- Marceau Baudu © Droits Réservés.
Marceau, Camille, Baudu naît le 19 octobre 1907 à Colombes [1] (Hauts-de-Seine – 92), chez ses parents, Camille Baudu, 25 ans, employé des chemins de fer, et de Victorine Ledieu, son épouse, 26 ans, blanchisseuse, domiciliés au 65, avenue de Lutèce.
Marceau Baudu vit d’abord chez ses parents, au 25 rue Jeanne-d’Asnières, à Clichy-sous-Bois (92).
Il reçoit une formation d’ajusteur-mécanicien.
Sportif, il participe à des épreuves de natation dans la Seine.
- Troisième à partir de la gauche, Marceau Baudu.
© Jacqueline Lefevre. Droits Réservés
Du 10 novembre 1927 au 1er mai 1929, il fait son service militaire dans la Marine. Affecté successivement à Carouba et à Bizerte, il obtient le brevet élémentaire de mécanicien aéronautique. Revenu à la vie civile, il est pilote d’avion amateur.
Le 7 juin 1930, à la mairie d’Asnières (92), Marceau Baudu épouse Lucie Grenier, née le 25 août 1905 au Havre (Seine-Maritime), paqueteuse dans l’entreprise des Cafés Martin. Ils emménagent à Asnières, dans une chambre louée par une dame âgée. Ils déménagent plusieurs fois. Leur fille Jacqueline naît à Colombes (92) le 16 juillet 1931.
- Marceau Baudu et Lucie, son épouse.
© Jacqueline Lefevre. Droits Réservés
- Marceau Baudu en famille : à gauche, Lucie et Marceau.
© Jacqueline Lefevre. Droits réservés.
- Jacqueline, fille de Marceau Baudu,
à la colo des Metallos de la région parisienne
© Droits Réservés
Pendant un temps, Marceau Baudu est chauffeur de taxi.
- Marceau Baudu, chauffeur de taxi.
© Jacqueline Lefevre. Droits Réservés
En 1935, la famille habite rue Olivier-Noyer à Paris 14e.
- À gauche, Marceau Baudu.
© Jacqueline Lefevre. Droits Réservés
Début 1937, ils emménagent au 16 rue de la Comète (devenue rue Henri-Gautherot) à Gentilly [1] (Seine / Val-de-Marne – 94). Jacqueline se rappelle de la circulation des derniers tramways.
En février 1937, après avoir traversé une période de chômage, Marceau Baudu est embauché comme ajusteur aux établissements Sanders, au 48-50, rue Benoît-Malon à Gentilly ; usine qui fabrique des « machines comptables » (caisses enregistreuses) sous licence américaine.
En septembre 1938, la famille emménage au 33, rue du Paroy à Gentilly.
Pendant la guerre, Marceau Baudu est mobilisé comme premier canonnier dans l’artillerie (8e BOA). Son unité n’est pas faite prisonnière et il est démobilisé à l’Hospitalet (Aveyron).
Sous l’occupation, l’usine Sanders – filiale d’un groupe franco-allemand (La Nationale Groupe) – travaille en partie pour la production de guerre de l’occupant (fabrication de compteurs).
Malgré les premières exécutions massives d’otages d’octobre 1941 – parmi lesquels nombre de militants ouvriers – le noyau syndical clandestin de l’usine poursuit la résistance sous la forme revendicative.
Le 9 février 1942, plusieurs militants déclenchent un arrêt de travail pour protester contre le rejet du cahier de revendications qu’ils ont fait déposer par le délégué officiel du personnel quelques jours plus tôt. Ce mouvement ne dure qu’un quart d’heure. Mais le directeur et son adjoint décident de prévenir le commissariat de police de secteur, implanté à Gentilly et dressent une liste de treize meneurs supposés. Alertée, c’est la première section des Renseignements généraux (R.G.) qui prend en charge la répression et procède aux arrestations à l’aube du 11 février.
Deux militants, chez qui ont été trouvés divers documents liés à leur activité militante avant l’occupation, sont interrogés le lendemain par l’inspecteur David, puis jugés, condamnés et passent le reste de la guerre en prison et en camp (échappant ainsi paradoxalement à la mort).
