Émile, Joseph, Andrès naît le 30 décembre 1895 à Granges-sur-Vologne [1] (Vosges – 88) fils de Joseph Andrès, 25 ans, ouvrier tisseur [2], et de Marie-Adélaïde Didelot, 21 ans, son épouse, ouvrière tisseuse, domiciliés dans le quartier des Voids. La famille n’apparaît pas dans ce quartier lors du recensement de 1906. Par contre, une famille de tisserands dont le père est Gaspard Andrès est domiciliée dans le quartier de Blanchefeigne.
Pendant un temps, Émile Andrès travaille comme garçon de salle.
Le 19 décembre 1914, il est appelé à l’activité militaire, mais n’est pas touché par son ordre d’appel, étant prisonnier civil en Allemagne. Le 6 octobre 1918, il est rapatrié civil dans un convoi passant par le centre de triage des prisonniers de guerre d’Annecy. Le 27 décembre suivant, il est incorporé comme soldat de 2e classe au 109e régiment d’infanterie. Le 27 mai 1919, il passe au 21e régiment d’infanterie. Le 19 août suivant, il est envoyé en congé illimité de démobilisation et se retire à Saint-Dié (88), titulaire d’un certificat de bonne conduite.
Le 8 janvier 1921, à Saint-Dié, il épouse Marie, Marguerite, Pierre, née dans cette ville le 31 mai 1903. Ils n’auront pas d’enfant.
Il est ouvrier du Livre (imprimerie).
Le 28 avril 1928, il devient gérant du quotidien communiste La Dépêche de l’Aube au lendemain de l’arrestation d’André Batonnier qui faisait suite à une perquisition au siège du journal.
Le 3 juillet suivant, il est lui-même arrêté pour un article sur l’action des réservistes paru dans ce journal. Le 27 juillet, il est condamné à six mois de prison et 500 francs d’amende. Emprisonné, il est présenté par le PC aux élections cantonales à Troyes (Aube – 10) le 7 octobre 1928 et obtient 1219 voix sur 3920 suffrages exprimés.
Il est également candidat communiste aux élections municipales de mai 1929. Il est alors l’un des secrétaires de la région troyenne du PC.
En mai 1929 et jusqu’au moment de son arrestation, il habite au 3, rue Saint-Frobert à Troyes (Aube – 10).
Le 20 octobre 1929 la commission régionale de révision du Parti annonce son exclusion temporaire pour « désintérêt après le 1er août, refus de répondre aux convocations et accusations infamantes envers un camarade ».
En octobre 1932, le mensuel de la CGT ayant attaqué le Secours rouge (SRI), il signe une lettre à Rousselet, responsable de cette organisation, pour déclarer que celle-ci lui avait toujours apporté de l’aide pendant son emprisonnement.
Fin 1938, l’armée l‘affecte comme réserviste au 8e bataillon d’ouvriers et employés d’administration (B.O.A.).
Le 28 août 1939, il est rappelé à l’activité militaire et affecté au 1er bataillon (formation du territoire) à Sens. Le 23 décembre suivant, la commission de réforme de Sens le réforme temporairement n° 2 pour « bronchite chronique, emphysème pulmonaire ». Le 30 avril 1940, la commission de réforme de Troyes le classe service auxiliaire pour « sclérose pulmonaire diffuse, rhume actuel (râles ronflants et bruits musicaux) ».
Au moment de son arrestation, Émile Andrès est déclaré comme garçon de café.
Sous l’occupation, à partir de novembre, il diffuse des tracts du Front national [3]. Ultérieurement, les Renseignements généraux de l’Aube considéreront qu’il « a observé une attitude correcte et indiscutée » (?), sans davantage de détail.
