Charlotte Amélie Casseleux naît le 27 janvier 1898, à Paris 20e, chez sa mère, Marie Casseleux, 28 ans, native de Guise (Aisne), couturière, domiciliée au 5, rue du Pressoir, et de père non dénommé. Charlotte a une sœur aînée, Germaine, née le 18 juin 1894 à Paris 11e. Sa sœur cadette Henriette naît cinq ans et demi plus tard, le 30 mars 1903 à Saint-Quentin (Aisne), alors reconnue par Paul Merlin, 25 ans, charretier natif de la ville. Puis viennent encore Marcelle, née le 23 décembre 1906, et Paul, né le 17 mars 1909, tous deux à Villeneuve-le-Roi (Oise). Le 28 juin 1913, les cinq enfants de Marie Casseleux sont légitimés par le mariage de leur mère avec Paul Merlin à la mairie du 20e.
Le 14 août 1914, Paul Merlin, 36 ans, rappelé à l’activité militaire par le décret de mobilisation générale, rejoint comme soldat de 2e classe les “Pépères” du 10e régiment d’infanterie territoriale de Saint-Quentin, sa ville de naissance. Dès le 28 août, lors d’une offensive allemande sur la ville, il est fait prisonnier de guerre au nord de celle-ci, à Bellenglise (Aisne) [1]. Puis il est successivement interné dans les Kriegsgefangenenlager de Wetzlar, dans le Land de Hesse, et de Meschede, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie (octobre 1916), n’étant rapatrié que le 13 décembre 1918 par le centre de rapatriement de Liège. Ainsi, il est absent du domicile familial pendant plus de quatre ans : Charlotte et Henriette doivent gagner leur vie, leur mère étant seule avec ses cinq enfants.
Le 18 avril 1918 à la maternité de l’hôpital Tenon (Paris 20e), Charlotte Merlin met au monde sa fille Rolande, Jeanne, alors déclarée née de père inconnu. Puis, le 3 février 1919, l’enfant est reconnue par Jean Baptiste Arthur Milan, mécanicien domicilié chez ses parents au 56 rue de Bagnolet, avant d’être légitimée par le mariage de ses parents quelques jours plus tard, le 15 février, à la mairie du 20e.
En 1923, sa sœur Henriette, alors baleinière, habite avec leur mère au 2, rue Vilin, quartier de Belleville, alors que leur père, Paul Merlin, est déclaré habiter au 11 rue Bisson à Saint-Quentin. Le 13 octobre 1923 à la mairie du 20e arrondissement, Henriette épouse Alphonse L’Huillier, 22 ans, alors plombier. Ils ont un fils, Roger, né un an plus tard.
Lors des recensements de 1926 et 1931, les L’Huillier habitent au 14, rue Ramponneau (Paris 20e), dans un petit immeuble dont Marie Merlin, mère de Charlotte et Henriette, est devenue concierge. En 1930, Alphonse L’Huillier devient employé des Pompes funèbres municipales de Paris ; par la suite, Henriette, son épouse, cessera de travailler.
Le 19 janvier 1931, le mariage de Charlotte Merlin est dissous par jugement de divorce ; son ex-mari – et père déclaré de sa fille Rolande – décède le 11 juin suivant à son domicile de la rue de Bagnolet (Paris 20e).
Le 5 septembre suivant à Bondy (Seine / Hauts-de-Seine), Charlotte, 33 ans, épouse Henri Douillot, 30 ans, né le 27 mai 1901 à Paris 11e, mécanicien-outilleur, qui possède un atelier de petite mécanique à Bondy où elle travaille avec lui comme découpeuse : Charlotte Delbo rapporte que c’est « un métier où l’on se coupe aussi les doigts. Quand nous l’avons connue, toutes les premières phalanges manquaient à sa main droite. » En 1932, ils habitent avec Rolande Milan, fille de Charlotte, alors âgée de 14 ans, dans le petit pavillon de Gustave Jules Douillot, père d’Henri, ouvrier bijoutier, alors veuf, au 21 allée (puis rue) Racine, à une extrémité de cette voie du quartier pavillonnaire des Coquetiers (depuis le recensement de 1926, une famille Vandaele, d’origine belge, dont le père est peintre en bâtiment, composée de cinq enfants nés à Bondy, habite au 2 de l’allée Racine, à son autre extrémité).
