Roger, Paul, Jules, Aumont naît le 13 décembre 1903 à Saint-Sever (Calvados – 14), chez ses parents, Paul Aumont, 26 ans, coiffeur, et Maria Desbouillons, 26 ans, son épouse, coiffeuse.
De la classe 1923, il est exempté de service militaire.
Il est coiffeur, probablement dans la boutique de sa mère.
Le 23 novembre 1924, à Saint-Sever, Roger Aumont se marie avec Irène Tréhoux, née le 10 novembre 1902 à Arras (Pas-de-Calais) ; le père de Roger est alors décédé. Ils auront deux enfants : Michel, né le 7 mars 1934, et Annette, née le 10 juillet 1937.
À 26 ans, Roger Aumont quitte son métier de garçon-coiffeur et devient gérant de la Société normande d’alimentation à Vire (14), où il reste pendant un an et demi. Ensuite, il est représentant de fromages à la maison Dupas, pendant huit ans environ.
Au moment de son arrestation, il est domicilié rue Jules-Labiche, à Sourdeval-la-Barre (Manche – 50) ; un document ultérieur mentionne l’adresse route de Vire.
Marchand de fromages à Sourdeval, Roger Aumont effectue des livraisons auprès des épiciers détaillants, ce qui lui permettra de circuler dans le secteur durant l’occupation.
Avant-guerre, il est secrétaire de la cellule communiste de Sourdeval.
En 1940, Roger Aumont aide la direction de son parti à reprendre des contacts dans la région. Il prend liaison avec le groupe “Jean Fresnay” de Saint-Michel-de-Montjoie (50).
Sa mère, toujours coiffeuse à Saint-Sever, abrite un petit groupe dont fait partie son deuxième fils et son garçon-coiffeur, André Blouet. Ce groupe confectionne des tracts anti-allemands qu’il distribue ou adresse par voie postale.
Roger Aumont crée plusieurs groupes d’action à Sourdeval, village où plusieurs notables sont notoirement collaborationnistes. Il prépare le sabotage d’un train de matériel stationnant dans la gare, mais la tentative échoue.
Apprenant avec indignation l’exécution, le 22 octobre 1941, des otages de Châteaubriant, Nantes et Bordeaux, Roger Aumont organise avec le jeune Jules Lanssade, fils des gérants ou propriétaires de l’Hôtel de la Poste, et l’ouvrier Jacques Bazin, une collecte dont le produit est destiné à l’achat d’une gerbe portant sur le ruban : « Aux fusillés de Nantes et de Bordeaux ». Celle-ci est déposée au Monument aux Morts le 1er novembre (fait mentionné ultérieurement sur sa fiche d’otage établie par les autorités allemandes).
- Le monument aux morts de Sourdeval-la-Barre.
Carte postale oblitérée en 1938. Coll. Mémoire Vive.
Le maire, collaborateur, fait retirer le ruban, mais la population manifeste sa solidarité, si bien que Roger Aumont envisage de renouveler son geste pour le 11 novembre. La veille, le maire fait appel aux Renseignements généraux de Saint-Lô.
Le jour même (10 novembre), le préfet de la Manche signe – en application du décret du 18 novembre 1939 relatif « aux mesures à prendre à l’égard des individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique » et de la loi du 15 octobre 1940 conférant aux préfets « la police des individus dangereux… » – un arrêté en exécution duquel Roger Aumont « est astreint à résider au camp d’internement de Gaillon (Eure) ». Des inspecteurs de la police mobile viennent l’appréhender à son domicile. Le lendemain, deux gendarmes de la brigade de Sourdeval le conduisent au centre de Gaillon, un château Renaissance isolé sur un promontoire surplombant la vallée de la Seine et transformé en centre de détention au 19e siècle, puis en caserne.
À son arrivée, Roger Aumont signe un formulaire par lequel il reconnait « avoir pris connaissance des disposition des articles 8 à 26 du règlement, notamment de l’article 13 relatif aux sanctions auxquelles [il s’expose] en cas de tentative d’évasion, c’est-à-dire que le personnel de garde à l’ordre de faire usage de ses armes… ».
