- Photo anthropométrique prise le 21 décembre 1941.
par le service de l’identité judiciaire.
© Archives de la Préfecture de Police (APP), Paris.
Un grand-père, du côté paternel, communard, a disparu pendant la Semaine sanglante. Son père, vieux socialiste, avait adhéré au parti communiste après la scission de Tours (1920). Il était représentant de commerce ; la mère était employée de bureau.
Lucienne suit un cours commercial après avoir obtenu son certificat d’études et se met au travail de bonne heure. Elle est sténo-sténodactylo.
Tout naturellement, dirait-on, elle adhère à l’Union des femmes contre la guerre et le fascisme en 1936 (c’est le temps du Front populaire, de la guerre contre le fascisme en Espagne) et au parti communiste en 1939. En février de cette année-là, elle est secrétaire du conseiller municipal communiste du quartier Charonne (Paris 20e), Raymond Bossus. Ce serait au domicile de celui-ci, lors d’une réunion familiale avant la déclaration de guerre qu’elle ferait la connaissance de Jules Dumont (le colonel Dumont), ancien des Brigades internationales.
Pendant un temps (dès avant 1936 ?), Lucienne Palluy vit avec sa mère, Mathilde, veuve et impotente, au 2-4, place de la Porte de Bagnolet (Paris 20e) ; bâtiment n° 20, troisième étage, porte gauche.
Au cours de la débâcle de l’été 1940, son frère Georges est fait prisonnier de guerre et conduit en Allemagne.
Quand les Allemands occupent Paris – sachant qu’elle est connue comme communiste -, Lucienne Palluy évite son appartement et entre en clandestinité. Pendant un temps, elle habite au 7, villa du Bel-Air (Paris 12e), mais retourne régulièrement Porte de Bagnolet pour approvisionner sa mère.
Puis quand se forment les premiers groupes de l’Organisation spéciale [1], elle est attachée à Jules Dumont, dit « Paul », de qui elle devient l’agent de liaison. À partir de décembre 1940, celui-ci loue un appartement au 7, avenue Jean Veber, vers la Porte de Bagnolet (Paris 20e) – escalier 21, 6e étage. Lucienne Palluy possèdera un double de la clé.
Dans son cas, agent de liaison signifie aussi : porter de la poudre noire et de la cheddite à Madeleine Dechavassine qui les utilise pour en faire des engins, remettre ceux-ci à Henri Douillot, transporter des explosifs par kilos dans des cabas de ménagère.
Le 8 novembre 1941, Lucienne Palluy et Jules Dumont se mettent « en ménage » au 4, square du Sancerrois, dans les immeubles HBM du 37, boulevard Poniatowski (Paris 12e) – 4e étage, porte gauche. Pour cela, ils font transporter par un déménageur le mobilier respectif de leurs habitations précédentes. À l’occasion de ce déménagement, Jules Dumont passe la nuit dans l’appartement de la Porte de Bagnolet. C’est peut-être alors qu’il y dépose, dans une valise, plusieurs uniformes de brigadiste ainsi que des documents personnels.
En septembre 1941, le colonel Dumont, à également loué – sous le nom de Journet – un un appartement au 5, avenue Debibour, pour servir de laboratoire d’explosifs et de cache d’armes. Quand Gilbert Brulstein, qui s’y est caché après l’attentat de Nantes, est repéré dans le restaurant voisin de la Mère My (Constance Rappeneau), les surveillances policières, le coup de filet (prématuré) du 25 novembre et les interrogatoires font découvrir cette planque et l’identité de Dumont. Son portrait est diffusé et l’étau se resserre. Une de ses planques est repérée. À la suite d’une enquête de voisinage, les inspecteurs rapportent : « Des renseignements recueillis, il résulte qu’un individu correspondant au signalement de Dumont a été aperçu tout récemment et à deux reprises différentes au 78, rue Sedaine. La première fois, il était seul, et la seconde, en compagnie de la femme Mund (pseudonyme de Lucienne Palluy) », ajoutant « La femme Mund, que l’on dit couturière, ne semble se livrer à aucun travail rétribué ». Les surveillances ultérieures ne donnent aucun résultat.
Début décembre, tous deux vont voir la concierge du 11, rue Liancourt (Paris 14e), dans la perspective de louer un appartement devant bientôt être disponible.
Le mardi 9 décembre dans la matinée, Jules Dumont quitte leur logement du 12e après avoir brûlé certains papiers et sans préciser où il se rend.
Le 10 décembre 1941, le commissaire Fernand David, directeur de la brigade spéciale des Renseignements généraux engage une opération d’ensemble dans le groupe d’immeubles HBM de l’avenue de la Porte de Bagnolet, « signalés comme refuge d’individus suspects ». Un ouvrier-serrurier requis procède à l’ouverture de la porte du logement d’où Lucienne Palluy est absente ; ainsi que sa mère alors hospitalisée à Saint-Louis (Paris 10e). « Avant de quitter les lieux, [les policiers prennent] toutes dispositions utiles en vue de la garde de l’appartement et de l’arrestation éventuelle de toute personne susceptible de s’y rendre ».
Deux jours plus tard, le 12 décembre, Lucienne va à l’appartement de la Porte de Bagnolet, pour prendre des nouvelles de son frère selon Charlotte Delbo. Des policiers en civil surveillent toujours l’immeuble. Elle est prise, en possession de quatre trousseaux de clés.
