En 1938 (extrait de la photo ci-dessous).

En 1938 (extrait de
la photo ci-dessous).

Pierre, Camille, BERNARD naît le 20 octobre 1906 à Paris 15e, fils de Jérôme Bernard, comptable, et de Pauline Jour, son épouse. Il a – au moins – un frère (à préciser…).
Pendant un temps, il habite chez ses parents, d’abord au 5, rue Alexandre-Cabanel, à Paris 15e.Il commence à travailler comme machiniste sur bois.
Le 12 novembre 1926, il est incorporé comme soldat de 2e classe au 1er régiment de chasseurs afin d’y accomplir son service militaire. Cinq semaines plus tard, le 18 décembre, la commission de réforme d’Alençon (Orne) le classe “service auxiliaire” pour mauvaise vue. Le 17 avril 1928, il passe “dans la disponibilité”, titulaire d’un certificat de bonne conduite. En 1929, l’armée, qui a précédemment évalué son infirmité à 70 %, conclue à une « infirmité irrémédiable ».
Il travaille comme serrurier, habitant toujours chez ses parents, alors domiciliés au 5, passage Jouvet, à Paris 15e.
Le 12 février 1929 à la mairie du 15e, Pierre Bernard se marie avec Madeleine Ferrieu, née le 25 octobre 1909 dans cet arrondissement, couturière, habitant jusque-là chez ses parents au 14, rue Lakanal. Ils auront un fils, Pierre, né le 7 juillet 1932 à Paris 14e.

Pierre Bernard en famille en 1938. De gauche à droite : Elise Ferrieu, sa belle-sœur, Madeleine et Pierre Bernard derrière leur fils Jean, et Jean Ferrieu, père de son épouse. © Laurence Ménard.

Pierre Bernard en famille en 1938. De gauche à droite : Elise Ferrieu, sa nièce, Madeleine et Pierre Bernard derrière leur fils Jean,
et Jean Ferrieu, père de son épouse. © Laurence Ménard.

À partir de la fin septembre 1929 et jusqu’au moment de son arrestation, Pierre Bernard et son épouse sont locataires d’un logement au 63, rue de la Croix-Nivert à Paris 15e, au débouché de la rue Gramme.

Pierre Bernard devient chaudronnier traceur (ouvrier métallurgiste).

Le 25 janvier 1930, il entre à l’usine Alsthom, au 25, rue des Bateliers à Saint-Ouen (Seine / Seine-Saint-Denis). Il est syndiqué à partir de 1934, délégué suppléant dans son entreprise de 1936 à 1940.

De 1936 à juillet 1939, il est simple adhérent du Parti communiste, membre de la cellule d’entreprise.

Après la mobilisation de l’été 1939, du 2e bureau de recrutement de la Seine, il rejoint le centre mobilisateur n° 5 à Orléans pour être affecté au 226e régiment d’artillerie lourde. Fin novembre, il est classé dans l’affectation spéciale en qualité de chaudronnier dans son entreprise, travaillant pour la Défense nationale.

Au retour de l’exode, Pierre Bernard est inscrit au fonds de chômage du 1er au 22 juillet.

À l’automne, sous la direction de Désiré Le Lay, responsable du secteur Paris-Nord, plusieurs militants de Saint-Ouen et Saint-Denis se réunissent clandestinement afin de former des comités d’ouvriers de la Métallurgie dans les usines du secteur : des tracts sont distribués et des carnets de cotisation au nom du comité sont répartis entre les participants.

Pierre Bernard recueille les cotisations hebdomadaires au sein de son entreprise, l’usine Alsthom, qu’il remet semble-t-il à Louise Marange, 50 ans, ouvrière-cisailleuse domiciliée à Saint-Ouen.

Le 4 décembre, cinq militants du groupe – Désiré Le Lay, René Poirot, René Lecerf, Eugène Noël, Georges Descamps et Gaston Leprince – sont appréhendés au domicile de ce dernier, au 2 rue Ardouin à Saint-Ouen, où ils se rendent pour une réunion clandestine, par les services du commissariat de police de la circonscription de Saint-Ouen. René Poirot, ancien secrétaire de la Fédération des Métaux de la région parisienne, ayant sur lui de faux papiers, est également trouvé porteur d’une documentation concernant l’ensemble des usines de Paris et l’organisation dans ces usines. Au cours des interrogatoires, quatre autres militants et militantes sont mis en cause.

