Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943. Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Yvonne, Blanche, Désirée, Toublant naît le 15 janvier 1908 dans la petite commune agricole de Saint-Étienne-de-Chigny (Indre-et-Loire – 37), fille de Désiré Toublant, 41 ans, et de Blanche Angélina Fourrier, 33 ans, son épouse, cultivateurs à la ferme des Cantinières (aujourd’hui une friche isolée dans les bois ?). Yvonne est fille unique ; ses parents emploient des salariés agricoles. Après l’école communale, Yvonne aide à l’exploitation familiale.

Le 23 juillet 1927, à Saint-Étienne-de-Chigny, Yvonne Toublant, âgée de 19 ans, se marie avec Henri Aimé Boudgourd, né le 3 avril 1907 à Luynes (37), âgé de 20 ans et alors soldat au 3e groupe de chasseurs cyclistes à Sélestat (Bas-Rhin). Puis le jeune ménage s’installe dans la ferme des parents d’Yvonne afin de participer à son exploitation.

Yvonne et Henri ont deux filles : Yvette, née en 1927, et Désirée, née en 1930, toutes deux à Saint-Étienne-de-Ch.

Au recensement de 1936, Yvonne et Henri sont seuls à la ferme (???).

En mai-juin 1940, Henri Boudgourd est fait prisonnier de guerre et envoyé dans un Stalag en Allemagne.

Sous l’occupation, Yvonne Boudgourd est dénoncée par un ouvrier agricole l’accusant de cacher des armes : il s’agit en fait du fusil de chasse de son mari. Le 1er octobre 1942, elle est arrêtée chez elle par la gendarmerie française et incarcérée à la Maison d’arrêt de Tours (37), rue Henri Martin.

À l’aube du 6 novembre 1942, Yvonne Boudgourd est parmi les dix-sept prisonnières extraites de leurs cellules pour monter dans deux cars stationnant devant la prison. Dans l’un des deux se trouve déjà Marcelle Laurillou, détenue depuis deux mois à l’école prison Michelet.

Les véhicules s’arrêtent rue de Nantes et les dix-huit détenues sont menées dans la gare de Tours par une porte annexe, échappant ainsi aux regards de la population. Sur le quai, des soldats allemands montent la garde devant le wagon à compartiments où elles doivent prendre place.

Tours, la gare de la ligne Paris-Orléans (P.O.) dans les années 1920. La porte de service par laquelle les Tourangelles ont été conduites vers un train se trouve au fond de la rue de Nantes, à droite. Carte postale colorisée, collection Mémoire Vive.

Tours, la gare de la ligne Paris-Orléans (P.O.) dans les années 1920.
La porte de service par laquelle les Tourangelles ont été conduites vers un train se trouve au fond de la rue de Nantes, à droite.
Carte postale colorisée, collection Mémoire Vive.

À midi, leur train s’arrête à la gare d’Austerlitz, à Paris. On les fait entrer dans une petite salle d’attente équipée de bancs, où des bénévoles de la Croix-Rouge distribuent à chacune un bol de bouillon “Kub” et une tranche de pain noir. Un agent de police française est là pour les accompagner aux toilettes.

Après une attente de plusieurs heures, les prisonnières – toujours encadrées par des soldats – doivent monter dans deux autobus de la RATP.

Dans la soirée, elles arrivent dans la brume au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122.

L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122), surplombée par un mirador. © Musée de la résistance nationale (MRN), Champigny-sur-Marne (94).

L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).

À la Kommandantur du camp, derrière le portail d’entrée, Yvonne Boudgourd est enregistrée sous le matricule 1182. Puis les Tourangelles sont conduites en contrebas du fort. Les gardiens leur annoncent qu’il est trop tard pour les installer dans le bâtiment de caserne : elles seront enfermées dans une casemate pour la nuit. Il est également trop tard pour leur donner à manger : à cette heure, il n’y a plus rien aux cuisines. Mais d’autres prisonnières ayant appris leur arrivée obtiennent l’autorisation de leur apporter des biscuits extraits de leurs propres colis et de la tisane chaude, qui leur procurent surtout un réconfort moral. Dans ce local souterrain humide et glacé, elles ne parviennent pas à dormir.

Le lendemain, elles sont conduites au premier (?) étage du bâtiment. Exceptées trois militantes communistes qui sont intégrées aux premières internées, les Tourangelles rejoignent la chambrée du fond.

Au cours du mois de janvier, un photographe civil des Lilas est amené dans le périmètre de promenade pour y réaliser des portraits des détenu(e)s devant un drap blanc tendu sur les barbelés, chacun(e) étant identifié(e) par une réglette indiquant son matricule.

Selon le registre du camp, le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en cars au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22,1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »).

Le lendemain, Yvonne Boudgourd fait partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes – Seine / Val-de-Marne – et une du dépôt de la préfecture de police de la Seine, Paris).

Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites en camions découverts à la gare de marchandises de Compiègne, sur la commune de Margny, où elles doivent grimper dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

TransportAquarelle

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.

Le lendemain matin, après avoir été brutalement descendues et alignées par cinq sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000” (accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…). © Gilbert Lazaroo, février 2005.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Parvenues à une baraque d’accueil, une première moitié des déportées est emmenée aussitôt vers la “désinfection” et l’enregistrement ; en l’occurrence essentiellement les occupantes de la chambrée “communiste” de Romainville, probablement en fonction de leur numéro d’enregistrement dans ce camp. L’autre groupe, incluant les Tourangelles et dans lequel de trouve Yvonne Boudgourd, passe la nuit à attendre, assis sur les valises, adossé aux planches de la paroi.

