- Auschwitz-I, le 3 février 1943
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Marie-Thérèse Soureil naît le 6 janvier 1897 à Monein (Pyrénées-Atlantiques [1] – 64), où elle va à l’école.
À une date restant à préciser, elle se marie avec Jean, dit Laurent, Puyooü, né le 15 avril 1895 à Bordeaux (Gironde – 33). Ils ont deux filles, nées vers 1926 et 1933.
En 1924, Laurent, ouvrier-tourneur sur métaux, est embauché aux ateliers Dyle, dans le quartier prolétarien de Bacalan. Les communistes sont organisés dans cette entreprise depuis 1920 et le syndicat de la CGT unitaire y est très actif. Laurent qui, jusque-là, s’était passionné pour la gymnastique, y consacrant tous ses loisirs jusqu’à atteindre un niveau honorable dans les compétitions, est plongé dans la lutte des classes. En 1927, il donne son adhésion au Parti communiste et milite à la cellule du quartier de Bacalan dont il devient le secrétaire.
En 1928, il trouve un emploi plus rémunérateur aux Ateliers Mécaniques Bordelais, 75 rue de Kater. Il y devient secrétaire de la section syndicale CGTU. Il participe aux activités de la cellule des Chartrons située près de son domicile, alors rue Barreyre, à Bordeaux, et devient le secrétaire du Comité de défense de L’Humanité (CDH).
Membre de la Commission agitation et coopérative du Comité régional, Laurent participe à la création d’une coopérative de distribution alimentaire au 70, cours Victor-Hugo, dans le quartier du Prêche à Bègles. En 1934, Marie-Thérèse Puyooü succède à la première gérante et la famille vient habiter dans les locaux. Laurent utilise son temps de loisirs du samedi (semaine de 40 heures) pour assurer des livraisons aux domiciles des coopérateurs de Bègles avec sa cinq-chevaux Citroën.
Puis, il est désigné comme Secrétaire général du rayon sud du Parti communiste. Grand animateur, il crée de nouvelles activités, organise des sorties en car le dimanche : les Abatilles, Cadillac, Saint-Émilion, Castillon, des lieux inaccessibles auparavant aux Béglais. Chaque année, deux cars se rendent à Feugarolles où se tient la grande fête du Parti communiste du Lot-et-Garonne. Dans les ’ »goguettes » à Bègles, on chante, on danse, on s’amuse et Laurent Puyooü ne se fait pas prier pour sauter une table à pieds joints ou faire des claquettes.
Il anime aussi le groupe de la SNCASO de Bacalan avec Labrousse et Delrieu (fusillés le 24-10-1941). En octobre 1939, quand les organisations proches du parti communiste sont dissoutes et interdites, la coopérative de distribution alimentaire du cours Victor-Hugo est mise sous scellés. La famille Puyooü doit déménager et trouve un logement au 5, rue du Prêche à Bègles.
Sous l’occupation, Laurent Puyooü reste actif dans la clandestinité.
Le 22 novembre 1940, Laurent et Marie-Thérèse Puyooü sont interpellés par la police française dans une vague de perquisitions et d’arrestations de communistes lancée par le préfet en accord avec les autorités d’occupation : 148 personnes sont rassemblées au Foyer (ou Hôtel) des Émigrants, au 24 quai de Bacalan sur la Garonne, un immeuble utilisé avant-guerre pour l’hébergement des émigrés en instance de départ vers les colonies et dès lors transformé en Centre de séjour surveillé. Les suspects y sont interrogés – sans violence – par le commissaire spécial Poinsot et son équipe. En mars 1941, la plupart des internés sont transférés au camp français de Mérignac (à vérifier…).
Dans son rapport, l’inspecteur de police Lespinasse décrit le “trésor” sur lequel il vient de mettre la main au cours de sa perquisition chez les Puyooü : « deux statuettes du buste de Lénine, une photographie du même homme, douze numéros du journal “L’URSS en construction”, diverses chansons et refrains du Parti communiste, quinze photographies représentant des défilés ou des meetings, trois “Almanachs ouvriers et paysans” ». Ces preuves à conviction et objets séditieux sont placés sous scellés.
Le commissaire spécial transmet au préfet ses observations concernant Laurent Puyooü : « Des déclarations reçues et des renseignements recueillis, il ressort que l’intéressé a bien appartenu au Parti communiste dans lequel il a eu une activité agissante ». « Vieux militant du Parti, il a été membre du Comité régional et était assidu aux réunions ».
Laurent est transféré au camp de Mérignac. Marie-Thérèse Puyooü est relâchée quelques jours après et mise en résidence surveillée (?). Après la fermeture de la coopérative, elle est employée de commerce.
Le 1er mars 1941, en faisant parvenir le dossier de Laurent Puyooü à la Feldkommandantur 529, le préfet Pierre Alype désigne « …un homme qui, malgré toutes les vicissitudes qu’a traversé le parti, lui est resté fidèle et qui le servirait encore certainement, si l’occasion s’en présentait, même en participant à une action révolutionnaire… ».