Le 26 février 1942, Émile Andrès est arrêté par des Feldgendarmes (?) ou le S.D. (« Gestapo » ?) ; le même jour que Robert Riché, de Saint-Mards-en-Othe (10), déporté avec lui. Plus tard, son épouse écrira : « Soupçonné de détention de tracts anti-allemand, une perquisition a fait découvrir un colis de tracts venant d’arriver à la maison. »
Détenu pendant un temps à la prison de la rue Hennequin à Troyes (10), Émile Andrès est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 -Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet, Émile Andrès est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45173, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Émile Andrès est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.
Pendant un temps, il est affecté au même Kommando de travail que Jacques Jung (peut-être comme plombier au Kommando Installator, avec également Étienne Pessot). Ayant les pieds blessés par l’état défectueux des chaussures qui lui ont été attribuées, Émile Andrès est admis à l’hôpital du camp. Lors d’une visite médicale, un médecin SS le déclare inapte au travail. Quelques jours plus tard, un camion vient chercher les malades sélectionnés pour les conduire vers une chambre à gaz ; ceux-ci sont obligés de se déshabiller, ne conservant qu’un caleçon au moment de monter à l’arrière du véhicule. Jacques Jung est témoin des pleurs d’Émile Andrès qui sait le sort qui l’attend (voir ci-dessous).
Il meurt à Auschwitz le 16 septembre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).
Le 27 mai 1945, à Romilly-sur-Seine, Marius Zanzi, rescapé du convoi, rédige et signe une attestation selon laquelle Émile Andrès serait « décédé au camp d’Auschwitz en novembre 1942 ».
Le 4 août 1945, La Dépêche de l’Aube déclare : « Nous perdons en lui un camarade courageux. »
Au cours de l’été, il semble que Georges Hanse et Étienne Pessot, autres rescapés du convoi, agissant au titre de la Fédération nationale des centre d’entr’aide des internés et déportés politiques, rue Leroux (Paris 16e), envoient à Madame Andrès des déclarations certifiant le décès de son mari « en novembre 1942 ».
Le 1er mars 1946, à Romilly-sur-Seine, un gendarme de la brigade locale recueille le témoignage de Marius Zanzi au sujet du mari de Madame veuve Andrès, née Marie Pierre. Le rescapé croit se rappeler qu’Andrès « était gérant du journal La Dépêche avant l’occupation ». Selon lui, ce camarade a été atteint du typhus et transporté à l’infirmerie « au printemps 1943 » avant d’être envoyé à la chambre à gaz (donc, en indiquant une autre date). Le 20 mars, à Cachan, deux gendarmes de la brigade locale recueillent le témoignage d’Étienne Pessot au sujet d’un nommé « Marie Andrès » (confusion avec le prénom de son épouse ou son statut dans leur couple). Le rescapé relate l’épisode de chaussures blessant le pied de ce camarade jusqu’à son envoi à l’hôpital, puis son transport en camion vers la chambre à gaz deux ou trois jours plus tard. Il indique qu’un membre de leur groupe pourrait donner de plus amples renseignements : Georges Hanse. Le 13 avril, à Beauvais, un gendarme de la brigade locale recueille le témoignage de celui-ci au sujet de « Marie Andrès » (une fois encore !). Le rescapé relate le même épisode tragique (mauvaises chaussures, hôpital, chambre à gaz). Mais, ne se rappelant pas du nom « Andrès », il attribue ce sort à celui que lui et ses camarades nommaient exclusivement « Marie », et dont le matricule pouvait être 45853 – il s’agit en l’occurrence de celui attribué à Henry Mary, de Clichy-la-Garenne (Seine / Hauts-de-Seine). Georges Hanse indique enfin que des renseignements complémentaires peuvent être recueillis auprès de Jacques Jung. Le 25 avril, à Homécourt, deux gendarmes de la brigade locale recueillent le témoignage Jacques Jung au sujet – toujours – de « Marie Andrès ». Le rescapé confirme les conditions du décès d’Andrès à Auschwitz, sans néanmoins indiquer de date (pas plus que Pessot et Hanse).
