Marie, Madeleine, Plantevigne naît le 11 avril 1897 à Aigre (Charente – 16), chez ses parents, Pierre René Plantevigne, 27 ans, et Berthe Ploquin, 24 ans, cultivateurs au lieu dit La Broussette. Dans la biographie qu’elle a rédigée, Charlotte Delbo utilise couramment son deuxième prénom – Madeleine -, qui est très probablement son prénom d’usage. Madeleine a une sœur, Gabrielle, née le 11 avril 1900 (mariée le 27 avril 1920 à Aigre avec Léon Bégouin, domiciliée à Nancy après la Libération), et un frère, Marc, Jean, André, né le 29 juillet 1907.
Le 9 septembre 1919, à Aigre, Marie, Madeleine, Plantevigne épouse Gustave, Maxime, Normand, né le 21 janvier 1893 à Bernac (16), lui aussi cultivateur, “renvoyé dans ses foyers” dix jours auparavant (le 30 août 1919) après avoir été mobilisé comme caporal au 5e régiment de tirailleurs algériens (blessé par balle à la cuisse, Croix de guerre avec étoile…). Ils n’auront pas d’enfant.
Le couple s’installe rapidement chez les parents de Gustave, à Germeville, section de la commune voisine d’Oradour(-d’Aigre) [1]. Almand (parfois orthographié Armand) Normand et Julie Jouinot, son épouse, hébergent aussi leur fille Alida, sœur cadette d’Auguste, née le 19 août 1894. En 1931, la famille compte également un oncle de Gustave, Félix Jouinot, né en 1868. Début 1936, un deuxième foyer s’est créé à Germeville ; Gustave et Madeleine ont probablement gardé la ferme, où ils y vivent toujours avec Félix Jouinot, hébergeant également Marie Florine Roucher, grand-mère de Madeleine, âgée de 85 ans ; de son côté, Almand Normand (veuf ?), 76 ans, habite avec sa fille Alida, 42 ans. Le 24 décembre de cette année 1936, celle-ci se marie à Oradour avec André Gornas.
Avant-guerre, selon Charlotte Delbo, Gustave et Madeleine Normand exploitent donc une jolie ferme à Germeville : quinze hectares en polyculture, trois chevaux, des moutons. Attenante à la ferme, une petite maison qui est comme le salon : on y entre en chaussons pour lire. Des planches courent sur tout un côté de la pièce, chargées de livres.
Gustave Normand est militant du Parti communiste, responsable départemental. En octobre 1937, le PCF le présente comme candidat aux élections cantonales dans la circonscription d’Aigre.
Après l’interdiction du Parti communiste en septembre 1939, certains des livres politiques de la bibliothèque des Normand leur font risquer des poursuites judiciaires. L’instituteur du pays possédant aussi beaucoup d’ouvrages interdits, Gustave Normand mure le fond de la classe et ils les cachent tous dans ce “double fond”.
Dès le début de l’occupation, le couple est dans la résistance : leur tâche quotidienne est de recueillir les fonds, cacher des résistants, leur faire franchir la ligne de démarcation, leur fournir ravitaillement et argent.
En 1941, ils sont repérés. Il faudrait s’en aller : Gustave hésite à quitter la ferme familiale… Madeleine l’entraîne. Ils placent les chevaux chez des voisins, les moutons chez les uns et chez les autres. Des amis, les Gauvin, veilleront sur la terre. Le couple dispose de l’argent issu de |’héritage laissé par le père de Gustave à son décès, deux ans plus tôt.
Le 20 juillet, Madeleine et son mari louent une propriété “bourgeoise” à Thénac, un village près de Saintes (Charente-Maritime). Mais ils y sont bientôt débusqués. Au début de mars 1942, ils décident de passer complètement dans l’illégalité.