Henri Douillot est un militant communiste.
Le 12 mai 1935, il est élu conseiller municipal communiste de Bondy, sur une liste de coalition socialiste et communiste. Dans cette période, Charlotte adhère au Comité mondial des Femmes contre la guerre et le fascisme, sans y avoir de responsabilité particulière.
Le 8 septembre 1939, Henri Douillot est mobilisé au 11e régiment du Génie à Versailles. Fin décembre, il est renvoyé en affectation spéciale, travaillant dans son atelier comme sous-traitant pour la Maison Bournier Frères, 39 rue Bréguet à Paris.
Le 25 novembre 1939, à la mairie de Bondy, Rolande Milan, fille de Charlotte, 21 ans, se marie avec un voisin de l’allée Racine, Jean Émile Vandaele, né en 1918, auxiliaire aux PTT avant la déclaration de guerre. Son récent mari sera prisonnier de guerre en Allemagne après juin 1940 ; ils n’auront eu que vingt-trois jours de vie commune au cours de permissions de détention pendant la « drôle de guerre ». Ils n’ont alors pas d’enfant.
En février 1940, Henri Douillot est convoqué à la police pour signer une renonciation au parti communiste. Il refuse. Le 29 de ce mois, le conseil de préfecture de la Seine le déchoit de son mandat électif.
Le 15 mars suivant, Henri Douillot reçoit un ordre de route militaire pour rejoindre la 1re Compagnie spéciale de travailleurs militaires indésirables de la ferme Saint-Benoît, unité disciplinaire cantonnée au Perray près de Rambouillet (Seine-et-Oise / Yvelines) [1]. Puis il est transféré à la 4e compagnie à Roybon (Isère), dans les locaux d’une usine de tissage désaffectée. Finalement (le 20 août ?), il est interné à la citadelle de Sisteron (Basses-Alpes / Alpes-de-Haute-Provence) d’où il s’évade le 14 mars 1941 avec Frédéric (Frédo) Sérazin, autre militant communiste avec lequel il s’est lié d’amitié.
Revenu à Paris, Henri Douillot doit dès lors vivre en clandestinité, en étant hébergé par des camarades. En septembre suivant, il entre à l’O.S. [2]. Affecté à la commission des cadres, il instruit les nouvelles recrues sur leurs futures missions.
Sous l’Occupation, Rolande Vandaele est coupeuse à la Maison Jean Forest, 9 rue du Cirque à Paris. Elle est retournée vivre chez sa mère, dans le pavillon de Gustave Douillot, allée Racine à Bondy. À partir d’octobre 1941, Charlotte travaille comme emboutisseuse à l’entreprise Pinchard et Denis, 6 allée Verte à Paris 11e.
Le 15 avril 1941, la famille L’Huillier (Henriette, Alphonse, Roger) emménage au 43, rue des Maronites (Paris 20e).
En janvier 1942, Henri Douillot est nommé responsable du secteur d’activité 148 de l’O.S. de la région parisienne, puis – « par intérim » suite à un manque de cadres – des secteurs 146 et 147 (Nord-Est). Chargé du recrutement au sein de l’O.S., il y parvient difficilement : vingt-trois militants clandestins du PC ou des JC « se sont presque tous récusés » après les premiers contacts.
Le 15 janvier, Rolande Vandaele, sa belle-fille, loue un petit logement (ou une simple chambre) au 38 rue de la Fontaine-au-Roi (Paris 11e) ; 3e étage, couloir de gauche, porte à gauche. Mais, c’est son beau-père qui s’y installera.
En mars ou avril, sur décision de Raymond Losserand, Henri Douillot est rétrogradé et affecté à la gestion des stocks d’armes et de munitions, son supérieur direct étant Marie-Émile Besseyre, dit “Camille”. Douillot obtient néanmoins de l’appareil technique du PC clandestin une fausse carte d’identité au nom d’Henri Dumas. Son activité spécifique le met en contact régulier avec France Bloch-Sérazin (“Claudia”), chimiste-artificier du groupe, épouse de son compagnon d’évasion à Sisteron. Afin de chercher des lieux de dépôt de matériel militaire destiné à l’interrégion parisienne, Besseyre lui adjoint Robert Gueusquin, dit “Bob”, précédemment chargé du recrutement pour l’O.S. au sein des Jeunes communistes clandestines (ils ne connaissent pas leurs patronymes respectifs). Ensemble, ils entreposent de l’explosif (cheddite), des bandes de mitrailleuses et des grenades dans un caveau de famille du cimetière d’Épinay-sur-Seine (Seine / Seine-Saint-Denis) dont Douillot a reçu la clé. “Bob” est également chargé du ravitaillement, qu’il va chercher dans les Charentes et qu’il remet à son responsable.