Le 7 juin suivant, Marie Marguerite Andrès complète et signe un formulaire du ministère des anciens combattants et victimes de la guerre (ACVG) pour demander la régularisation de l’état civil d’un « non-rentré ». Le 9 décembre suivant, Joseph Edmond Andrès, père d’Émile, complète et signe un formulaire du ministère des ACVG pour demander l’inscription de la mention “Mort pour la France” sur l’acte de décès d’un déporté politique.
Le 16 mai 1947, l’officier de l’état civil alors en fonction au ministère des ACVG dresse l’acte de décès officiel d’Émile Andrès « sur la base des éléments d’information figurant au dossier du de cujus, qui nous a été présenté ce même jour » (probablement la première attestation de Zanzi) et en en fixant la date « en novembre 1942 ». Cet acte est transcrit sur les registres d’état civil de Granges-sur-Vologne et de Troyes les 20 et 21 mai 1947. La mention “Mort pour la France” est ajoutée quelques semaines plus tard.
Le 2 juin 1948, Marcel Rose, ancien sous-lieutenant de l’état-major national FTPF rédige un certificat selon lequel Émile Andrès a rejoint son groupe en novembre 1941, au sein duquel il était chargé de répartir les colis de tracts et de matériel reçus de Paris.
Le 30 juin 1950, Marguerite Marie Andrès, alors domiciliée Prairie d’Hellieule à Saint-Dié, complète et signe – en qualité de conjointe – un formulaire du ministère ACVG pour demander l’attribution du titre de Déporté Résistant à son mari à titre posthume. À la rubrique « circonstances de l’arrestation », elle indique – en plus de diffusion de propagande – « … et comme otage en répression d’un officier allemand tué par les maquisards à Paris », désignant parmi les « personnes impliquées dans la même affaire » Messieurs Zimberlin et Michel, cafetier à Troyes. Mais un ajout marginal au crayon réfute ce lien (à vérifier…). À l’appui de sa demande, elle ajoute au dossier un certificat d’appartenance de son mari à la Résistance intérieure française (RIF), avec le grade fictif de “soldat”, homologation du 19 avril 1950, et une attestation du Front national établie le 11 janvier 1951. Le 30 mars 1951, la Commission départementale des Vosges des internés et déportés de la résistance (DIR) propose le rejet de la demande « en raison d’une activité au caractère strictement politique », suivie par la décision du ministère : Émile Andrès reçoit le titre de déporté politique. La carte DP n° 1119.17069 est envoyée à sa veuve le 6 octobre 1955.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès d’Émile Andrès (J.O. du 11-03-1988).
Notes :
[2] Les usines textiles de Granges-sur-Vologne : En 1856, Étienne Seitz fonde à Granges-sur-Vologne la Filature et le tissage de Namur comportant respectivement 4400 broches et 84 métiers à tisser. En 1860, il crée une filature à Aumontzey, à 3 km en aval de Granges. En 1884, à la suite du décès d’Étienne Seitz, son gendre, Didier Walter, et son épouse héritent de l’entreprise familiale et la rebaptise « Walter-Seitz ». À partir de 1989, l’entreprise Walter-Seitz et son site industriel intègrent la Société des Textiles de Granges-sur-Vologne (T.G.V.).
[3] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN”, jusqu’à son changement d’appellation le 1er juin 2018).
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 380 et 393 (indique domicilié à Saint-Dié).
Rémi Dauphinot et Sébastien Touffu, La déportation de répression dans l’Aube, fichier ressource pour le Concours national de la Résistance et de la Déportation, www.crdp-reims.fr
R. Lemarquis, notice in Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, Éditions de l’Atelier/Éditions Ouvrières, CD-rom, 1990-1997, Morts pendant la Seconde Guerre mondiale en raison de leur action militante, citant : La Dépêche de l’Aube, 1928-1929 et 4 août 1945 – Secrétariat d’État des Anciens combattants et victimes de guerre.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 26 (30720/1942).
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MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 28-03-2021)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.