Denise, Constance, Roucayrol naît le 26 décembre 1901, à Mazamet (Tarn), chez ses parents, Fernand Roucayrol, 27 ans, mégissier, et Marie Étienne, 22 ans, son épouse, domiciliés rue de la Finarié. Denise a deux ans quand sa mère décède. Son père la confie à l’orphelinat protestant de Montauban (Tarn-et-Garonne), d’où elle sort à l’âge de dix-sept ans pour aller gagner sa vie à Paris.
D’abord manutentionnaire, elle habite 99 rue Darau.
Le 26 août 1922, à Paris 14e, âgée de 20 ans, elle se marie avec Gabriel B., 23 ans, tourneur ; à la mi-mai 1928, le couple habite au 62 rue Jeanne-d’Arc à Paris 13e. Mais leur mariage est dissout par jugement du tribunal civil de la Seine le 28 novembre 1933.
Denise réussit à suivre les cours de l’Assistance publique et devient infirmière diplômée en 1934. Avant-guerre, elle est surveillante à l’hôpital Cochin, 27 rue du Faubourg-Saint-Jacques (Paris 14e).
Elle vit alors maritalement avec François Duclos, né le 19 septembre 1891 à Tressé (Ille-et-Vilaine), chef ouvrier électricien à la Compagnie Parisienne de Distribution d’Électricité (CDPE).
En 1936, ils sont domiciliés dans un immeuble au 9 rue Flatters, à Paris 5e, dans le quartier du Val-de-Grâce. Militant communiste, François Duclos y posséderait « une volumineuse documentation révolutionnaire, ainsi qu’un portrait de Staline dans sa salle à manger » et recevrait « de nombreux visiteurs ».
Denise Roucayrol est sympathisante du Parti communiste (militante selon Charlotte Delbo).
Elle est adhérente au Syndicat des Services hospitaliers de la région parisienne.
Après la déclaration de guerre, fin août 1939, François Duclos est mobilisé comme “affecté spécial” sur son poste de travail à la CDPE.
Le 13 avril 1940, il est arrêté par la police française. Une perquisition opérée par la Sûreté nationale ne donne guère de résultat car, peu avant, il aurait pris soin de brûler « tous ses documents compromettants ». Puis il est mis à la disposition de l’autorité militaire pour infraction au décret du 26 septembre 1939. Il est écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e).
Peu après, le 10 juin juin 1940, lors de l’invasion allemande, François Duclos fait partie des détenus de prévention des prisons parisiennes “évacués” sous escorte armée vers le sud de la France. Le 20 juin, il est interné au camp français de Gurs (Basses-Pyrénées / Pyrénées-Atlantiques), assigné à la baraque 11 de l’ilot B. Le 7 novembre, il est transféré au camp de Mauzac (Dordogne – 24). Traduit devant le IIIe tribunal militaire de Paris qui s’est replié à Périgueux (24) durant l’Exode, il est acquitté le 24 décembre suivant. [message de Louis Poulhès, 11/04/2024] [2]
Fin mai, début juin 1940, Denise Roucayrol est dénoncée à la police par la concierge de son immeuble et deux voisines, dont une épicière, « pour avoir, à plusieurs reprises – et depuis l’arrestation de Duclos, écroué à la Santé pour propagande communiste – fait l’apologie de Staline et des Soviets, et tenu aux témoins des propos défaitistes tels que : “Paris sera mis à feu et à sang. C’est une honte ! Nos soldats ont été désarmés. Après la guerre, il y aura un règlement de compte. Les Allemands seront à Paris sous peu ; à leur passage à Meaux, nous commencerons à nous soulever, nous, les communistes. Etc.” » Le 5 juin, elle est arrêtée par un inspecteur de la police judiciaire, et inculpée de “Propos défaitistes et alarmistes”, sanctionnés par le décret du 20 janvier 1940.
À la fin décembre 1940 [date à vérifier…], elle est libérée de l’établissement pénitentiaire de Fresnes (Seine / Val-de-Marne), après une manifestation au quartier des femmes où elle est détenue (selon Charlotte Delbo).