Henri Douillot utilise alors comme “planque” le logement de la rue de la Fontaine-au-Roi dont Rolande lui a confié la clé, pour y dormir, mais aussi pour y entreposer des produits chimiques, des explosifs et des systèmes de mise à feu. Peu de temps avant d’être arrêté, il entreprend de louer une chambre sous sa fausse identité, au 127, rue Saint-Maur afin d’y déplacer ce matériel, ainsi que l’explosif qu’il vient de retirer avec “Bob” du caveau d’Épinay, sous le regard des inspecteurs. Mais il n’en a pas le temps…
France Bloch-Sérazin, repérée par les inspecteurs de la BS2 auxquels elle avait échappé une première fois en février, est filée à partir du 27 mars, conduisant involontairement les policiers vers sa famille, ses amis – dont Marie-Élisa Nordmann – et le réseau des combattants et dirigeants clandestins qu’elle rencontre, comme Henri Douillot, le 14 avril, place de la Contrescarpe (Paris 6e), auquel elle remet alors plusieurs flacons d’acide sulfurique. Comme ils se séparent rue des Irlandais, les inspecteurs de la BS2 désignent d’abord Henri Douillot comme « L’Irlandais », avant qu’il ne soit identifié. Suivi jusqu’au soir, au fil de différents rendez-vous, il conduit les inspecteurs jusqu’à son domicile clandestin (il est “logé”). Dans les jours suivants, il sera encore suivi lors de ses nombreux rendez-vous. Le 28 avril, les inspecteurs constatent qu’il se rend chez son beau-frère, Alphonse L’Huillier, au 43 rue des Maronites.
Charlotte Delbo relate que, le jeudi de l’Ascension, 14 mai, le couple Douillot va déjeuner chez les L’Huillier. Lors de son interrogatoire ultérieur, Henriette L’Huillier déclarera : « Tous les deux sont venus ensemble, chez moi, le jeudi 14 mai dans la matinée, pendant que mon mari était absent » ; Alphonse L’Huillier étant alors à son travail. À cette occasion, Henri Douillot remet à sa belle-sœur des tickets de viande afin qu’elle aille lui en chercher chez son boucher, comme elle a pu le faire quelquefois auparavant. Même si les inspecteurs de la BS2 constatent cette visite, d’« une heure environ », l’adresse des L’Huillier avait déjà été repérée…
Ce même 14 mai, Marie-Émile Besseyre est arrêté indépendamment par des agents du commissariat de police de la circonscription de Puteaux dans le cadre d’une affaire de propagande – sa précédente activité clandestine – amenant de multiples arrestations et perquisitions. Cette initiative non coordonnée oblige Jean Hénoque, directeur de la BS2 à précipiter son propre coup de filet final, lancé deux jours plus tard. « Sommes informés que le nommé Besseyre (…) a été arrêté ce jour par notre collègue de la circonscription de Puteaux (…). En raison de l’importance du rôle attribué à Besseyre et pour éviter que son arrestation compromette le résultat de nos filatures qui sont encore en cours, nous prenons aussitôt toutes mesures utiles pour qu’il soit procédé sans délai à l’arrestation de tous les individus identifiés dans la présente enquête. » Soixante-huit personnes repérées et identifiées sont arrêtées ; parmi elles, une grande partie des membres de l’O.S.
Le 16 mai, Henri Douillot est appréhendé en dehors de son domicile par les brigades spéciales. Après avoir procédé à la perquisition de sa “planque”, rue de la Fontaine au Roi, et y avoir saisi de nombreux documents relatifs à l’action armée ainsi qu’un pistolet automatique, son arme personnelle, qu’il n’a jamais utilisée, les policiers quittent les lieux « après avoir laissé sur place des inspecteurs ayant pour mission d’appréhender toute personne qui se présentera dans cette chambre ».