Le 5 décembre, Pierre Bernard est arrêté par les services du commissariat de Saint-Ouen. Son épouse déclarera ultérieurement que c’est « sur une fausse dénonciation » [sic], « alors qu’il faisait une quête pour des camarades prisonniers ».

Pierre Bernard est écroué à la Maison d’arrêt de la Santé, à Paris 14e. Devant le juge d’instruction, son “accusateur” se rétracte. Le 13 janvier 1941, Pierre Bernard fait l’objet d’une main levée, faute de preuve.

Quatre jours plus tard, le 17 janvier, le préfet de police signe l’arrêté ordonnant son internement administratif en application du décret du 18 novembre 1939. Le jour même, Pierre Bernard fait partie d’un groupe de vingt-quatre militants communistes conduits au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé en octobre 1940 dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt.

Le sanatorium de la Bucaille à Aincourt dans les années 1930. Le centre de séjour surveillé a été installé dans la longue bâtisse située au premier plan à gauche. Afin de pouvoir y entasser les détenus, il a fallu y transporter le mobilier des autres bâtiments. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le sanatorium de la Bucaille à Aincourt dans les années 1930.
Le centre de séjour surveillé a été installé dans la longue bâtisse située au premier plan à gauche. Afin de pouvoir y entasser les détenus, il a fallu y transporter le mobilier des autres bâtiments.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Pierre Bernard est assigné à la chambre 50.

Le 18 février 1941, un non lieu est prononcé concernant son affaire, qui ne change rien à sa situation d’interné.

Le 28 mars, son épouse écrit au préfet de police pour solliciter une mesure de clémence, étant sans aucune ressource avec son enfant. Le 5 avril, la lettre est transmise aux Renseignements généraux pour enquête et avis. Le 17 avril, Madeleine Bernard renouvelle sa « supplique » au préfet. Le jour même, les RG rendent leur avis sur la première demande : « En raison de l’activité déployée par Bernard jusqu’au moment de son internement, sa libération ne semble pas opportune ». Le 25 avril, le chef du 1er bureau du cabinet de préfet écrit au commissaire de police du quartier Necker afin que celui-ci fasse savoir à Madame Bernard que « sa demande ne peut être favorablement accueillie dans les circonstances actuelles ». Le 3 mai, sans doute convoquée au commissariat, elle atteste avoir reçu communication de ce refus. Le 8 mai, son deuxième courrier est transmis aux RG, qui répondent douze jours plus tard qu’ils ont déjà donné leur avis (négatif) concernant cette demande de libération.

Le 25 mai, Madeleine Bernard écrit au préfet de police pour solliciter une autorisation de visite – avec le frère de Pierre Bernard – à l’occasion des fêtes de la Pentecôte.

Le 20 juin, Madeleine Bernard écrit cette fois-ci au préfet de la Seine pour solliciter la libération de son mari, « paisible et digne d’intérêt ». Mais, quatre jours plus tard, son courrier est renvoyé à la préfecture de police…

À partir du 16 juillet, Pierre Bernard est envoyé dans la journée chez le docteur Armandon, d’Aincourt, pour y effectuer des travaux agricoles : départ du camp à 7 h, retour pour le repas de midi à 13 h 15, puis de 15 h 45 à 20 h.

Le 29 juillet, le directeur de la police du territoire et des étrangers au sein du ministère de l’Intérieur transmet au préfet de police une nouvelle requête de Madame Bernard « pour suite jugée utile ». Sur le bordereau d’envoi, une mention manuscrite est ajoutée après sa réception : « Les RG sont défavorables ». Le 11 mai, une réponse négative est transmise au ministère sous la signature du préfet de police, Bard.

Le 22 février 1942, Madeleine Bernard, alors obligée de travailler pour élever son fils et ne sachant où s’adresser ni quelle démarche tenter pour activer la libération de son mari, écrit de nouveau au préfet de la Seine pour obtenir un bienveillant renseignement. Cinq jours plus tard, son courrier est transmis aux RG…

Selon le commissaire spécial, directeur du camp d’Aincourt, Pierre Bernard, qui travaille « régulièrement dans les corvées et dans les fermes », se sépare des « meneurs communistes ». Le 4 mars 1942, entendu en audition suite à une demande de libération, le détenu déclare condamner « toute la politique de la IIIe Internationale » et être « contre la politique illégale du parti et les attentats et actes de violence commandés par lui ». Le commandant du camp conclue : « je pense qu’on peut avoir confiance dans la sincérité de ses déclarations ».