L’Assistance publique refuse d’abord de la réintégrer, puis la reprend, mais en la mutant dans un autre établissement : en 1942, elle est affectée à l’hospice du Kremlin-Bicêtre (Seine / Val-de-Marne), en service de nuit.
Au début de l’année 1942, le Parti communiste clandestin tente de reconstruire un réseau de militants actifs dans la région sud de la région parisienne – secteur Villejuif / Kremlin-Bicêtre / Petit-Ivry – incluant l’hospice de Bicêtre. D’anciens militants ou sympathisants sont “pressentis” par des “responsables” qui inscrivent leurs noms sur des listes permettant ensuite d’aller les solliciter pour participer à différents types d’actions.
Yves Glévarec, militant de Villejuif, commence ce travail de reconstruction avec Charles Schmidt (pseudonyme “Victor”), ancien brigadiste, responsable dans ce secteur de l’Organisation spéciale (OS) du PCF clandestin (appelée quelques mois plus tard à intégrer les Francs-tireurs et partisans – F.T.P.).
Au cours du mois de janvier 1942, Yves Glévarec demande à René D., infirmier à l’hospice de Bicêtre, si celui-ci accepterait de rejoindre « l’armée populaire », autrement dit l’O.S. Prenant le pseudonyme de “Bernard”, celui-ci passe sous l’autorité de Schmidt.
Peu après, Denise Roucayrol lui donne un pistolet automatique 6 mm 35 qu’elle possède à son domicile (provenance non déterminée) et dont elle veut se débarrasser ; D. considérera désormais cet engin comme son arme personnelle… mais il n’aura pas l’occasion de s’en servir.
Dans la matinée du 22 avril suivant, Charles Schmidt est arrêté alors qu’il vient de tirer des coups de revolver sur un militaire allemandassis au volant d’un camion dans un garage réquisitionné de la STCRP [3] à Malakoff (Seine / Hauts-de-Seine), sans l’atteindre ; une action solitaire menée de sa « propre initiative », sans “couverture”. Deux ouvriers français du garage l’ont poursuivi en camion et – après qu’il ait tiré dans leur direction sans les atteindre – sont parvenu à le maitriser dans une impasse avec l’aide d’un passant. Des gardiens de la paix viennent le chercher pour le conduire au poste de police du 14e arrondissement.
Réponse : Il y a environ trois mois, alors que je sortais de prison, après avoir eu un non-lieu [25 mars ?], et craignant avoir des ennuis avec cette arme qui se trouvait à mon domicile, j’ai demandé au garçon de salle, le nommé D. que je connaissais, s’il voulait la prendre. Il a accepté et je lui ai remis le lendemain.
Sur interpellation : Si j’ai pensé à offrir cet arme à D., c’est que je savais qu’il avait un jardin et qu’il pourrait le cacher en l’enterrant dedans.
Sur interpellation : Au moment de la remise de ce pistolet, D. ne m’a pas dit l’usage qu’il comptait en faire. De mon côté, je ne lui ai rien demandé, trop heureuse de m’en être débarrassée. […] Je précise que si cette arme se trouvait chez moi, c’est qu’à l’époque où j’aurais dû la remettre au commissariat de police, je me trouvais en prison. »
Le 5 août, trois résistants communistes lancent deux grenades sur des soldats de la Lutwaffe qui s’entraînent au stade Jean-Bouin à Paris 16e, faisant au final trois morts et quarante-deux blessés. Depuis Berlin, Adolf Hitler exige une riposte exemplaire.
Le 10 août, Denise Roucayrol et Alphonsine Seibert font partie du groupe de 21 résistantes communistes de la Seine et de province internées au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122 ; Denise Roucayrol y est enregistrée sous le matricule n° 632.
Le même jour, 10 août, le général SS Karl Oberg, qui vient d’être nommé à la tête de la répression en France occupée, décide de fusiller quatre-vingt-treize otages « en représailles à l’attentat du stade Jean-Bouin à Paris et de divers attentats qui provoquèrent 31 morts allemands dans le même mois ». Rassemblés en provenance de plusieurs lieux de détention, les hommes désignés sont enfermés dans une des casemates du fort de Romainville.