Entre temps, son équipe a été jusqu’au bout de leur projet. Témoignage de Lucien Gannée : « J’étais le camarade de Jules Lanssade, nous passions nos soirées à l’hôtel de la poste, tenu par ses parents. Dans une petite salle attenante où se tenait un baby-foot, M. Lanssade père et Jacques Bazin écoutaient Radio-Londres. Le 10 novembre 1941, j’ai assisté à la conversation où le maire prévenait que toute personne qui déposerait une gerbe au monument aux morts serait arrêtée. Pour éviter toute future répression, la décision fut prise qu’il serait ajouté sur la gerbe la mention complémentaire “et aux soldats morts pour la France”. De ce fait, Jules et moi sommes allés chercher les lettres supplémentaires. La gerbe était donc à l’hôtel de la poste, sur le baby-foot, prête à être déposée le lendemain. […] Le 11 novembre vers 13 h 30/14 h 00 mes camarades habituels sont venus m’avertir que la gerbe n’avait pas été portée le matin. Nous avons tous les trois donc décidé de notre propre chef de chercher la gerbe et de la déposer au monument. Puis nous nous sommes pris mutuellement en photographie. Le reste de l’après-midi s’est déroulé normalement. » (source : fichier pdf du Service éducatif des Archives départementales de la Manche, LES DOCU’MANCHE n° 1, La Résistance, l’exemple manchois, janvier 2017, page 2)
Le 7 mars 1942, le préfet de l’Eure écrit au commandant du camp pour l’informer que le préfet de la Manche se propose de « demander la libération anticipée du nommé Aumont Roger, interné […] pour une durée de 6 mois » [?]. Il le prie « de bien vouloir avertir l’intéressé qu’au cas d’une libération éventuelle, il aurait à souscrire un engagement d’honneur de se rallier au nouvel ordre social et de respecter l’œuvre et la personne du Chef de l’État ».
Le 3 mai suivant (à vérifier…), Roger Aumont est remis aux autorités d’occupation à leur demande et transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
- Fiche d’otage de Roger Aumont, mentionnant
le dépôt de la gerbe pour les fusillés du 22 octobre 1941.
Archives du CDJC.
Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Roger Aumont est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45185, selon les listes reconstituées du convoi et par comparaison du portrait anthropométrique de Gaillon avec la photo du détenu portant ce matricule.
- Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Roger Aumont se déclare alors sans religion (Glaubenslos). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.
Le 13 juillet, après l’appel du soir – l’ensemble des “45000” ayant passé cinq jours à Birkenau -, une moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I). Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Roger Aumont (un document d’après-guerre mentionne « Birkeneau »).
Il meurt à Auschwitz le 15 octobre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).
Sa femme, Irène, continue le combat après l’arrestation de son mari, hébergeant des clandestins de passage, dont André Defrance, permettant la tenue de réunions à son domicile.
Le 6 décembre 1945, à Flers (Orne), Eugène Garnier, rescapé du convoi, signe une attestation selon laquelle Roger Aumont est mort au camp d’Auschwitz, « exterminé comme typhique en septembre 1942 ». Six jours plus tard, 12 décembre, André Faudry, autre rescapé du convoi, signe, sur un papier à en-tête de l’Association des internés et déportés politiques de Saint-Maur (Seine / Val-de-Marne), une attestation rédigée dans des termes absolument identiques.
Le 15 avril 1947, l’officier d’état civil auprès du « bureau de l’état civil déportés » du Ministère des anciens combattants et victimes de guerre (ACVG) établi l’acte de décès de Roger Aumont « sur la base des éléments d’information figurant au dossier du de cujus, qui nous a été présenté ce même jour ».
Le 15 avril 1947, sa veuve remplit une demande d’inscription de la mention « Mort pour la France » sur l’acte de décès de son mari. Elle obtient celle-ci dès le 22 avril.
