- Photographiée à Auschwitz-I, au Block 26, le 3 février 1943,
selon les trois vues anthropométriques de la police allemande.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Sophie, Eulalie Richet naît le 17 avril 1897 à Beaurevoir (Aisne – 02), chez sa mère, Marie Richet, 31 ans, journalière, d’un père inconnu. Elle est élevée à Ressons-le-Long (02), entre Compiègne et Soissons.
Le 19 août 1920, à Saint-Quentin (02), elle se marie avec Alphonse Gigand, né le 22 mars 1896 à Saint-Omer (Pas-de-Calais).
Le 4 mars 1921, lors de la naissance de leur première fille, Andrée, le couple habite à Ressons-le-Long (02), au lieu-dit La Montagne. Les témoins devant le maire pour l’inscription à l’état civil sont l’instituteur et le garde-champêtre du village.
Alphonse Gigand est chauffeur de chaudière. Pendant deux ans, il exerce son métier à la distillerie de Ressons.
Il est adhérent du parti communiste.
Son engagement politique génère de nombreux conflits avec ses employeurs, ce qui le conduit à venir habiter à Saint-Bandry par Amblény, commune des environs. Au cours de la guerre de 1914-1918, ce petit village, situé à 4 km de la ligne de front – alors située sur le cours de l’Aisne -, a été presque totalement détruit par les bombardements.
Leur maison – sans eau ni électricité – est une habitation troglodyte, mitoyenne à une carrière sous roche et isolée au milieu des bois de Saint-Bandry (l’endroit est désigné sous le nom de « la carrière » par les gens du voisinage).
- La Carrière (montage). © Collection Michel Gigand.
Le couple y habite avec ses trois enfants : Andrée, Jean, né le 29 mai 1926, et Michel, né le 21 mars 1931 à Saint-Bandry.
À partir de 1936, Alphonse Gigand est chauffeur de chaudière à la râperie annexe de Pouy, sur la commune de Mortefontaine (02), entre Saint-Bandry et Villers-Cotterêts ; le jus de betterave qui y est produit est ensuite envoyé pour transformation à la sucrerie de Berneuil-sur-Aisne, S.A. Sucrière de Berneuil (fermée en 1997, le site est rasé en 2003).
Le 10 octobre 1938, Sophie met au monde leur deuxième fille, Jeanine, née au domicile familial. Selon leurs âges respectifs, les quatre enfants fréquentent l’école communale de Saint-Bandry, qui compte quelques 200 habitants à l’époque.
En 1940, Alphonse Gigand fait entrer son fils Jean, 14 ans, dans la râperie où il travaille.
En 1940, Alphonse Gigand fait entrer son fils Jean, 14 ans, dans la râperie où il travaille. Sa fille Andrée a tenté de se placer dans une famille bourgeoise à Soissons, mais ne s’y est pas adaptée. Avec sa mère, elle participe aux travaux saisonniers d’une exploitation agricole voisine et s’occupe de son frère et de sa sœur plus jeunes.
À partir de l’été 1942, Alphonse Gigand héberge – au su des autres membres de la famille – Justin Éloy [1], un résistant communiste actif dans la lutte armée, « car [son] habitation est sise à l’écart du pays. Pour les besoins de la Résistance, dans le secteur de Vic-sur-Aisne, [le clandestin constitue] un dépôt d’armes et de munitions [qu’ils cachent] dans une carrière à proximité de [son] domicile », et dont l’entrée est bien dissimulée. Michel Gigand se rappelle que les armes étaient cachées dans une ancienne casemate de la guerre 1914-1918, située à environ 300 mètres de la maison. Justin Éloy est logé dans dans le grenier voisin de la maison (sa femme viendra lui rendre visite une fois durant son séjour). La famille Gigand ne parle pas de ses activités, mais il disparait souvent la nuit avec le père de famille. Il a plusieurs sabotages d’écluses et de voies de chemin de fer à son actif, exécutés, entre autres, avec Odette et Lucien Richier.
Selon Charlotte Delbo, Jean, le grand fils de la maison, âgé de 16 ans, graisse et astique les armes. Tous les adultes portent des tracts, en distribuent. Michel Gigand se rappelle de tracts cachés dans un mur du bâtiment voisin auxquels lui et sa petite sœur avaient interdiction de toucher.
