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Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Esterina (ou Estellina ?) Ruju naît le 23 janvier 1885 à Chiaramonti, au nord de la Sardaigne (Italie), fille de Nicolas Ruju et de Francesca.

Arrivée en France à une date inconnue, elle conserve un accent difficile à identifier.

À une date restant à préciser, elle prend la nationalité française par mariage. Le 18 décembre 1916, elle divorce de Maurice Uffler.

Sa mère vit à Marseille, alors que son père habite en Sardaigne.

À partir du 15 avril 1936 et jusqu’au moment de son arrestation, elle est domiciliée au 53, avenue de Ségur, Paris 7e.

Elle est cuisinière. Du 18 avril 1935 au 6 mars 1939, elle fait des extras dans différents restaurants de la capitale, mais ne travaille en fait que cinq mois et onze jours. Durant cette période, elle est secourue à plusieurs reprises par le fonds de chômage du 7e arrondissement.

La police lui suppose des sympathies communistes : de 1936 à 1938, lors de la construction du nouveau ministère des Postes, dans la longueur de l’avenue de Ségur, en face de chez elle, elle approuve par des slogans et des chants révolutionnaires les « incidents de chantier », syndicaux et politiques, qui s”y produisent.

Le 15 mai 1941, elle est embauchée à l’office du restaurant La Brune, sis au 42, avenue de la Motte-Piquet, dans son quartier. Vers le 31 décembre, elle est arrêtée par la Geheime Feldpolizei « à la suite d’incidents survenus » (?) dans l’établissement où elle travaille.

Esterina Ruju est la première des futures “31000” à avoir été internée au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas [1] (Seine / Seine-Saint-Denis), élément d’infrastructure du Frontstalag 122. Le 8 avril 1942, elle y est enregistrée sous le matricule n° 472.

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L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).

Là, elle ne reçoit jamais ni lettre ni colis. Elle couche à l’étage inférieur du lit dont Vittoria Daubeuf, « Viva », occupe le haut. Viva lui donne de ce qu’elle reçoit. Et Ruju – ses compagnes l’appellent ainsi, comme si elle n’avait pas de prénom – se propose toujours pour quelque menue besogne : coudre un bouton, laver du linge. Elle y gagne une réputation de femme toujours prête à rendre service. Par ailleurs, elle garde tout ce qu’elle peut ramasser ici ou là, comme une avare.

Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne, Oise (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »).

Le lendemain, Esterina Ruju fait partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites en camion à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille..

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En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL [2] Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir.

Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

à l’arrivée à Auschwitz, Lucienne Thévenin, « Lulu », aide Ruju à porter une énorme valise, pleine de choses hétéroclites et inutiles, amassées durant sa détention au fort de Romainville.

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Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Esterina Ruju est enregistrée sous le matricule 31838. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois-quart, de face et de profil (la photo d’immatriculation d’Esterina Ruju a été retrouvée, puis identifiée par des rescapées à l’été 1947).

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Simone Alizon, « Poupette », assiste à la mort d’Esterina Ruju : « Je l’ai vue tomber comme une feuille tout doucement, un jour, aux briques » (citation Ch. Delbo) ou dans un champ à dépierrer ; un Kommando extérieur. Elle à 58 ans.

Elle meurt à Birkenau le 28 avril 1943, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp, qui indique « pneumonie » pour cause – très probablement mensongère – de sa mort.

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 257.
- Simone Alizon, L’Exercice de Vivre, éditions Stock, avril 1996, 384 pages, ISBN 2-234-04614-9, code-barre 9-782234-046146 ; page 177.
- Marion Queny, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, notamment une liste réalisée à partir du registre de Romainville (copie transmise par Thomas Fontaine), pp. 197-204, et p. 114.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), site du Pré-Saint-Gervais : dossier individuel des Renseignements généraux (77 W 216-129093).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1041 (19225/1943).
- Liste des photos d’Auschwitz « identifiées de camarades non rentrées », Après Auschwitz, bulletin de l’Amicale, n°17 septembre-octobre 1947, page 3 (« RUJU (Mme) »).

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 3-08-2018)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

[1] Les Lilas : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne” (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilise l’abréviation “KZ”.