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Au fort de Romainville, Haftlager 122.
Collection numérique Mémoire Vive.
Droits réservés.

Hélène Vervin naît le 21 avril 1887 à Chiry-Ourscamp (Oise – 60).

À une date restant à préciser, elle se marie avec Albert Castéra, né le 4 juin 1882 à Bordeaux (Gironde – 33), charpentier sur navires. Ils ont trois fils : René, né le 17 octobre 1909, Gabriel, né le 10 août 1911, et Marcel, le benjamin.

Dans le sillage de son père et de son frère, ouvrier hautement qualifié, Gabriel Castéra est chaudronnier à la SNCASO de Bègles-Birambits [1]. Marcel et Hélène Castéra habitent au 5 cité des Lumières à Bègles.

René et Gabriel sont militants du Parti communiste.

En juin 1936, chaque jour durant un mois, Hélène va porter un panier de ravitaillement à ses deux fils qui occupent l’usine d’aviation.

Reconstitué clandestinement pendant la drôle de guerre, le Parti communiste clandestin se manifeste en permanence à la SNCASO-Bègles sous l’occupation. Mais la police y a placé des indicateurs et les arrestations préventives sont nombreuses. Sollicité par la direction du Parti communiste, Gabriel Castéra passe dans la clandestinité fin 1940 ou début 1941. Il a une “planque” dans les Landes, comme la plupart des membres de la direction clandestine.

De son côté, son frère René, domicilié au 10 rue du Moura à Bègles, poursuit ses activités illégales contre l’occupant. En juin 1942 notamment, il est de ceux qui engagent les ouvriers à faire grève pour obtenir une meilleure nourriture à la cantine. C’est Albert Dupeyron qui y prend la parole.

Quand ses camarades ont besoin d’un gîte sûr, Gabriel Castéra les envoie chez ses parents, à Bègles. Madame Castéra aime ces visiteurs : ils apportent du nouveau, des conversations intéressantes. Elle écoute, elle questionne.

Le 11 juillet 1942, un couple de militants clandestins qui vient de passer la nuit chez les Castéra est arrêté à la gare Saint-Jean de Bordeaux, porteur d’une valise contenant des armes et des tracts. Les tortures ont raison de l’un d’eux qui avoue où ils ont passé la nuit.

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Bordeaux. Hall de la gare Saint-jean.
Carte postale (recadrée), début des années 1950.
Collection Mémoire Vive.

Le 13 juillet, les parents Castéra sont arrêtés et emprisonnés au Fort du Hâ, prison de Bordeaux.

Le fils René échappe à l’arrestation. Mais la police l’a repéré et le suit jusqu’à la planque de Gabriel alors qu’il va le prévenir de l’arrestation des parents. Ils sont arrêtés tous les deux le 14 juillet.

Marcel Castéra, le benjamin, n’est épargné que parce qu’il est pompier du port autonome de Bordeaux et consigné à sa caserne pendant cette période.

Le 21 septembre 1942, les deux fils aînés, Gabriel et René, sont du nombre des soixante-dix otages fusillés au camp militaire de Souge, commune de Martignas-sur-Jalle, avec Raymond Bierge et Robert Noutari, employés à la CNASO de Bègles avec eux, et d’autres parents de futures “31000”, arrêtés dans d’autres circonstances. Ces représailles massives touchent Bordeaux bien que les actions de la résistance armée qui les déclenchent aient essentiellement été menées à Paris ; comme la dernière, frappant le grand cinéma Rex réservé aux troupes d’occupation (Deutsches Soldatenkino) le 17 septembre à 21h55 et faisant deux morts et dix-neuf blessés. [2]

Par charité, les camarades d’Hélène Castéra ne lui annoncent pas ces exécutions.

Le 16 octobre, Hélène est parmi parmi les 70 hommes et femmes – dont 33 futures “31000” (les “Bordelaises” et les Charentaises) – transférés depuis le Fort du Hâ et la caserne Boudet de Bordeaux au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas [3] (Seine-Saint-Denis – 93), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122. octobre, Hélène Castéra y est enregistrée sous le matricule n° 942.

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L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).

Pendant trois semaines, les nouveaux arrivants sont isolés, sans avoir le droit d’écrire, puis ils rejoignent les autres internés (hommes et femmes étant séparés mais trouvant le moyen de communiquer).

Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages, dont Hélène Castéra, sont transférées en camions au camp allemand de Royallieu à Compiègne (selon le registre d’écrou du Fort de Romainville). Un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort les y rejoint le lendemain, auquel s’ajoutent huit détenues extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police). Toutes passent la nuit au camp, probablement dans un bâtiment du secteur C.

Le lendemain matin, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

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En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

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Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Hélène Castéra est enregistrée sous le matricule 31719. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois-quart, de face et de profil. (la photo d’immatriculation d’Hélène Castéra a été retrouvée, mais les rescapées ne l’ont pas reconnue lors de la séance d’identification de l’été 1947).

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Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943,
selon les trois vues anthropométriques de la police allemande.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes. Elles commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Hélène Castéra meurt de la dysenterie à Birkenau le 4 mars 1943.