De fait, les Gigand sont impliqués dans le petit réseau de Francs-tireurs et partisans du Soissonnais dirigés par André Beck et auquel appartiennent également Odette Richier, de Soissons, sa mère Marguerite et sa sœur Armande.
Le 16 octobre, André Beck et Odette Richier – tous deux sont armés d’un pistolet chargé – sont arrêtés sur la route de Soissons à Villers-Cotterêts lors d’une distribution de tracts. Au domicile d’Odette, la police découvre un important matériel de propagande, de fausses cartes d’identité, deux cachets de mairies.
En octobre également, un autre membre de leur groupe, Norbert Morice, est arrêté. Les Gigand craignent que la police les découvre – le gars était peut-être filé quand il venait chez eux – et quittent leur maison pour se cacher à quelque distance, tout en faisant surveiller les alentours.
Au bout d’une semaine, ils pensent qu’il n’y a plus rien à craindre et rentrent, prudemment, à la nuit tombante. Mais, quelques heures plus tard…
Le vendredi 23 octobre 1942, à 4 heures du matin, deux inspecteurs du SD accompagnés par une vingtaine de soldats allemands font irruption chez les Gigand. Ils perquisitionnent les lieux (« Ils retournent tout ») et finissent par trouver Justin Éloy, caché dans un pilier creux de la carrière.
Dans la casemate sont trouvés : détonateurs, cordons d’allumage, pistolets de l’armée espagnole, une mitrailleuse et munitions.
Les trois hommes sont ligotés ensemble. L’homme de la “gestapo”, qui semble être le chef, décide d’appréhender toute la famille. C’est ainsi qu’ils sont emmenés sans pouvoir prendre de vêtements de rechange, partant avec seulement ceux qu’ils ont pu enfiler au réveil.
Au moment du départ, la mère de famille dit à ses deux petits, Michel, 10 ans, et Jeanine, 4 ans : « Si je ne suis pas rentrée ce soir, allez chez votre tante ». Elle parle de Céline Chatel, une sœur d’Alphonse, plus âgée, habitant Amblény. Les enfants attendent toute la journée, dans le froid, sans manger. À la tombée de la nuit, Michel décide d’aller chez leur tante. Ils y resteront trois années et ne reverront jamais leur mère.
Après une nuit à la caserne de Soissons, les Gigand sont emprisonnés à Saint-Quentin (02) et interrogés par le SD (Sicherheitsdienst, office central de sécurité, « Gestapo »). Ainsi, les 20 et 23 octobre, à Soissons, Saint-Bandry, Ressons-le-Long et Saint-Quentin, une douzaine de personnes – dont les Richier, de Soissons – sont arrêtées par le SD puis remises à la 21e brigade de sûreté de la ville. Le groupe est totalement démantelé.
Le 15 janvier 1943 – à quelques jours du départ pour Auschwitz -, la mère et la fille sont transférées au Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine-Saint-Denis – 93), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122. Sophie y est enregistrée sous le matricule n° 1443 et Andrée sous le 1444. La mère et les filles Richier, de Soissons (02), subissent alors le même trajet.
Le même jour, le père et le fils Gigand, et Justin Éloy, sont transférés au camp allemand de Royallieu, à Compiègne (Oise).
- L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).
Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 21.1 »). Le lendemain, Sophie et Andrée Gigand font partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris).
Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp. Les quatre membres de la famille ont-ils su qu’ils étaient si proches ?
Le lendemain matin, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à pied à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille.
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que ceux des femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir.
Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, les détenues sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
- Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.
Sophie Gigand est enregistrée sous le matricule n° 31844 et Andrée sous le n° 31845. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois-quart, de face et de profil.
On ignore à quelle date Sophie Gigand meurt à Birkenau. Mais, selon le témoignage d’au moins une rescapée repris par Charlotte Delbo, elle aurait pu être prise à la « course » [2] du 10 février et succomber au Block 25, l’antichambre de la mort.