Vers le 10 mars – en attendant que le responsable de l’organisation leur apporte nouvelles consignes et fausses cartes d’identité -, le couple Normand va loger gratuitement chez une ancienne connaissance de Madeleine, Paulette Lelong, épouse du cheminot Jean Poilane [2], domiciliés au 4, petite rue de la Grand-Fond à Saintes.
Au contraire de son mari, qui sort peu de leur hébergement provisoire, Madeleine – sous le pseudonyme de “Nicole” – va chercher des tracts chez le cheminot Alexandre Lemasson, rue du Pont-Amillon à Saintes. Ce responsable de l’organisation communiste clandestine pour la région de Saintes a notamment pour tâche de réunir les cotisations des militants.
L’arrestation
Le 26 mars 1942, Alexandre Lemasson est arrêté par la police française, identifié malgré ses faux papiers. Dès lors, son domicile de la rue du Pont-Amillen est surveillé. Le lendemain, 27 mars, Octave Rabaté, alors responsable politique de la région des Charentes et de Loire-Inférieure du PC clandestin – en lien avec « Pierre » à Paris – arrive à Saintes par le train, porteur de fausses cartes d’identité pour le couple Normand, et se rend chez Alexandre et Marcelle Lemasson. La maison est sous surveillance et la police arrête Octave Rabaté et Marcelle. Les policiers saisissent les cartes d’identité destinées aux Normand, tamponnées mais vierges, avec leurs photographies.
Selon Charlotte Delbo, Madeleine Normand attendait dans un jardin public ces documents que devait lui apporter Marcelle Lemasson. Celle-ci n’arrivant pas, Madeleine s’impatiente et se rend chez les Lemasson. Ayant sa photo sous les yeux, les policiers la reconnaissent immédiatement. Interrogée, elle dit où elle habite.
Les policiers – un commissaire principal et des inspecteurs de police mobile de la 7e brigade en résidence à Bordeaux, un commissaire principal des Renseignements généraux de la Charente-Maritime et un inspecteur de la Police de Sûreté de Saintes – vont chez Jean Poilane, l’y trouvent ainsi que Gustave. Lors de la perquisition des pièces habitées par les Normand est trouvée une somme de 39500 francs. « C’est le parti communiste qui vous a donné cet argent ? – Non, c’est le produit de la vente des bêtes. » On les emmène à la mairie d’Aigre pour les confronter avec leur acheteur : c’était vrai. Gustave a quand même été battu. Tous leurs biens sont saisis. Les deux hommes sont arrêtés à leur tour.
Une procédure judiciaire est engagée par le Parquet de Saintes. Mais, après quatre jours d’interrogatoire par la 7e brigade de police mobile, tout le groupe (Rabaté, Marcelle Lemasson, Poilane – qui seront déportés, et reviendront -, les époux Normand) est transféré à Paris et passe quelques jours dans les bureaux de la 1re brigade spéciale (anticommuniste) des Renseignements généraux pour de nouveaux interrogatoires En effet : « Avec ces dernières arrestations, se termine définitivement l’affaire enclenchée à la suite des surveillances exercées à l’égard de Pican » (à Paris) ; le lien est à vérifier…
Tous sont ensuite écroués au dépôt de la préfecture, sous le Palais de Justice, île de la Cité.
Le 24 août, Madeleine Normand fait partie d’un groupe de détenues – dont trente-cinq seront déportées avec elle – transférées au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas [3] (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122, gardé par la Wehrmacht.
Madeleine Normand y est enregistrée sous le matricule n° 679 (et le prénom Marie). Elle y aperçoit Gustave, arrivé en même temps qu’elle dans un groupe d’hommes et devenu presque aveugle à la suite des coups reçus lors des interrogatoires.
Le 22 janvier 1943, elle fait partie des cent premières femmes otages qui sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »).
Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites en camion à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).
La mère de Madeleine meurt de chagrin le jour de sa déportation, le 24 janvier 1943.
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL [4] Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.