Effectivement, dans la soirée, sa femme Charlotte et sa belle-fille Rolande, qui viennent lui apporter du ravitaillement et du linge, sont également arrêtées dans ce qui est devenu une “souricière”.
Elles sont conduites la préfecture de police, et détenues dans la salle 343 des locaux de la BS 2 pendant la durée des interrogatoires.
Détenu dans la salle 540, Henri Douillot est longuement interrogé : le procès-verbal de ses interrogatoires tient sur dix pages dactylographiées. Il lutte pied à pied contre la tentative des inspecteurs de lui extorquer des informations. S’il admet immédiatement sa propre activité au sein de l’O.S., et ne réfute pas les comptes-rendus de filatures auquel il est confronté, il refuse d’expliquer l’activité de ses camarades et parvient à ne donner aucun nom qui ne serait pas déjà connu des policiers : « Il est exact que j’ai rencontré à différentes reprises les camarades dont vous me parlez. Cependant, j’ignorais leurs noms. » « Je refuse de vous indiquer la nature de mes relations avec Savatero et Losserand, ainsi que leur rôle à l’O.S. » Etc.
L’interrogatoire de Charlotte Douillot – qui n’est pas frappée – est moins long : une page et demie. « D. (demande) - Que savez-vous de l’activité de votre mari au sein de l’Organisation spéciale terroriste du Parti communiste ? R. (réponse) - J’ignorais totalement que mon mari avait repris son activité en faveur de ce parti. D.- Vous avez été appréhendée alors que vous vous présentiez au domicile que votre fille avait loué pour le compte de votre mari, 38 rue de la la Fontaine-au-Roi. Vous n’ignoriez donc pas que ce dernier vivait dans l’illégalité. R.- Je savais que mon mari était dans l’obligation de se cacher, mais je pensais seulement que c’était parce qu’il était évadé d’un camp de concentration. Ma fille n’a pas loué le logement de la rue Fontaine-au-Roi pour le compte de mon mari, mais bien pour y entreposer des meubles qui sont sa propriété at qui auraient pu s’abîmer dans le pavillon de mon beau-père. D. Quelles étaient à votre avis les occupations de votre mari ? D’où tirait-il ses ressources ? R.- Je n’ai jamais rien demandé à mon mari. Je n’avais aucune raison de le faire. J’allais le voir une fois par semaine et je lui portais quelquefois des denrées alimentaires. Quelquefois aussi, je lui ai porté de petites sommes d’argent ; je lui donnais environ deux ou trois cents francs par mois. S.I. (sur interpellation) - Je n’ai jamais vu mon mari en possession de faux papiers d’identité. S.I.- J’ignore totalement s’il était en possession d’une arme. Il s’est occupé lui-même des soins du ménage pendant tout le temps qu’il a habité rue Fontaine-au-Roi. S.I.- Toutes les fois que je suis allée voir mon mari, il était seul. Je ne connais aucun des individus qu’il a pu fréquenter depuis son évasion. S.I.- Avant qu’il habite dans le logement loué par ma fille, je voyais déjà mon mari de temps à autre. Il me donnait rendez-vous dans la rue, mais il ne m’a jamais dit qui l’hébergeait. »
Le PV d’interrogatoire de Rolande Vandaele tient sur une seule page. Elle déclare n’avoir rien su de l’activité clandestine de son beau-père et donne des explications concordant avec celles de sa mère, notamment concernant l’usage du logement de la rue de la Fontaine-au-Roi.
Puis Charlotte Douillot et Rolande sont conduites au dépôt de la préfecture de police.
Le 21 mai, Antoinette Besseyre, Yvonne Carré, Louise Losserand et les trois l’Huillier – Alphonse, Henriette et Roger – sont consignés au dépôt à la disposition de la BS2 ; à la même date, Henri Douillot, Paul Thierret, Raymond Losserand, Gaston Carré, Marie-Émile Besseyre font partie des détenus « consignés au dépôt à la disposition des Autorités allemandes ».
Le 11 août 1942, Alphonse L’Huillier est fusillé au fort du Mont-Valérien à Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine), en représailles d’actions armées de la résistance contre l’Occupant, sans jugement, parmi 88 otages déclarés communistes. Après son exécution, la police relâche son fils, Roger, « “en raison de son âge” (dix-sept ans) », mais non son épouse Henriette. Le 24 août, celle-ci est conduite en cellule à la Maison d’arrêt de La Santé (Paris 14e). Le 29 septembre, elle est transférée au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122, gardé par la Wehrmacht.