Andrée, sa fille, est morte elle aussi rapidement, mais aucun témoignage n’a été rapporté par les survivantes. Arrivées au fort de Romainville dix jours avant le départ, elles n’ont guère eut le temps de se faire connaitre.
Pour chacune, l’acte de décès établi par l’administration SS du camp fait partie des documents détruits lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Jean Gigand
Jean Gigand a été déporté au KL Sachsenhausen le 24 janvier 1943, dans le même train que les “31000”. Immatriculé sous le n° 58415, il a été affecté au Kommando de travail des usines Heinkel, puis transféré au KL Buchenwald.
Les SS font évacuer Buchenwald en avril 1945. Les détenus marchent vers l’est pendant vingt-sept jours. Ceux qui survivent à la longue marche arrivent en Bohême-Moravie, où les Russes les libèrent avant de les confier aux Américains à Pilsen.
Jean Gigand est rapatrié par avion le 29 mars 1945. Il a dix-neuf ans.
Alphonse Gigand
Alphonse Gigand reste interné au camp de Royallieu pendant neuf mois. Avec Justin Éloy, il est déporté dans le convoi parti de Compiègne le 28 avril 1943 en emportant 876 hommes arrivés au KL Sachsenhausen le 30 avril et 220 femmes arrivées au KL Ravensbrück le même jour, après avoir été séparés à Berlin (ville proche des deux camps). Immatriculé sous le n° 58415, Alphonse Gigand apprend que son fils y est passé avant lui. Dans les semaines suivantes, il est transféré au Kommando de Falkensee, vingt-cinq kilomètres à l’ouest de Berlin, crée pour fournir de la main-d’œuvre aux usines Demag appartenant au groupe Hermann-Göring et fabriquant du matériel ferroviaire, des chars de combat « Tigre », des obus, des pièces détachées d’armement. Les déportés encore présents en 1945 sont libérés sur place. Rescapé lui aussi, Alphonse Gigand sera rapatrié au début du mois de mai.
Mais il rentre dans un état épouvantable, tenant difficilement debout. Avant de regagner son domicile troglodyte, il reste trois mois dans une maison mise à sa disposition afin de pouvoir y reprendre des forces.
Après la clandestinité et la déportation, Justin Éloy rentre enfin chez lui, à Nouvion-sur-Meuse (Ardennes), rue Gilbert-Méon. Il sera élu conseiller municipal communiste (1959-1971), puis maire adjoint (1971-1977) de sa commune, où il décèdera le 27 juin 1992.
À la fin de 1945, les Gigand apprennent par la Croix-Rouge que Sophie et Andrée ont disparu au camp d’Auschwitz.
Alphonse n’obtient pas la carte de Déporté Résistant. Selon Charlotte Delbo : « Il fallait faire des démarches, c’était trop compliqué. »
Fin novembre 1953, Alphonse Gigand remplit trois formulaires de demande d’attribution du titre de déporté politique : un pour lui, un pour son épouse et un pour sa fille, non rentrées de déportation. Le 1er mars 1954, aux gendarmes venus l’interroger sur le bien fondé de sa requête, il déclare : « Je ne connais aucune personne qui aurait pu les connaître dans un camp de concentration en Allemagne. » Dans le procès-verbal qui est dressé, il est déclaré comme jardinier. Son fils Jean réside alors au 32, rue Titon, à Paris 11e.
Le 7 juin 1955, le ministère des Anciens combattants et victimes de la guerre [sic] décide d’attribuer le titre de Déportée politique à Sophie Gigand (en même temps qu’à sa fille) ; son mari reçoit en son nom la carte n° 2102.16149.
Le titre de Déporté politique qu’il a lui-même reçu lui apporte une pension d’invalidité insuffisante pour subvenir à ses besoins. Il tente de reprendre un travail de gardiennage, mais ne peut s’y maintenir. Un examen médical fait diagnostiquer une attaque de tuberculose : les séjours en hôpitaux et en maisons de repos s’enchaînent.
Alphonse Gigand décède le 11 octobre 1965 à Saint-Bandry.
En vue de la rédaction du livre sur le convoi du 24 janvier 1943, les camarades de Charlotte Delbo obtiennent des renseignements sur Sophie et Andrée auprès de son fils Jean, alors domicilié à Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne).