Deux autres sont libérés parce qu’inconnus jusque-là des R.G.
Suspects d’infraction au décret du 18 novembre 1939, les neuf restants – Georges Abramovici [2], Marceau Baudu, Fernand Boussuge, Joseph Daniel, Louis Gaillanne, André Girard, Francis Joly, Frédéric Rancez et René Salé – sont écroués à 19h45 au dépôt de la préfecture de police comme “consignés administratifs”.
Le 16 avril à 7 h 30 – après être restés deux mois à la Conciergerie -, ils sont transférés au “centre de séjour surveillé” (CsS) de Voves (Eure-et-Loir – 28).
Le 11 février au matin, Marceau Baudu est donc arrêté à son domicile et conduit pour interrogatoire à la préfecture de police où il est déjà fiché aux R.G. comme « militant actif et propagandiste ». Le même jour, à 19h45, il est écroué au dépôt avec ses camarades. Dans un courrier du 15 mars, il indique qu’ils sont « à 95 dans une salle d’environ 15 m2 […] dont les fenêtres donnent sur la place Dauphine. »
Le 16 avril, Marceau Baudu est interné avec ses camarades au camp français de Voves où il est enregistré sous le matricule 55.
Le 10 mai, remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci, huit ouvriers de la Sanders font partie d’un groupe de 81 détenus transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin, Marceau Baudu est sélectionné – avec les sept autres ouvriers de la Sanders – parmi plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Compiègne, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Marceau Baudu jette un message qui parviendra à son épouse (celle-ci le détruira plus tard, à cause du mauvais souvenir qu’il lui rappelle).
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet, Marceau Baudu est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45209 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée et identifiée [3]).
- Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage actuellement connu ne permet de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Marceau Baudu
Celui-ci meurt à Auschwitz le 18 août 1942 selon le registre d’appel quotidien (Stärkebuch) et l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher). La cause indiquée pour sa mort est « crise cardiaque par entérite » (diarrhée) ; « Herzschwäche bei Darmkatarrh ».
Le 26 mars 1945, Lucie Baudu est embauchée à la mairie de Gentilly comme femme de ménage temporaire.
Dans la période qui suit la libération des camps, elle se rend plusieurs fois à la gare de l’Est dans l’espoir d’obtenir des nouvelles de son mari.
Mais, un peu plus tard, trois élus municipaux de Gentilly, Charles Frérot, Marcel Lacqment et Fernand Lafond, viennent lui annoncer la certitude du décès de son époux, en présence de sa fille Jacqueline.
Peu de temps après la libération – et sans connaître le sort des disparus – le Comité d’épuration de l’usine Sanders de Gentilly est à l’initiative d’un procès qui aboutira devant la Cour de Justice de la Seine.
Dans une lettre datée du 8 mai 1945 et envoyée du camp de Dachau où il vient d’être libéré, Francis Joly – unique rescapé du groupe – informe son épouse du sort de ses collègues. Rapatrié en France au cours de la procédure, il témoigne devant le tribunal le 19 mai 1945.
Le 10 mai 1946, la procédure judiciaire contre les deux membres de la direction responsables de la délation se termine par leur acquittement.
Après la guerre (projet datant de février 1946), le personnel de l’usine dédie une plaque commémorative à ses camarades morts en déportation.
En 1961, devenus “La Nationale”, les établissements Sanders déménagent pour le siège de Massy (91) sous l’intitulé N.C.R. (National Cash Register). La plaque suit le transfert de l’entreprise pour être apposée dans le hall d’entrée du restaurant du personnel. Elle y est honorée chaque année. Pour la remplacer à Gentilly, la municipalité a apposé une nouvelle plaque à l’entrée de la rue Benoît-Malon où était située l’usine.
Les déportés de la Sanders ont également leurs noms gravés sur le monument de la Déportation situé dans le carré militaire du cimetière de Gentilly.
La mention “Mort pour la France” est apposée sur l’acte de décès de Marceau Baudu (10-08-1948).
La carte de “déporté politique » (117516299) est délivrée tardivement (16-04-1963) aux “ayant-cause”.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès (J.O. du 3-07-1987).