Le 16 septembre, vingt-deux hommes et une femme, France Sérazin, sont déférés pour une première audience devant le Tribunal militaire allemand du Gross Paris, siégeant rue Boissy-d’Anglas (Paris 8e). Le jugement est rendu le 30 septembre : cinq sont condamnés à des peines de prison et vingt-trois à la peine de mort pour activité de francs-tireurs, dont Henri Douillot, Marie-Émile Besseyre, Gaston Carré, Raymond Losserand et France Bloch-Sérazin.
Le 21 octobre, quinze condamnés, dont Henri Douillot, sont fusillés au champ de tir du ministère de l’Air à Issy-les-Moulineaux, dit aussi stand de tir de Balard [3].
Le 27 octobre, Charlotte Douillot et sa fille Rolande font partie des neuf détenues transférées au fort de Romainville (Antoinette Beyssère, Yvonne Carré, Marie-Louise Losserand et aussi Suzanne Constantin, Simone Eiffes, Renée Juhem). Elles y retrouvent leur sœur et tante, Henriette L’Huillier. Rolande y est enregistrée sous le matricule n° 1103 et sa mère sous le matricule n° 1104.
Le 22 janvier 1943, Henriette L’Huillier fait partie des cent premières femmes otages transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « 22,1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »). Le lendemain, Charlotte Douillot et Rolande Vandaele font partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation…
Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille.
Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen [4], tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.
Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
Charlotte Douillot y est enregistrée sous le matricule 31762, sa fille Rolande Vandaele sous le 31761. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rang de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie de la police allemande : vues de trois quarts coiffée d’un couvre-chef (foulard), de face et de profil.
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” [5] du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
Charlotte Douillot meurt de dysenterie au Revier [6] du camp de femmes de Birkenau, le 11 mars 1943 d’après l’acte de décès établi par l’administration SS d’Auschwitz (Sterbebücher). À la fin avril, Rolande Vandaële entre à son tour au Revier, atteinte du typhus. Elle y voit mourir sa tante Henriette L’Huillier de la même maladie, le 24 mai suivant d’après le Sterbebücher.
Le 3 août 1943, Rolande sort du Revier, tenant à peine debout, pour aller en quarantaine. Après être passée par les KL Ravensbrück et Mauthausen, elle est rapatriée à Paris le 30 avril 1945.
Elle retrouve sa grand-mère, Marie Merlin, toujours concierge au 14, rue Ramponneau (Paris 20e). La vieille femme avait appris la disparition de sa fille Charlotte par un avis de décès d’Auschwitz daté du 7 août 1943, mais n’avait rien reçu pour son autre fille, Henriette. Rolande n’ose pas lui dire que celle-ci est morte elle aussi. Il faudra des années à Marie Merlin pour comprendre ce qui était arrivé, avant son propre décès le 1er août 1949, à l’hôpital Saint-Antoine (Paris 12e), âgée de 79 ans.
En mai 1945, Jean Vandaele, le mari de Rolande revient de captivité. Il est repris à la Poste comme facteur et le couple s’installe dans le pavillon des Douillot, 21 allée Racine à Bondy, avec le “grand-père” Gustave Douillot. Ayant ses deux grands-parents à charge, Rolande reprend son métier : coupeuse-patronnière dans le manteau et tailleur pour dames, mais cesse de travailler après avoir subi une grave opération.
Gustave Douillot décède le 11 décembre 1949 à l’hôpital de la Pitié-Salpétrière (Paris 13e).
Rolande décède aux Pavillons-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) le 18 avril 1982, âgée de 64 ans.
À une date restant à préciser, le Conseil municipal de Bondy donne le nom d’Henri Douillot à une rue de la commune.
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 94 à 97.
Jean-Marc Berlière, Franck Liaigre, Le sang des communistes, Les Bataillons de la jeunesse dans la lutte armée, Automne 1941, collection Nouvelles études contemporaines, Fayard, février 2004, page 241, note p. 368.
Franck Liaigre, Les FTP, nouvelle histoire d’une résistance, Perrrin, septembre 2015, pages 61, 63 et 64, note 22 et 30 p. 295.