Le lendemain matin 11 août, ils sont conduits au fort du Mont-Valérien pour y être exécutés. Parmi eux, plusieurs membres du groupe de Bicêtre – Georges B., Georges Frémond, MbS, Paul Renaud – Charles Schmidt, ainsi que de nombreux époux ou compagnons de futures “31000”, pris dans d’autres “affaires”. Le jour même, le journal collaborationniste Le Matin annonce dans un « Avis » que « pour répondre à chaque attentat […] 93 otages terroristes qui ont été convaincus d’avoir commis des actes de terrorisme ou d’en avoir été complices » ont été fusillés. En fait, cinq des otages désignés n’ayant pas été conduits à temps à Romainville ont échappé à cette exécution.
Le rapport justifiant l’exécution d’un des condamnés, Jean-Baptiste Douvrin, de Montrouge, précise que son nom a été identifié par la police française sur la liste saisie chez Schmidt (il fut parmi les premiers arrêtés, le 23 juin) et qu’il a été considéré comme « rallié à l’OS en avril 1942 par le responsable du recrutement Clévarec et présenté au dirigeant régional Schmidt. Il refusa bien d’entrer à l’O.S., mais s’est rendu coupable de complicité avec l’ennemi, car, connaissant l’existence de l’organisation et ses objectifs, il n’en a pas fait rapport ». Ainsi, il ne suffisait pas de refuser un engagement dans la résistance : il fallait dénoncer.
Le 17 septembre suivant, répondant à une interrogation des services de Brinon, la préfecture de police transmet une courte note : « [Roucayrol Denise] a été arrêtée le 23 juin 1942 pour complicité de menées terroristes […] et mise à la disposition des Autorités d’Occupation ».
Le 22 janvier 1943, Denise Roucayrol et Alphonsine Seibert font partie des cent premières femmes otages transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « 22,1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »). Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police). Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen [4], tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.
Le lendemain matin, après avoir été brutalement descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
Denise Roucayrol y est enregistrée sous le matricule 31646. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rang de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois quarts avec un couvre-chef (foulard), de face et de profil (la photo d’immatriculation de Denise Roucayrol a été retrouvée, puis identifiée par des rescapées à l’été 1947).
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises.
Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
Selon ses camarades rescapées, Denise Roucayrol meurt du typhus exanthématique en avril 1943.
Excepté sa photographie d’immatriculation, toutes les archives de l’administration SS la concernant ont été détruites au moment de l’évacuation du camp en janvier 1945. Aucun avis de décès.
Notes :
[1] Le Kremlin-Bicêtre : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne” (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] François Duclos : Après sa relaxe, fin 1940, il réside pendant un temps à Mazamet – alors en zone non occupée – effectuant des démarches pour revenir à Paris. Le 28 juin 1941, désigné par la police française comme « meneur communiste très actif », François Duclos est interné administrativement pour infraction au décret du 18 novembre 1940, puis rapidement remis aux autorités d’occupation. Il est très probablement libéré, puisque, le 18 janvier 1943, à Mazamet, il pourra se marier avec Simone M.
[3] STCRP : Société des transports en commun de la Région parisienne, société qui a obtenu la régie des transports de voyageurs en surface de 1921 à 1941 dans l’ancien département de la Seine et pour le compte de cette collectivité ; réseaux de tramways (jusqu’en 1928) et d’autobus.
[4] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilise l’abréviation “KZ”.
Source :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 253. Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 253.
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : registre de main-courante du commissariat de quartier du Val-de-Grâce, du 28 octobre 1937 au 18 novembre 1940 (C B 19 34), acte n° 241 ; dossier de la BS 2 (G B 17) ; dossier individuel au cabinet du préfet (1 W 556-14784) ; dossier individuel aux Renseignements généraux (77 W 340-157747).
Liste des photos d’Auschwitz « identifiées de camarades non rentrées », Après Auschwitz, bulletin de l’Amicale, n°17 septembre-octobre 1947, page 3.
MÉMOIRE VIVE
(dernière modification, le 13-04-2024)
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