Le lendemain matin, après avoir été extraites de wagons et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
Madeleine Normand y est enregistrée sous le matricule 31678. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie de la police judiciaire allemande : vues de trois-quart avec un couvre chef (foulard), de face et de profil. La photo de Madeleine Normand n’a pas été retrouvée.
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive).
Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
Madeleine Normand meurt le 23 février 1943. Charlotte Delbo relate : « Elle a été tuée […] quand nous étions au Block 26. Il n’y avait pas de toilettes, ni d’installations sanitaire ; quand on se levait la nuit, il fallait faire ses besoins dans une brouette de tôle placée exprès devant la porte du Block ; une stubova armée d’un bâton veillait. Cette nuit-là, Madeleine, qui avait la dysenterie, n’a pu attendre d’être à la brouette. La stubova l’a rouée de coup. Madeleine est rentrée dans le Block en hurlant : “Marie-Claude, elle me tue” [5], poursuivie par la furie qui la battait toujours. Ses camarades l’on hissée sur le carré où elle couchait. La nuque fracassée, elle est morte dans la nuit. »
Gustave Normand, conduit au fort de Romainville (matricule 767) le même jour que Madeleine, y est resté en qualité d’otage (« Sühneperson »). Le 2 octobre 1943, il est fusillé au fort du Mont-Valérien, à Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine) parmi cinquante hommes désignés en représailles de l’exécution de Julius Ritter, président allemand du service de la main-d’œuvre en France, par un groupe des FTP-MOI le 28 septembre. Jean Sabail, le mari de Léonie (31745), et René Damous, mari de Madeleine (31690), font également partie des fusillés.
Aujourd’hui, la ferme où habitaient les époux Normand n’existe plus. Sur la route D 76, entre le village de Germeville et la mairie, un monument isolé a été dressé à leur mémoire : « Aux vaillants patriotes d’Oradour, Madeleine et Gustave Normand, victimes de la barbarie fasciste. Inauguré le 26 mai 1946 par Charles Tillon, ministre de l’armement, compagnon de lutte des martyrs d’Oradour ». Une commémoration y est organisée tous les ans, le samedi le plus proche du 2 octobre (date anniversaire de l’exécution de Gustave au Mont-Valérien).
Notes :
[1] Oradour d’Aigre : à certaines époques, la commune est seulement nommée Oradour. Son organisation est très particulière : au centre du territoire, l’église, le cimetière et la mairie sont isolés au milieu des champs, à mi chemin des deux villages principaux, Germeville et Chillé, distant chacun de 1,5 km
[2] Jean Poilane, né le 28 novembre 1913, déporté dans le transport d’au moins 1466 hommes parti le 24 janvier 1943 de Compiègne et arrivé le 25 janvier au KL Sachsenhausen (matr. 58616), affecté au Kommando Heinkel, libéré le 2 mai 1945, décédé en 1989 (Livre-Mémorial FMD, transport I.74, tome 1, page 639)
[3] Les Lilas : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne” (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[4] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.
[5] Marie-Claude Vaillant-Couturier.
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1995), pages 214-215.
Marion Queny, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, notamment une liste réalisée à partir du registre du Haftlager 122 (copie transmise par Thomas Fontaine), pp. 197-204, et p. 114.
Thomas Fontaine, Les oubliés de Romainville, un camp allemand en France (1940-1944), avec le concours du Conseil général de Seine-Saint-Denis, éditions Tallandier, 2005, pages 40-14, 43.
Serge Klarsfeld et Léon Tsevery, Les 1007 fusillés au Mont-Valérien parmi lesquels 174 Juifs, Association des fils et filles des déportés juifs de France, mars 1995.
Site Gallica, Bibliothèque Nationale de France, L’Humanité 14153 du 18 septembre 1937, page 4.
Didier Lavergne, maire d’Oradour d’Aigre : message correctif, photographies (10-11-2020).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 12-11-2020)
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