Les fusillés (1940-1944), Dictionnaire biographique des fusillés et exécutés par condamnation et comme otage ou guillotinés pendant l’Occupation, sous la direction de Claude Pennetier, Jean-Pierre Besse, Thomas Pouty et Delphine Leneveu, Éditions de l’Atelier, 2015, pages 592 et 1152.
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : dossiers suivis par la BS2, affaire Carré Douillot Losserand Besseyre (GB 102) ; procédures d’épuration, dossiers de l’inspecteur Justin Charlot (77 W 6374-292168 et KB 112) ; exécutions par les Autorités Allemandes, carton de A à La (BA 2297), dossier Gueusquin Alfred.
Site de l’association Mémoire et création numérique, animée par François Tanniou, Alexis Sevaille et Sophie Raoult, Les plaques commémoratives, sources de mémoire (aujourd’hui désactivé – nov. 2013).
http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article22912, notice DOUILLOT Henri, Gustave [Pseudonyme dans la Résistance : Dumas] par Jean-Pierre Besse, Claude Pennetier, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 23 février 2017.
MÉMOIRE VIVE
(dernière modification, le 16-08-2019)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
[1] O.S. : organisation spéciale du Parti communiste clandestin créée à partir de septembre 1940, à l’origine pour protéger les militant(e)s prenant la parole en public, les distributeurs de tracts et les colleurs d’affiches, elle est devenue le premier cadre de la résistance armée.
[2] La « course » par Charlotte Delbo : Après l’appel du matin, qui avait duré comme tous les jours de 4 heures à 8 heures, les SS ont fait sortir en colonnes toutes les détenues, dix mille femmes, déjà transies par l’immobilité de l’appel. Il faisait -18. Un thermomètre, à l’entrée du camp, permettait de lire la température, au passage. Rangées en carrés, dans un champ situé de l’autre côté de la route, face à l’entrée du camp, les femmes sont restées debout immobiles jusqu’à la tombée du jour, sans recevoir ni boisson ni nourriture. Les SS, postés derrière des mitrailleuses, gardaient les bords du champ. Le commandant, Hoess, est venu à cheval faire le tour des carrés, vérifier leur alignement et, dès qu’il a surgi, tous les SS ont hurlé des ordres, incompréhensibles. Des femmes tombaient dans la neige et mouraient. Les autres, qui tapaient des pieds, se frottaient réciproquement le dos, battaient des bras pour ne pas geler, regardaient passer les camions chargés de cadavres et de vivantes qui sortaient du camp, où l’on vidait le Block 25, pour porter leur chargement au crématoire.
Vers 5 heures du soir, coup de sifflet. Ordre de rentrer. Les rangs se sont reformés sur cinq. « En arrivant à la porte, il faudra courir. » L’ordre se transmettait des premiers rangs. Oui, II fallait courir. De chaque côté de la Lagerstrasse, en haie serrée, se tenaient tous les SS mâles et femelles, toutes les kapos, toutes les polizeis, tout ce qui portait brassard de grade. Armés de bâtons, de lanières, de cannes, de ceinturons, ils battaient toutes les femmes au passage. Il fallait courir jusqu’au bout du camp. Engourdies par le froid, titubantes de fatigue, il fallait courir sous les coups. Celles qui ne couraient pas assez vite, qui trébuchaient, qui tombaient, étaient tirées hors du rang, saisies au col par la poignée recourbée d’une canne, jetées de côté. Quand la course a été finie, c’est-à-dire quand toutes les détenues sont entrées dans les Blocks, celles qui avaient été tirées de côté ont été emmenées au Block 25. Quatorze des nôtres ont été prises ce jour-là.
Au Block 25, on ne donnait presque rien à boire, presque rien à manger. On y mourait en quelques jours. Celles qui n’étaient pas mortes quand le “Kommando du ciel” (les prisonniers qui travaillaient au crématoire) venait vider le Block 25, partaient à la chambre à gaz dans les camions, avec les cadavres à verser au crématoire. La course – c’est ainsi que nous avons appelé cette journée – a eu lieu le 10 février 1943, deux semaines exactement après notre arrivée à Birkenau. On a dit que c’était pour nous faire expier Stalingrad. (Le convoi du 24 janvier, pp. 37-38)
[3] Revier , selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”.