Les noms d’André [sic ?] et de Sophie Gigand sont inscrits – comme victimes civiles ? – sur une plaque faisant office de monument aux morts, apposée sur le mur de la mairie de Saint-Bandry.
À la suite de nombreuses démarches, Jean Gigand obtient finalement le titre de Déporté Résistant en 1995… délivrée à titre posthume, car il est décédé en 1992 (sa veuve reçoit en son nom la carte n° 1001 38206).
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 126-127.
Michel Gigand, fils de Sophie et frère d’Andrée, messages (02-2014).
Josiane Gourjon Gigand, fille de Jean Gigand, message (03-2014)
Livre-Mémorial de la FMD ; Thomas Fontaine, Guillaume Quesnée, convoi I.74, tome 1, pages 577-579, 617 ; Thomas Fontaine, convoi I.95, tome 1, pages 797-798, 823.
Alain Nice, La guerre des partisans, Histoire des Francs-tireurs partisans français, Histoire de la Résistance ouvrière et populaire du département de l’Aisne, édition à compte d’auteur, janvier 2012, pages 48-55 (commande à adresser à Alain NICE – 9 rue de la Tour du Pin – 02250 BOSMONT-SERRE).
Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen, dossier d’Andrée Gigand, cote 21 P 455 369, recherches de Ginette Petiot (message 01-2014).
Site Mémorial GenWeb, 02 Saint-Bandry, relevé de Sabine Aubert (04-2002).
MÉMOIRE VIVE
(dernière modification, le 27-03-2014)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
[1] Justin Éloy, né le 21 février 1910 à Harcy (Ardennes). Après l’obtention du certificat d’études primaires en 1923, il devint ardoisier comme son père. En 1937, il entre à la SNCF en qualité de chauffeur de route au dépôt de Lumes-triage et la famille s’installe dans la ville voisine de Nouvion-sur-Meuse (Ardennes). Justin Éloy est membre du syndicat CGT des cheminots de Lumes et milite au Parti communiste dans sa commune. Sous l’Occupation, avec d’autres cheminots communistes – Albert Villemaux, Arthur Meert et Jules Ruchot – il participe à la Résistance au sein du Front national en liaison avec les communistes du Nord, étant surtout chargé de récupérer les armes abandonnées sur les champs de bataille en mai-juin 1940. Meert le met en relation avec André Beck, avant d’être lui-même arrêté le 27 mai 1942. En juin, Justin Éloy réussit à échapper à la police spéciale de Reims venue l’appréhender (son épouse est emprisonnée à Charleville). Entré en clandestinité, il fuit la région, vit dans les bois et retrouve finalement André Beck à Compiègne (Oise). À Soissons (Aisne), il entre en contact avec Odette Richier. Il obtient une fausse carte d’identité de la mairie de Belleu au nom de « Pierre Béguin ». Durant quinze jours, il vit dans un hangar entre Soissons et Château-Thierry, rencontre à nouveau André Beck dans cette ville, lequel lui fixe rendez-vous à Chauny trois jours plus tard. Après avoir effectué le trajet à pied, Justin Eloy y retrouve André Beck qui l’informe du sabotage de l’écluse prévu le soir même : leur première action commune.
Dans la nuit du 1er au 2 août 1942, vers 1h30, en utilisant des pétards de cavalerie français (mélinite), ils sabotent l’écluse n° 2 dite du Grand Hainaut à Tergnier (trafic interrompu une journée et demie). Après l’explosion, les deux hommes se séparent en s’étant fixé rendez-vous quatre à cinq jours plus tard.
Dans la nuit du 13 au 14 août 1942, à 0h30 du matin, le sabotage de la ligne ferroviaire Paris-Bruxelles, sur la commune de Remaucourt, au passage à niveau entre la gare de Saint-Quentin et celle de Fresnoy-le-Grand, est exécuté par Justin Éloy en compagnie de Lucien Richier sur ordre d’André Beck. Le rail gauche de la voie montante est coupé par l’explosion. Mais les dégâts sont peu importants et la circulation n’est pas interrompue.