Marcel Castéra est avisé de la mort de sa mère par un avis d’Auschwitz daté du 13 mai 1943 qu’il doit faire traduire : « Hélène Castéra décédée le 4 mars 1943 à 14 h 10, d’un catarrhe stomacal et intestinal aigu. Le corps a été inhumé dans un cimetière en Allemagne. »

Son père, Albert Castéra, est détenu pendant un temps comme otage. Il échappe probablement de peu à la fusillade du 21 septembre 1942 au cours de laquelle ses fils sont exécutés. Le 1er avril 1943, il est déporté depuis Paris gare de l’Est dans une “petit” transport de 56 détenus “NN” – dont Henri Lescure, mari de Charlotte (31733) et frère de Berthe Lapeyrade (31721). Ils voyagent à dix par compartiment dans des voitures de 2e classe accrochées au train Paris-Berlin. À Trèves, ils sont transférés dans des wagons postaux qui les acheminent au KL Mauthausen. Albert Castéra (matr. 25598) y succombe le 12 février 1944 (H. Lescure est gazé le 6 juillet 1944).

Après la guerre, la municipalité de Bègles nomme à une voie de la ville le nom de rue des Quatre-Castéra [4] la voie où se trouvait la maison des parents. Marcel Castéra y habite jusqu’à sa mort. Dans son livre Charlotte Delbo écrit : « en même temps que les épreuves à corriger, je reçois une lettre de Gilberte Tamisé, datée du 22 septembre 1965, qui me dit “Marcel Castéra est mort la semaine dernière. Il était malade depuis des années (cancer généralisé). Il attendait tellement ton livre…” »

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 65
- Marion Quény, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, notamment une liste réalisée à partir du registre de Romainville (copie transmise par Thomas Fontaine), pp. 197-204.
- Thomas Fontaine, Les oubliés de Romainville, un camp allemand en France (1940-1944), avec le concours du Conseil général de Seine-Saint-Denis, éditions Tallandier, 2005, pages 74 à 86.
- Serge Klarsfeld, Le livre des otages, Les éditeurs français réunis, Paris 1979, Les otages de Bordeaux (20.9.1942), pages 174 à 179, et 233 à 246, fiches allemandes, page 239.
- Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression…, 1940-1945, éditions Tirésias, Paris 2004 ; CASTERA Albert, I.89. pages 694-695, 700-701.
- Commission d’Histoire du Comité du Souvenir des Fusillés de Souge.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 159 (12702/1943).

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 28-04-2010)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

[1] Birambits : nom d’un grand domaine existant au 18e siècle.

[2] Le 16 septembre 1942, la Sipo-Sd, qui a pris en charge de la politique des otages initiée par le haut commandement militaire, décide d’organiser des fusillades massives en représailles de plusieurs attentats organisés par la résistance armée contre les forces d’occupation depuis le 11 août précédent, date des dernières exécutions. Au moment de la décision, le nombre de « victimes expiatoires » (Sühnepersonen) est fixé à quatre-vingt-quatre selon un barême multipliant par deux le nombre des militaires allemands tués ou blessés lors de ces actions. La région parisienne ne disposant pas d’autant d’otages fusillables, il est décidé de prendre des hommes détenus à Bordeaux (deuxième grande ville de la zone occupée) soit pour les conduire au Fort de Romainville, camp d’otages, soit pour les exécuter au camp de Souge ; c’est la deuxième solution qui sera retenue pour des raisons de “sécurité”. Avant même les exécutions, le Docteur Horst Laube, responsable de la section II-Ju de la Sipo-SD en France, considère qu’il « ne serait pas recommandé de fusiller tout de suite tous les otages disponibles à Paris, afin qu’à l’avenir dans les cas imprévus, on puisse trouver à Paris des otages à tout moment » Dans la mesure où le principe en avait déjà été fixé, la fusillade de Souge n’est pas une conséquence directe de l’attentat du Rex, mais celui-ci augmente le nombre d’otages désignés et c’est surtout à Bordeaux que sera trouvé le complément. Le 18 septembre, Karl Oberg, chef supérieur des SS et de la police allemande en France depuis mai 1942, entérine les propositions : « J’ordonne en représailles l’exécution de 116 Français dont 70 à Bordeaux et 46 à Paris. » L’avis affiché précise : « …lesquels ont été trouvés coupables d’activités antiallemandes ou communistes ».

Fiches allemandes :

15. CASTERA René, 17.10.1909 Bordeaux, Bègles.

 

C. est un vieux communiste, soutenait comme membre d’une organisation illégale les membres des groupes terroristes, payait sa cotisation et distribuait des tracts.

16. CASTERA Gabriel-Pierre, 9.8.1911 Bordeaux, Bègles.

 

C. est un vieux fonctionnaire du Parti communiste, dans l’illégalité depuis le début de 1940, payait ses cotisations, distribuait des tracts, hébergeait chez lui des terroristes recherchés par la police, frère du n° 15.

Selon la terminologie allemande, il est évident que « vieux communiste » veut dire « communiste de longue date ».

[3] Les Lilas : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[4] La rue des Quatre-Castéra : en 1966, un biface en silex datant de l’époque paléolithique (environ 150 000 ans avant notre ère) est découvert dans cette rue.