Deux jours plus tôt, le 2 mars, le ministère de l’Intérieur a de nouveau écrit au préfet de police pour que celui-ci lui fasse connaître d’urgence les raisons qui ont motivé l’internement administratif du nommé Bernard Pierre, ainsi que son avis sur l’opportunité d’une mesure de clémence à son égard. Le 25 mars, le ministère doit relancer sa demande au préfet. Le 31 mars, en réponse à ces deux courriers, le sous-directeur de cabinet transmet le même rapport…  Simultanément, il écrit au commissaire de police du quartier Necker afin que celui-ci fasse connaître à Madame Bernard que « la mesure de libération demandée ne peut être envisagée dans les circonstances actuelles ».

Le 9 mai 1942, Pierre Bernard est parmi les quinze internés remis aux “autorités d’occupation” à la demande de celles-ci et transférés avec une escorte de Feldgendarmes au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 9 juin, le préfet délégué du ministre de l’Intérieur dans les territoires occupés demande au préfet de police une copie du rapport précédemment reçu.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les otages sélectionnés de Royallieu sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Pierre Bernard est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45227 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).

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Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet, après l’appel du soir – l’ensemble des “45000” ayant passé cinq jours à Birkenau – Pierre Bernard est dans la moitié des membres du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ».  « Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ». « Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

À une date restant à déterminer, il est inscrit sur un registre du Block 28 (médecine interne) de l’ “hôpital” (Revier) [1].

Pierre Bernard meurt à Auschwitz le 13 octobre 1942, d’après les registres du camp [2].

En 1956, Madeleine Bernard se marie en secondes noces.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de Pierre Bernard (J.O. n°10 du 12-01-2008).

Notes :

[1] Le sort des autres membres du groupe. Deux inculpés ont été rapidement libérés. Un autre, jugé le 3 mars 1941 par la 12e chambre du tribunal correctionnel de la Seine, a été acquitté. Les autres ont comparu en justice le 26 mai suivant : Gaston Leprince a été condamné à 18 mois de prison, puis libéré à l’expiration de sa peine ; René Poirot, condamné à 16 mois, interné ensuite, a réussi à s’échapper du camp de Rouillé le 3 mars 1942 avec Désiré Le Lay et Robert Vonet ; Désiré Le Lay, condamné à 15 mois, a été planqué chez un camarade après son évasion, il est mort prématurément le 21 mars ; Georges Descamps a été condamné à 8 mois, puis libéré ; Eugène Noël, condamné à 8 mois, a été libéré deux mois avant la fin de sa peine pour raison de santé ; Louise Marange, internée à l’issue du procès, a été transférée le 16 septembre suivant à Châteaubriant, puis dans d’autres camps où elle a été libérée par l‘avance des alliés.

[2] Revier , selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”.

[3] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France… Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 372 et 395.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (fichier central).
- Archives de Paris, site internet, archives en ligne : registres des mariages du 15e arrondissement, année 1929 (15M 331), acte n° 274 (vue 16/31).
- Archives de Paris : registres matricules du recrutement militaire, classe 1926, 2e bureau de la Seine (D4R1 1626), n° 1580.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “Occupation allemande”, liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 630-20297) ; dossier d’épuration de Marcel D., commissaire de police de Saint-Ouen sous l’Occupation (KB 48).
- Site Maitron en ligne, prolongement du Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron (aujourd’hui Claude Pennetier), Université de Paris 1 : notices de Le Lay Désiré et Poirot René.
- Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt, cotes 1w71, 1w74, 1w80 dossier individuel (1w90) ; recherches parallèles de Claude Delesque.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 79 (35721/1942).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; relevé dans les archives (01-2009).
- Laurence Ménard, petite-nièce par alliance (fille d’Élise Ferrieu) : messages de rectification, photo de famille (09-2018).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 26-11-2019)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

S’agissant de Pierre Bernard, c’est précisément cette dernière date qui a été initialement retenue pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.