Le 9 décembre 1946, Jacqueline Baudu, sa fille, entre comme laborantine aux établissements Byla, à Gentilly.
Le 6 juillet 1964, elle épouse Jean Lefèvre, né le 10 août 1922 à Clermont-Ferrand, marié séparé et père.
Jeune homme pendant la guerre, celui-ci veut faire quelque chose pour son pays. Sensible aux arguments du gouvernement de Pétain, il pense un moment se présenter comme travailleur volontaire pour « la relève » : un ouvrier partant travailler en Allemagne permettait la libération de deux soldats français emprisonnés en camp (Stalag) depuis l’été 1940. Mais un vieil homme lui conseille plutôt d’aller rejoindre les Forces françaises libres en passant par l’Espagne. Jean Lefèvre descend jusqu’à la frontière, mais se fait prendre et emprisonner à Lérida. Là, l’armée américaine, qui recrute, fait libérer plusieurs volontaires français en échange de sacs de farine livrés au gouvernement espagnol. Jean Lefèvre est intégré comme parachutiste au sein des troupes aéroportées de la 2e US Airborne. Arrivé en Afrique du Nord, il s’engage le 26 mai 1942 comme volontaire, pour quatre ans, dans les Forces Françaises Libres. Il est intégré à la 5e compagnie du bataillon de chasseurs-parachutistes, transportée par des avions (Douglas) et des équipages américains. Le 7 avril 1944, il est parachuté sur Trapani, en Sicile. Avec le front, il remonte l’Italie jusqu’à atteindre Rome, déclarée “ville ouverte”, où les soldats allemands circulent librement aux côtés des Alliés.
Après le débarquement de Provence, il est de nouveau parachuté en France où il participe aux terribles combats de la plaine d’Alsace au cours desquels son unité est décimée. Le 31 décembre 1944, après avoir participé à la libération de Jebsheim (Haut-Rhin), lui-même est blessé à la tête par un éclat d’obus, au col du Ménil.
À la suite de ces engagements, il est nommé caporal, puis sergent, et enfin libéré en février 1946.
Notes :
[1] Colombes et Gentilly : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] Georges Abramovici, né le 15 août 1914 à Paris, demeurant au 11, rue du Chaperon Vert à Gentilly, entré à la Sanders le 19 avril 1938, est un militant syndical très actif. Mais, d’abord considéré comme Juif, il sera envoyé au camp de Drancy le 20 octobre, puis déporté dans un convoi du génocide le 4 novembre 1942 (transport n° 40, dont seulement un tiers des détenus entre dans le camp).
[3] Sa photographie d’immatriculation à Auschwitz a été identifiée par des rescapés lors de la réunion organisée à l’Amicale d’Auschwitz le 10 avril 1948 (bulletin Après Auschwitz, n°21 de mai-juin 1948).
Sources :
Le nom et le matricule de Marceau Baudu figurent sur la Liste officielle n°3 des décédés des camps de concentration d’après les archives de Pologne, éditée le 26 septembre 1946 par le ministère des anciens combattants et victimes de guerre, page 60.
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 64, 388 et 394.
Jacqueline Lefèvre, sa fille, témoignage et documents : livret de famille, livret militaire, photographies…
Recherches de Renée Joly aux Archives nationales.
Archives départementales des Hauts-de-Seine (AD 92), site internet du conseil général, archives en ligne : registre des naissances de Colombes, année 1907 (E NUM COL N1907), acte n° 397 (vue 104/137).
Archives communales de Gentilly, recherches menées par Chantal Rannou (2007).
Frédéric Couderc, Les RG sous l’occupation : quand la police française traquait les résistants, Olivier Orban, Paris 1992, pages 39 à 43.
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : registre d’écrou du dépôt (n° 512).
Comité du souvenir du camp de Voves, liste établie à partir des registres du camp conservés aux Archives départementales d’Eure-et-Loir.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; registre d’appel avec la liste des détenus décédés (Verstorben Häftlinge) ; acte de décès du camp (21960/1942).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 58.
Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : dossier de Marceau Baudu (21 P 422.108), consulté par Ginette Petiot (message 03-2018).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 9-02-2024)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes (FNDIRP) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.