Raymond, Henri, Baudry naît le 26 janvier 1893 à Louvetot (Seine-Inférieure / Seine-Maritime [1] – 76), chez son grand-père, Stanislas Baudry, terrassier ; il est le fils naturel d’Angélique-Egésipe, Baudry, 20 ans, célibataire, couturière. Les témoins de la déclaration en mairie sont ses oncles, Stanislas Baudry, 27 ans, et Félix Baudry, 23 ans, tous deux bûcherons.
Le 26 mai 1902, à la mairie de Louvetot, Angélique Baudry, 29 ans, alors couturière, se marie avec Albert Gaston Delaroque, 24 ans, “journalier”. Alors qu’il devait effectuer son service militaire en 1898, le conseil de révision avait exempté Albert Delaroque pour hyperhidrose (sécrétion excessive de sueur). Le couple aura cinq enfants : Gaston, né en 1903, Suzanne, née en 1905, Marthe, née en 1907, Raymonde, née en 1910 et Charlotte, née en 1912.
En 1906, Raymond Baudry, alors âgé de 13 ans, ne vit pas dans la famille de sa mère (avec ses demi-frère et sœur, Gaston et Suzanne), mais chez ses grands-parents, Stanislas (67 ans) et Marie (65 ans), qui hébergent toujours son oncle Félix (33 ans), terrassier lui aussi.
Pendant un temps, Raymond Baudry travaille comme boulanger.
Le 12 septembre 1912, son grand-père Stanislas, déclaré comme bûcheron, décède à son domicile, âgé de 73 ans.
De la classe 1913, le conseil de révision classe Raymond Baudry comme “soutien indispensable de famille” le 20 octobre de cette année. Cependant, le 27 novembre, il est incorporé au 75e régiment d’infanterie. Le 2 août 1914, jour de mobilisation générale, il part “aux armées”. Le 11 février 1915, il passe au 24e R.I. Du 19 avril au 6 mai 1916, il est évacué dans un service d’ambulance. Le 1er juin 1916, il est fait prisonnier par l’armée allemande à Verdun. Le 15 décembre 1918, il est rapatrié en France. Le 3 septembre 1919, il est mis en congé illimité de démobilisation.
En application du décret du 9 septembre 1914, Albert Delaroque, l’époux de sa mère, 36 ans, a été reconnu “bon pour le service armé” (matricule n° 2909 au recrutement du Havre). Appelé comme au soldat de 2e classe au 4e régiment de zouaves, il a rejoint cette unité le 21 mars 1915. Puis, il est passé au 9e régiment de marche de zouaves (9e RMZ), premier bataillon du capitaine Sciard, 4e compagnie. Lors de la deuxième bataille de l’Artois, après que son unité, placée “en soutien” dans des tranchées sous Neuville-Saint-Vaast au nord d’Arras (Pas-de Calais), ait subit de forts bombardements au début du mois, il a été déclaré tué à l’ennemi le 12 juillet 1915.
En novembre 1919, Raymond Baudry est domicilié dans le quartier de l’église, à Louvetot. Il n’y habite plus en 1921 (?).
En juin 1923, l’armée le classe “affecté spécial” comme employé à la Société industrielle de Caudebec-en-Caux. En mars 1928, il est rayé de cette affectation après avoir quitté l’usine.
Le 6 janvier 1933, à Lillebonne (76), commune industrielle entre Rouen et Le Havre, il se marie avec Louise Marguerite Berthe Nicolle, 55 ans, tisserande au chômage, qui a au moins deux fils d’une précédente union : Roland Bonneville, né en 1922 à Lillebonne, et son frère Jean, né en 1925.
En août 1933 et jusqu’au moment de son arrestation, il est domicilié au 92, rue Fontaine-Bruyère (qui prendra le nom de rue de la Libération) à Lillebonne (76), entre Rouen et Le Havre.
Raymond Baudry est ouvrier de la chimie (pétrole) à Notre-Dame-de-Gravenchon, commune voisine, dans une des deux raffineries implantées sur trois kilomètres le long de la Seine à Port-Jérôme, circonscription du Port de Rouen. En décembre 1935, l’armée le classe affecté spécial comme poseur de voies à la Standard franco-américaine de raffinage (Standard Oil/Esso).
Adhérent au Parti communiste, il est membre de la cellule Staline et participe au Comité de section de Lillebonne.
Mobilisé le 2 septembre 1939, il est maintenu dans son emploi. Le 3 octobre, il est rayé de l’affectation spéciale et affecté au dépôt d’infanterie 33 à Saint-Lô. Mais, le 16 novembre, la commission de Cherbourg le classe réformé temporaire n°2 pour « périduodénite [2] confirmée par radio ». Le 16 mai 1940, le commission maintient ce statut pour « fracture ouverte de la jambe gauche [survenue] le 18 décembre 1939, actuellement œdème de toute la jambe et raideur très serrée de l’articulation tibio-tarsienne ».
Sous l’occupation, Raymond Baudry est au chômage.
La police française le désigne comme auteur présumé d’une distribution de tracts communistes effectuée fin juillet 1941.
Le 22 octobre 1941, à 2 h 45, Raymond Baudry est arrêté à son domicile par le commissaire de police de Lillebonne, « par mesure administrative sur instruction verbale de la sous-préfecture », puis conduit au Havre. Il est incarcéré à la Maison d’arrêt de cette ville, officiellement « sur ordre préfectoral », probablement au quartier allemand de la prison.
Le 22 décembre suivant, il est transféré à Rouen (?) et interné dès le lendemain au camp allemand de Royallieu à Compiègne [2] (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 - Polizeihaftlager). Il écrit régulièrement à son épouse jusqu‘à la fin juin 1942, son dernier courrier annonçant son départ pour une direction inconnue.
Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Raymond Baudry est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le matricule n° 45208.
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Raymond Baudry.Il meurt à Auschwitz le 29 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).
Son nom n’a pas été inscrit sur la plaque apposée par l’ACPG le 8 mai 1954 à l’intérieur de l’église « À la mémoire des enfants de Lillebonne Morts pour la France 1939 – 1945 ».
Notes :
[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955, afin de rendre compte de sa situation géographique en aval du fleuve.
[2] Périduodénite : inflammation du péritoine périduodénal, aboutissant à la formation d’adhérences avec les organes voisins..
[3] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp C est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine / Seine-Saint-Denis).
Sources :
Jean-Paul Nicolas, notice de BAUDRY Raymond, Henri, version mise en ligne le 15 février 2016, dernière modification le 11 juin 2021. https://maitron.fr/spip.php?article178538
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 376 et 394.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Basse-Normandie (2000), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen – Acte de disparition, 14/2/1947.
Louis Eudier (45523), listes à la fin de son livre Notre combat de classe et de patriotes (1939-1945), imprimerie Duboc, Le Havre, sans date (2-1973 ?).
Archives départementales de Seine-Maritime (AD 76), site internet du conseil général, archives en ligne : registre d’état civil de Louvetot, année 1893 (4E 07018), acte n° 2 (vue 2/22) ; registre matricule du recrutement militaire, bureau de ???, classe 1913 (1 R 3336), matricule 429.
Archives départementales de Seine-Maritime, Rouen, site de l’Hôtel du Département : cabinet du préfet 1940-1946, individus arrêtés par les autorités de Vichy ou par les autorités d’occupation, dossiers individuels de Aa à Bl (51 W 410), recherches conduites avec Catherine Voranger, petite-fille de Louis Jouvin (“45697”).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 58 (33359/1942).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 20-08-2023)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.