Les policiers l’escortent jusqu’à son appartement du square du Sancerrois afin de procéder à une perquisition. Ils découvrent de nombreux objets et documents directement liés à l’activité et à l’organisation de l’O.S., restés en évidence sur un bureau ou dissimulés dans le mobilier : notamment une fausse carte d’identité restant à finaliser avec la photo de Jules Dumont, deux « passes » (morceaux de cartes postales portant des adresses), six engins incendiaires, vingt cartouches de revolver 8 mm, et, dissimulé dans une tringle à rideau, un document manuscrit révélant la composition de l’Organisation spéciale à la date du 15 novembre 1941 sur les régions A et B (deux fois vingt-sept membres). Des policiers restant sur place afin d’y tendre une souricière, Lucienne Palluy est ensuite amenée à l’appartement de la rue Jean-Veber, qui se révèle entièrement vide, à l’exception de quelques documents brûlés et d’une paire de gants en latex usagés abandonnés sous un lavabo et ayant pu servir à des manipulations chimiques.
Le 13 décembre, Lucienne Palluy est interrogée dans les locaux des brigades spéciales. Il est permis de penser que les moyens de pression exercés sur elle ont été brutaux, les policiers sachant que Jules Dumont était impliqué dans l’organisation de la résistance armée contre l’occupant. Malgré de multiples « interpellations », elle persiste à dire qu’elle ignore tous des objets et documents trouvés dans son appartement. De même, concernant le quatrième trousseau de clés trouvé sur elle, elle répond que celui-ci « appartient à une de mes amies dont je refuse de vous donner l’adresse, ne voulant pas la mêler à cette affaire ». Aux policiers qui insistent, « Il est invraisemblable que votre ami qui vous a quitté le mardi 9 courant ne vous ai fait connaître ni son lieu de destination, ni à quel moment vous pourriez le voir à nouveau », elle finit par concéder : « …je puis vous dire maintenant que j’avais rendez-vous avec lui lundi dernier [lundi 8 décembre ?] dans la salle des Pas-Perdus de la gare Saint-Lazare ; je n’ai pas voulu vous faire connaître cette circonstance plus tôt, ne voulant pas que mon ami soit inquiété par ma faute ». Lecture faite des quatre procès-verbaux d’interrogatoire, Lucienne Palluy persiste… et refuse d’en signer aucun.
Le 20 décembre, elle est conduite au Dépôt de la préfecture de police, sous le Palais de Justice. Dans une note au chef du Dépôt le commissaire Labaume précise « qu’une surveillance toute particulière devra être exercée spécialement » à son égard, ainsi qu’envers deux autres personnes, toutes trois « susceptibles de tout mettre en œuvre tant pour recouvrer leur liberté que pour, le cas échéant, attenter à leurs propres jours ».
Le 14 janvier 1942, conformément aux ordres des autorités allemandes, Lucienne Palluy et les deux personnes arrêtées grâce aux « passes » sont mises à la disposition du Polizei-Direktor de la Gestapo (section IV du BdS pour la France), Karl Bömelburg, dont les bureaux sont alors au 11, rue des Saussaies.
Par la suite, Lucienne Palluy est écrouée au quartier allemand de la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e), au secret.
Le 29 septembre 1942, elle est transférée au camp allemand du Fort de Romainville, sur la commune des Lilas (Seine-Saint-Denis – 93).
- L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).
Lucienne Palluy y est enregistrée sous le matricule n° 806.
Le 22 janvier 1943, elle fait partie des cent premières femmes otages transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »). Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation… Mais Betty Jégouzo confirme ce départ en deux convois séparés, partis un jour après l’autre du Fort de Romainville. Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille.
Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies. Le mot de Lucienne Palluy, écrit au crayon, sera le dernier signe que sa mère aura d’elle.
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir.
Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
- Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.
Lucienne Palluy y est enregistrée sous le matricule 31689. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois-quart, de face et de profil (la photo d’immatriculation de Lucienne Palluy a été retrouvée).
- Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
Lucienne Palluy meurt de la dysenterie au Revier de Birkenau, ayant tout à fait perdu conscience, le 20 février 1943, selon l’acte de décès du camp.
Sa mère décède à l’hospice de Brévannes en 1944, sans savoir ce qu’est devenue sa fille.
Rentrant de captivité, son frère Georges apprend la mort de sa mère par une parente et celle de sa sœur par des rescapées du convoi.
Après la guerre, une plaque aux noms de Lucienne Palluy et de Jules Vercruysse (secrétaire de la fédération CGT du Textile, fusillé à Châteaubriant le 22 octobre 1941) est apposée sur l’immeuble de la Porte de Bagnolet où tous deux ont habité.
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 221.
Frédéric Couderc, Les RG sous l’occupation, Quand la police française traquait les résistants, éditions Olivier Orban, Paris janvier 1992, pages 73-76.
Jean-Marc Berlière, Franck Liaigre, Le sang des communistes, Les Bataillons de la jeunesse dans la lutte armée, Automne 1941, Nouvelles études contemporaines, éditions Fayard, février 2004, Annexe 2, page 295.
Archives de la préfecture de police (Paris), site du Pré-Saint-Gervais ; dossiers de la BS1 (GB 62), « affaire Dumont – Palluy et autres », 15 décembre 1941.
Site de l’association Mémoire et création numérique, animée par François Tanniou, Alexis Sevaille et Sophie Raoult, Les plaques commémoratives, sources de mémoire (aujourd’hui désactivé – nov. 2013).
MÉMOIRE VIVE
(dernière modification, le 3-01-2015)
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[1] Organisation spéciale (O.S.) : organisation du Parti communiste clandestin créée à partir de septembre 1940, constituée de petits groupes armés, à l’origine pour protéger les militant(e)s prenant la parole en public, les distributeurs de tracts et les colleurs d’affiches, elle est devenue le premier cadre de la résistance armée, précédant les Francs-tireurs et partisans (FTP).