Le 24 août, entre 1h45 et 1h50, le sabotage de l’écluse de Leuilly-sur-Coucy sur le canal de l’Oise à l’Aisne, est exécuté par André Beck, Justin Eloy, Odette Richier et Edmonde Chaumeil. Bien que les dégâts soient peu importants, la circulation n’est rétablie qu’au bout de cinq jours, les pièces nécessaires aux réparations devant être fondues spécialement.
Arrêté avec les Gigand, Justin Éloy est déporté de Compiègne à destination du KL Sachsenhausen le 28 avril 1943 avec le père de famille.
Il survit, est rapatrié après la libération des camps et rentre enfin chez lui, à Nouvion-sur-Meuse, rue Gilbert-Méon.
Il renoue avec l’activité syndicale comme délégué du personnel au dépôt de Lumes-triage, notamment lors des grèves ferroviaires d’octobre 1948.
Aux élections municipales de 1959, Justin Éloy est élu conseiller municipal de Nouvion-sur-Meuse sur la liste du Parti communiste, qui remporte tous les sièges. Retraité de la SNCF en 1962, il est réélu en 1965 et 1971. Il devient alors troisième adjoint au maire, Roger Villemaux, et le demeure jusqu’en 1977.
Michel Gigand lui rend visite.
Justin Éloy décède à Nouvion-sur-Meuse le 27 juin 1992. (source : Didier Bigorgne, in le Maitron en ligne)
[2] La « course » par Charlotte Delbo : Après l’appel du matin, qui avait duré comme tous les jours de 4 heures à 8 heures, les SS ont fait sortir en colonnes toutes les détenues, dix mille femmes, déjà transies par l’immobilité de l’appel. Il faisait -18. Un thermomètre, à l’entrée du camp, permettait de lire la température, au passage. Rangées en carrés, dans un champ situé de l’autre côté de la route, face à l’entrée du camp, les femmes sont restées debout immobiles jusqu’à la tombée du jour, sans recevoir ni boisson ni nourriture. Les SS, postés derrière des mitrailleuses, gardaient les bords du champ. Le commandant, Hoess, est venu à cheval faire le tour des carrés, vérifier leur alignement et, dès qu’il a surgi, tous les SS ont hurlé des ordres, incompréhensibles. Des femmes tombaient dans la neige et mouraient. Les autres, qui tapaient des pieds, se frottaient réciproquement le dos, battaient des bras pour ne pas geler, regardaient passer les camions chargés de cadavres et de vivantes qui sortaient du camp, où l’on vidait le Block 25, pour porter leur chargement au crématoire.
Vers 5 heures du soir, coup de sifflet. Ordre de rentrer. Les rangs se sont reformés sur cinq. « En arrivant à la porte, il faudra courir. » L’ordre se transmettait des premiers rangs. Oui, II fallait courir. De chaque côté de la Lagerstrasse, en haie serrée, se tenaient tous les SS mâles et femelles, toutes les kapos, toutes les polizeis, tout ce qui portait brassard de grade. Armés de bâtons, de lanières, de cannes, de ceinturons, ils battaient toutes les femmes au passage. Il fallait courir jusqu’au bout du camp. Engourdies par le froid, titubantes de fatigue, il fallait courir sous les coups. Celles qui ne couraient pas assez vite, qui trébuchaient, qui tombaient, étaient tirées hors du rang, saisies au col par la poignée recourbée d’une canne, jetées de côté. Quand la course a été finie, c’est-à-dire quand toutes les détenues sont entrées dans les Blocks, celles qui avaient été tirées de côté ont été emmenées au Block 25. Quatorze des nôtres ont été prises ce jour-là.
Au Block 25, on ne donnait presque rien à boire, presque rien à manger. On y mourait en quelques jours. Celles qui n’étaient pas mortes quand le “Kommando du ciel” (les prisonniers qui travaillaient au crématoire) venait vider le Block 25, partaient à la chambre à gaz dans les camions, avec les cadavres à verser au crématoire. La course – c’est ainsi que nous avons appelé cette journée – a eu lieu le 10 février 1943, deux semaines exactement après notre arrivée à Birkenau. On a dit que c’était pour nous faire expier Stalingrad. (Le convoi du 24 janvier, pp. 37-38)