la préfecture de police : elle ne parle pas, malgré un interrogatoire violent.
Puis elle est conduite au dépôt (sous le Palais de Justice, île de la Cité). Le 29 décembre, elle est transférée la prison pour femmes de l’établissement pénitentiaire de Fresnes (Seine / Val-de-Marne).
Le 23 janvier 1943, Angèle Mercier est transférée au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), élément du Frontstalag 122. Avec d’autres détenues extraites de Fresnes – dont Marie-Louise Colombain et Suzanne Lasne – et une extraite du dépôt), elle y rejoint les deux-cent-vingt-deux otages venant du camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), autre élément du Frontstalag 122. Toutes passent la nuit du 23 au camp de Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C.
Angèle écrit de Compiègne sa dernière lettre à destination des parents de Pierre. Elle la jettera du train et celle-ci sera acheminée par les cheminots qui l’on trouvée sur la voie. « Bien chère Mère, Après avoir passé 25 jours à Fresnes et deux jours à Compiègne, nous partons demain pour l’Allemagne. Je vous espère en bonne santé. Pour moi, la santé est bonne, si ce n’est que je souffre de la faim, du manque de nouvelles de mon René et de vous tous. Je ne puis écrire toute la peine que je ressens de quitter mon sol natal ; mais j’espère bientôt vous revoir. Je vous recommande ma mère et toutes mes affaires que j’aime tant ; je vous demanderais de prendre mes pâtes qui sont dans mon buffet de salle-à-manger, car elle vont s’abîmer par l’humidité. Je n’ai pas vu Jeannot, mais il part avec nous.. Je suis avec beaucoup de femmes, avec la petite Simone Sampaix et il y a vraiment de braves femmes pour me remonter le moral.
Enfin, il faut prendre courage et beaucoup de patience. J’espère que je reverrai mon René très bientôt, je souffre de ne pas avoir de ses nouvelles. J’espère que vous en avez de bonnes. Dites-lui que je l’embrasse de tout mon cœur et que toutes mes plus douces pensées vont vers lui.
Je vous quitte tout en vous embrassant et espérant être très bientôt parmi vous.
Et vous, Chère Mère, je vous embrasse tendrement.
Votre Angèle. »
Le lendemain matin, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites en camion à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille.
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et ceux-ci sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.
Le lendemain, elles sont conduites au camp de femmes de Birkenau (B-II) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
Angèle Mercier y est enregistrée sous le matricule 31851. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rang de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie de la police allemande : vues de trois-quart avec un couvre-chef (pour elle, un bonnet), de face et de profil (la photo d’immatriculation d’Angèle Mercier a été retrouvée, puis identifiée récemment par comparaison avec des portraits “civils”, dont ceux des Renseignements généraux [1]).
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées certaines de leurs compagnes prises à la “course”, sélection punitive. Elles commencent à partir dans les Kommandos de travail.
Un matin, Madeleine Doiret (rescapée) descend Angèle Mercier, mourante, de sa case et des camarades la portent à l’appel où elle succombe.
Angèle Mercier meurt à Birkenau le 9 avril 1943, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), qui indique pour cause mensongère de sa mort « infection rénale ».
Pierre Landrieux et les parents d’Angèle n’apprennent sa mort qu’au retour des rescapées.
Une rue de la petite ville de Touquin, ainsi que le monument aux morts porte aujourd’hui le nom d’Angèle Mercier.
Le 30 avril 1949 à Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), René Landrieux se marie avec Adrienne Repussard. Il décède le 14 juillet 2008 à Machecoul (Loire-Atlantique).
Il aura su l’inauguration du centre d’animation Solidarité-Angèle Mercier, à Paris 19e. Le Conseil d’arrondissement a validé cette appellation le 18 septembre 2006. Présentée par Clémentine Autain et Jean Wuillermoz, elle est entérinée par le Conseil de Paris lors de la séance du 25 septembre 2006. L’inauguration officielle a lieu le 30 novembre en présence de Bertrand Delanoë, Maire de Paris, et de Roger Madec, maire du 19e. Parmi les présents, entre autres, Cécile Rol-Tanguy, qui avait connu Angèle dans la clandestinité à Paris, Jeannine Repussard – veuve de Jean, Résistant déporté à Sachsenhausen (le « Jeannot » dont parle Angèle dans sa dernière lettre) – cheville ouvrière de l’organisation de l’évènement. L’inauguration fut prolongée par l’exposition « Solidarité, Engagement et Résistance, le parcours d’Angèle Mercier de Paris à Auschwitz », ouverte au public jusqu’au 13 janvier 2007.
Notes :
[1] Le portrait d’Auschwitz : les rescapées qui se sont réunies à l’Amicale d’Auschwitz à paris au cours de l’été 1947 ne l’ont pas reconnue lors de la séance d’identification des photos d’immatriculation, alors récemment arrivées de Pologne : Angèle Mercier n’avait pas été internée avec elles au fort de Romainville !
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 196-197.
Marion Queny, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, pp. XX, et 114.
Claude Pennetier, site Histoire et mémoire ouvrière en Seine-Saint-Denis.
Jean-Pierre Besse, notices in Le Maitron en ligne.
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis).
ANACR 19e, Résistance dans le 19e arrondissement de Paris, éditions Le temps des Cerises, 2005.
Témoignages de Jeannine Repussard.
Remerciements à Hervé Barthélémy, Rail & Mémoire.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrit, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 801 (18166/1943).
Copie de l’acte de décès du camp, transmis par Marion Queny.
MÉMOIRE VIVE
(dernière modification, le 26-03-2024)
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