- Détenue au fort de Romainville.
Sophie Schaub naît le 11 juin 1905 à Welferding (Wölferdingen) [1], en Moselle alors annexée par l’Empire allemand depuis 1871 (traité de Francfort). Après la Première Guerre mondiale, son père occupe un poste assez élevé aux Chemins de fer de l’Est.
À Thionville (Moselle), Sophie épouse Edgar Emmanuel Licht, né le 17 août 1900 dans cette ville, pharmacien (Apotheker), fils de juifs polonais. Le couple a deux enfants : Denise, née le 25 avril 1932, et Jean-Paul Armand, né le 5 janvier 1938, tous deux à Thionville.
En mai 1940, lors de l’Exode devant l’invasion allemande, Thionville est évacué. Les Licht se réfugient à Onzain [2], dans le Loir-et-Cher, habitant un pavillon dans la rue de la Ragadinière.
Le 10 octobre 1942, Sophie, son mari Edgar, les parents de celui-ci et leurs enfants sont arrêtés chez eux par les gendarmes du pays qui agissent – disent-ils – sur ordre des autorités d’occupation d’Orléans.
Pourquoi vient-on ainsi tout à coup les chercher, interroge Charlotte Delbo ? « Aujourd’hui nul ne peut le dire ; on a parlé de “contacts avec la BBC”… sans plus de précision. »
Détenue pendant trois jours à la prison de Blois, Sophie Licht en est extraite par la Feldgendarmerie pour être mise au secret à la prison d’Orléans. Un mois plus tard, le 13 novembre, au sein d’un groupe comptant six futures « 31000”, elle est transférée au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122. Elle y est enregistrée sous le matricule n° 1213.
Sophie ne sait pas ce que devient sa famille, laquelle est internée au camp de Drancy (Seine / Seine-Saint-Denis).
Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne : leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » (transférée à Compiègne le 22.1). Le lendemain, Sophie Licht fait partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
Sophie Licht y est enregistrée sous le matricule 31803. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois-quart, de face et de profil (la photo d’immatriculation de Sophie Licht a été retrouvée, puis identifiée par des rescapées à l’été 1947).
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive).
Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
Sophie tient aux marais et aux appels pendant trois mois.
Comme elle sait l’allemand, elle traduit les ordres à ses camarades.
Elle meurt du typhus, au revier de Birkenau [3] le 16 avril 1943, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).
Les parents d’Edgar Licht – Guillaume, 68 ans, et Caroline, née Weil, 71 ans – ont été déportés depuis la gare du Bourget-Drancy le 11 février 1943 dans le convoi n° 47 emportant 998 personnes, dont 182 enfants. Trois jours plus tard, 141 hommes et 52 femmes sont sélectionnés pour le travail forcé et enregistrés à Auschwitz-Birkenau ; les autres étant gazés dès leur arrivée.
Edgar Licht est déporté avec ses enfants dans le convoi n° 59, parti de la gare de Bobigny le 2 septembre 1943, en emportant 1000 personnes dont 138 enfants. Deux jours après, 232 hommes et 106 femmes “aptes au travail” sont enregistrés à Auschwitz-Birkenau. Les enfants Licht – Denise et Jean-Paul – sont gazés à la descente du train.
Selon Charlotte Delbo, Edgar Licht est immatriculé à Birkenau. De là, il est transféré au KL Sachsenhausen, puis KL Buchenwald. Le 3 avril 1945, lors de l’évacuation du Kommando d’Ohrdruf, il est fusillé par un gardien SS estimant qu’il n’est pas en état de marcher.
Une nièce, seule survivante de la famille, apprend la mort de Sophie Licht par l’Amicale d’Auschwitz, au cours de l’été 1945.
Le 8 mai 1999, à Onzain [2], rue de la Ragadinière, une plaque est apposée au-dessus de la porte d’entrée de la maison où la famille Licht s’était réfugiée : « Mme et Mr WEIL-LICHT, grands-parents, Sophie et Edgar SCHAUB-LICHT, Denise (10 ans) et Jean-Paul (4 ans) ont été arrêtés ici le 10 octobre 1942, déportés et exterminés dans les camps nazis ».
Notes :
[1] Welferding (Welferdinge en Francique lorrain), était une commune à part entière jusqu’en 1963. Le 1er janvier 1964, réunie avec celle de Neunkirch-lès-Sarreguemines, elle devient un quartier de Sarreguemines.
[2] Onzain : en 2017, la commune fusionne avec celle, voisine, de Veuves pour former Veuzain-sur-Loire.
[3] Revier , selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”.
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 181-182.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 724 (18679/1943).
Mémorial GenWeb, Veuzain-sur-Loire (commune nouvelle) / Onzain : plaque commémorative famille Weil-Lich, relevé initial (n° 119272) effectué et photographié par Frédéric Dumait, mis en ligne en août 2022.
MÉMOIRE VIVE
(dernière modification, le 18-05-2024)
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