Le 10 novembre 1950, sur proposition de la commission nationale d’homologation, le secrétariat d’État aux Forces armées-guerre, prononce l’homologation de Roger Aumont au grade d’adjudant-chef au titre de la résistance intérieure française (RIF).
Le 15 novembre 1954, l’adjoint au maire de Sourdeval-la-Barre répond à une demande d’enquête relative au motif d’arrestation de Roger Aumont formulée par le directeur interdépartemental des ACVG. Il écrit : « … l’intéressé était inscrit au Parti communiste depuis longtemps et […], de ce fait, il devait faire l’objet d’une étroite surveillance de la part des services de renseignements des troupes d’occupation. Son excès de zèle l’avait amené à déposer une gerbe au Monument aux Morts à l’occasion du 11 novembre 1941, et je crois que ce fût, à l’époque, le prétexte à son arrestation huit jours plus tard. »
En 1956, sa veuve remplit une demande d’attribution du titre de déporté résistant. Le 26 octobre, la commission départementale de la Manche donne un avis défavorable à cette demande, suivie par le directeur interdépartemental du Mans, par la commission nationale, et enfin par le ministère qui rejette la demande en 1957, au motif que : « Il n’est pas établi que la détention ait eu pour cause déterminante un acte qualifié de résistance à l’ennemi au sens du statut des Déportés et Internés de la Résistance ». En janvier 1958, Roger Aumont n’est reconnu que comme déporté politique. Sa veuve – alors domiciliée rue de Mortain – se voit délivrer en son nom la carte n° 1139.24613.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 7-06-1987).
Notes :
[1] Le 30 septembre 1942, une perquisition opérée à l’Hôtel de la Poste fait découvrir – paraît-il – des armes cachées dans le jardin ; Jules Lanssade et Jacques Bazin sont arrêtés.
Jules Lanssade – né le 22 août 1925 à Dinard (Ille-et-Vilaine) – est déporté dans le transport «NN» de 30 hommes parti le 18 février 1943 de Paris, gare de l’Est, et arrivé au SS Sonderlager Hinzert le 19 février (I.79 Mémorial FMD), matricule inconnu, transféré à la prison de Wolfenbüttel, puis à la prison de Breslau, où il meurt le 2 février 1944.
Jacques Bazin – né le 8 octobre 1905 à Brouains (Manche) – est déporté dans le transport «NN» de 28 hommes parti une semaine plus tard, le 25 février 1943, de la gare de l’Est et arrivé à Hinzert le 26 février (I.80 Mémorial FMD), (matricule inconnu), transféré à la prison de Wolfenbüttel, puis à celle de Breslau avant un retour à Wolfenbüttel, et enfin à la prison de travaux forcés de Brandenburg-Görden, à l’ouest de Berlin, où il est libéré le 27 avril 1945. La mère de Lanssade et Irène Aumont sont également internées pendant un mois, puis finalement libérées.
Sources :
De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, page 22, notice par Claudine Caron-Hamet page 131.
Cl. Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 62, 366 et 393, citant une fiche d’otage (archives du CDJC, XLIII-13).
André Debon et Louis Pinson, La Résistance dans le Bocage Normand, éditions Tiresias, mai 1994, pages 38 à 43, et page 60.
site non officiel Beaucoudray, l’histoire, la vie…, mis en ligne en juin 1998 (mise à jour 2004), http://beaucoudray.free.fr/bocage.htm
Archives départementales du Calvados, archives en ligne / état civil de Saint-Sever 1902-1910 (AE 15116), registre des naissances année 1903, acte n° 35 (vue 29/308).
Archives départementales de l’Eure, Évreux ; camp de Gaillon, dossier individuel (cotes 89w4 et 89w13), recherches de G. Petiot (message 08-2014).
Mémorial de la Shoah, Paris : archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLI-42, FK-722 n° 5.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 36 (36062/1942). Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen : dossier de Roger Aumont (21 p 419 787), recherches de Ginette Petiot (message 08-2014).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 19-12-2018)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.