Le 21 octobre 1941, à Bordeaux, à l’angle du boulevard Georges V et de la rue de l’Ormeau-mort, un groupe de résistance communiste dirigé par Philippe Rebière et formé de trois hommes circulant à vélo abat un officier allemand qui se trouve être Hans Reimers, conseiller d’administration militaire de la Feldkommandantur 529, chef du service de recrutement des travailleurs français. Cet attentat venant s’ajouter à celui de Nantes, Adolf Hitler et le maréchal Keitel, son chef d’état-major, exigent des représailles massives. Le 22, le délégué du ministre de l’Intérieur à Paris ordonne aux préfets de communiquer aux autorités allemandes des listes d’internés administratifs. Une liste des communistes internés à Mérignac est fournie par la direction du camp, précisant pour chacun sa fonction au sein du parti, établie selon les fiches de police et de nouveaux interrogatoires. La liste définitive des otages est établie “sur dossier” par le capitaine SS Herbert Hagen, responsable du Sipo-SD pour toute la côte atlantique et agent actif de la “solution finale” depuis ses origines, qui y incorpore des résistants de réseaux gaullistes (les enquêteurs sont encore indécis sur l’appartenance politique des auteurs de l’attentat).
Le 24 octobre 1941, Laurent Puyooü (n° 42) est au nombre des cinquante otages fusillés au camp militaire de Souge (champ de manœuvre) sur la commune de Martignas-sur-Jalle (33) ; quinze étaient détenus par les autorités allemandes au Fort du Hâ et trente-cinq étaient internés administratifs au camp de Mérignac [2]. Parmi ces otages se trouvent également Robert, mari de Georgette Bret (31747), Jean, le mari de Germaine Cantelaube, et Louis, le mari de Noémie Durand (31727). Les cinquante corps sont inhumés sur place, dans une fosse commune interdite d’accès aux familles. Publié la veille, l’avis d’exécution n’indique pas le nom des victimes, décision récente de l’administration allemande après l’émotion suscitée par la publication de la listes des fusillés de Nantes et Châteaubriant (les enquêteurs sont encore indécis sur l’appartenance politique des auteurs de l’attentat).
Marie-Thérèse poursuit son activité dans la résistance. Elle héberge des clandestins. Entre autres Pierre Giret, cadre de la résistance communiste arrêté une première fois le 25 mai 1942, évadé le 30 mai (?), de nouveau arrêté, avec sa femme, le 27 juillet.
Le 9 ou le 11 juillet 1942, Marie-Thérèse Puyooü est arrêtée à son domicile, emprisonnée au Fort du Hâ, prison de Bordeaux. Ses filles – seize et neuf ans – sont recueillies par des parents.
Le 16 octobre, Marie-Thérèse Puyooü est parmi les 70 hommes et femmes – dont 33 futures “31000” (les “Bordelaises” et les Charentaises) – transférés depuis le Fort du Hâ et la caserne Boudet de Bordeaux au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine-Saint-Denis – 93), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122. Marie-Thérèse y est enregistrée sous le matricule n° 943.
Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages – dont Marie-Thérèse Puyooü – sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 21.1 »). Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation… Mais Betty Jégouzo confirme ce départ en deux convois séparés, partis un jour après l’autre du Fort de Romainville. Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le lendemain matin, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
- Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.
Marie-Thérèse Puyooü y est enregistrée sous le matricule 31720. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois-quart, de face et de profil (la photo de Marie-Thérèse Puyooü a été retrouvée et identifiée, puis identifiée par des rescapées à l’été 1947).
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où se trouvent quelques compagnes prises à la “course” du 10 février. Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail
Marie-Thérèse Puyooü meurt au Revier de Birkenau le 7 avril 1943, d’après l’acte de décès du camp, vraisemblablement du typhus : c’est le moment où l’épidémie fait rage.
Charlotte Delbo raconte : « Au retour des déportés, les deux filles vont chaque jour à la gare de Bordeaux, guettant l’arrivée de tous les trains : elles espèrent voir leur mère parmi les revenants. Elles ont obtenu la photographie anthropométrique d’Auschwitz, mais l’ont cachée pour ne pas la montrer à leurs enfants. Elles ne la regardent jamais : elles veulent garder de leur mère l’image qu’elles connaissaient. »
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 241.
Serge Klarsfed, Le livre des otages, Les éditeurs français réunis, Paris 1979, pages 29-33.
René Terrisse, Bordeaux 1940-1944, Hommage aux fusillés de Souge, Cahier de la Résistance n°15.
Jacques Loiseau, site La Résistance en Gironde.
Commission d’Histoire du Comité du Souvenir des Fusillés de Souge.
Marion Quény, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, notamment une liste réalisée à partir du registre de Romainville (copie transmise par Thomas Fontaine), pp. 197-204, et page 114.
Liste des photos d’Auschwitz identifiées, Après Auschwitz, bulletin de l’Amicale, n°17 septembre-octobre 1947, page 3.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 976 (18102/1943).
MÉMOIRE VIVE
(dernière modification, le 27-04-2010)
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[1] Pyrénées-Atlantiques : département dénommé “Basses-Pyrénées” jusqu’en octobre 1969.
[2] Quarante-et-un internés administratifs au camp de Mérignac et neuf détenus au Fort du Hâ, selon René Terrisse, À la botte de l’occupant, éd. Aubéron, déc. 1998, pages 27 et 28.