Le lendemain, dans ma matinée, ce deuxième groupe reçoit la visite de Mala Zimetbaum, dite « Mala la Belge », détenue arrivée en septembre 1942 (matricule n° 19880) devenue interprète et coursière (Läuferin). Après s’être présentée, celle-ci leur conseille, entre autres : « Surtout n’allez jamais au Revier (hôpital), c’est là le danger. Je vous conseille de tenir jusqu’à l’extrême limite de vos forces. (…) Perdez-vous dans la masse, passez le plus possible inaperçue. »

Yvonne Boudgourd est enregistrée sous le matricule 31792. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, les (dorénavant) “31000” sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.

Le 3 février, la plupart d’entre elles sont amenées à pied, par rang de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois quarts, de face et de profil (la photo d’immatriculation d’Yvonne Boudgourd a été retrouvée, puis identifiée – avec une erreur dans l’orthographe de son nom – par des rescapées à l’été 1947) [1].

Yvonne est probablement prise à la « course » le 10 février 1943 [2]. En effet, ses compagnes constatent le terme de son agonie :  « Par la fenêtre du Block 26 où nous avons été mises le 12 février, nous avons vu son cadavre (…) dans la cour du Block 25,  (…) sur la neige. »

Ce témoignage est confirmé par l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), qui la déclare décédée le 13 février 1943.

En mai 1945, quand les déportés rescapés sont rapatriés, sa famille apprend sa mort par Héléna Fournier, seule rescapée parmi les vingt Tourangelles du convoi.

En France, l’état civil a retenu la date du 6 février 1943 pour son décès.

Yvonne Boudgourd est déclarée morte en déportation (Journal officiel de la République française n° 0270 du 21/11/2009).

Son nom est inscrit sur le monument aux morts de la commune de Saint-Étienne-de-Chigny, situé place Jean Moulin, en face de la mairie.

Notes :

[1] Liste des photos d’Auschwitz « identifiées de camarades non rentrées », in Après Auschwitz, bulletin de l’Amicale, n°17 septembre-octobre 1947, page 3.

[2] La « course » par Charlotte Delbo : « Après l’appel du matin, qui avait duré comme tous les jours de 4 heures à 8 heures, les SS ont fait sortir en colonnes toutes les détenues, dix mille femmes, déjà transies par l’immobilité de l’appel. Il faisait -18. Un thermomètre, à l’entrée du camp, permettait de lire la température, au passage. Rangées en carrés, dans un champ situé de l’autre côté de la route, face à l’entrée du camp, les femmes sont restées debout immobiles jusqu’à la tombée du jour, sans recevoir ni boisson ni nourriture. Les SS, postés derrière des mitrailleuses, gardaient les bords du champ. Le commandant, Hoess, est venu à cheval faire le tour des carrés, vérifier leur alignement et, dès qu’il a surgi, tous les SS ont hurlé des ordres, incompréhensibles. Des femmes tombaient dans la neige et mouraient. Les autres, qui tapaient des pieds, se frottaient réciproquement le dos, battaient des bras pour ne pas geler, regardaient passer les camions chargés de cadavres et de vivantes qui sortaient du camp, où l’on vidait le Block 25, pour porter leur chargement au crématoire.

Vers 5 heures du soir, coup de sifflet. Ordre de rentrer. Les rangs se sont reformés sur cinq. « En arrivant à la porte, il faudra courir. » L’ordre se transmettait des premiers rangs. Oui, iI fallait courir. De chaque côté de la Lagerstrasse, en haie serrée, se tenaient tous les SS mâles et femelles, toutes les kapos, toutes les polizeis, tout ce qui portait brassard de grade. Armés de bâtons, de lanières, de cannes, de ceinturons, ils battaient toutes les femmes au passage. Il fallait courir jusqu’au bout du camp. Engourdies par le froid, titubantes de fatigue, il fallait courir sous les coups. Celles qui ne couraient pas assez vite, qui trébuchaient, qui tombaient, étaient tirées hors du rang, saisies au col par la poignée recourbée d’une canne, jetées de côté.

Quand la course a été finie, c’est-à-dire quand toutes les détenues sont entrées dans les Blocks, celles qui avaient été tirées de côté ont été emmenées au Block 25. Quatorze des nôtres ont été prises ce jour-là.

Au Block 25, on ne donnait presque rien à boire, presque rien à manger. On y mourait en quelques jours. Celles qui n’étaient pas mortes quand le “Kommando du ciel” (les prisonniers qui travaillaient au crématoire) venait vider le Block 25, partaient à la chambre à gaz dans les camions, avec les cadavres à verser au crématoire.

La course – c’est ainsi que nous avons appelé cette journée – a eu lieu le 10 février 1943, deux semaines exactement après notre arrivée à Birkenau. On a dit que c’était pour nous faire expier Stalingrad. »

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 49.

- Liste des photos d’Auschwitz « identifiées de camarades non rentrées », in Après Auschwitz, bulletin de l’Amicale, n°17 septembre-octobre 1947, page 3.

- Site Mémorial GenWeb, relevé de Catherine Rouquet, mis en ligne le 15/06/2008.

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 23-11-2021)

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