Maurice, Auguste, Henri, Bertouille naît le 10 mai 1905 à Alençon (Orne – 61), fils de Félix Bertouille et d’Ernestine Boulay, son épouse. Il a une sœur, Andrée.
Le 5 novembre 1938 à Colombes, Maurice Bertouille se marie avec Suzanne Tison, née le 1er octobre 1892 à Alençon, surveillante (à la Maison départementale de Nanterre), veuve d’un premier mariage. Lui-même est alors monteur sur presse (régleur), domicilié au 382, rue de Nanterre (aujourd’hui rue d’Estienne-d’Orves) à Colombes [1] (Hauts-de-Seine – 92), qui est encore son adresse au moment de son arrestation. Le couple n’aura pas d’enfant.
Suite à la déclaration de guerre, Maurice Bertouille est employé comme affecté spécial à la Société d’études et de fabrication de moteurs (SEFM), 169 boulevard du Havre à Colombes et/ou aux établissement Amiot, au 151 du même boulevard, comme régleur sur presse. Après son arrestation, il est déclaré comme riveur.
La police le connaît comme militant communiste entre 1936 et 1939.
Une fiche établie par les Renseignements généraux le désigne comme toujours actif au début de l’occupation, participant à l’activité communiste clandestine, se livrant à la propagande orale etvdistribuant des tracts. Un autre document de police ajoute qu’il a « collaboré très activement à la formation du Comité populaire » « dès le début de l’occupation ».
À l’aube du 5 octobre 1940, Maurice Bertouille est appréhendé à son domicile par la police française lors de la grande vague d’arrestations ciblées organisée dans les départements de la Seine et de la Seine-et-Oise par les préfets du gouvernement de Pétain contre des hommes connus avant guerre pour être des responsables communistes (élus, cadres du PC et de la CGT) ; action menée avec l’accord de l’occupant (« en application du décret du 18 novembre 1939 »). Ils sont regroupés en différents lieux ; pour Maurice Bertouille, ce sera le stade Roland Garros. 182 militants de la Seine sont conduits le jour-même en internement administratif au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise /vVal-d’Oise), créé à cette occasion dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt.
Conçus à l’origine pour 150 malades, les locaux sont rapidement surpeuplés : en décembre 1940, on compte 524 présents, 600 en janvier 1941, et jusqu’à 667 au début de juin.
Maurice Bertouille effectue le travail de chef d’équipe auquel il a été affecté à l’intérieur du camp.
Le 11 février 1941, il signe une requête adressée au chef de camp pour demander sa libération, précisant qu’il ne connaît pas les motifs de son internement.
Le 24 février, escorté d’un gardien de la paix, Maurice Bertouille est conduit en train à l’hôpital de Nanterre pour y rendre visite à son épouse, victime d’une attaque de paralysie. Le 9 mai suivant, celle-ci adresse une requête au préfet de Seine-et-Oise, à laquelle est joint un certificat médical (contenus inconnus…).
Le 24 juin, Maurice Bertouille fait partie d’une trentaine de « meneurs indésirables » conduits à la Maison d’arrêt de Rambouillet (Seine-et-Oise / Yvelines), au 5 rue Pasteur, à la suite d’ « actes d’indiscipline » collectifs. Ils y conservent le statut d’internés administratifs. Bertouille est assigné à la « chambre 3 » (une cellule).
Dès 25 juin, depuis cette prison et conjointement avec Fernand Salmon, il écrit à deux amis restés à Aincourt, Depaepe et Prugnot. La lettre, postée le 27, est interceptée à l’arrivée par le service de censure du camp. Maurice Bertouille, demande qu’on lui envoie quelques affaires restées là-bas, en ajoutant : « …heureux d’avoir quitté Aincourt et ses mouchards » (probablement les partisans de Gitton).
Le 27 septembre 1941, Maurice Bertouille est parmi les 23 militants communistes de la Seine transférés au “centre d’internement administratif” (CIA) de Gaillon (Eure), un château Renaissance isolé sur un promontoire surplombant la vallée de la Seine et transformé en centre de détention au 19e siècle, puis en caserne.
Le 4 mai 1942, Maurice Bertouille fait partie d’un groupe de détenus transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Voves (Eure-et-Loir). Enregistré sous le matricule n° 269, il n’y reste que deux semaines.
Le 20 mai, il est du nombre des 28 détenus que viennent chercher des gendarmes français. Pensant qu’on les emmène pour être fusillés, les partants chantent La Marseillaise. En fait, remis aux “autorités d’occupation” à la demande de celles-ci, ils sont conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, Maurice Bertouille est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Maurice Bertouille est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45233 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « i » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Maurice Bertouille est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.
Son nom figure sur une liste de détenus affectés ensuite au Block 4.
Les 31 juillet et 3 août 1942, son nom est inscrit sur un registre du Block 20 (maladies contagieuses) de l’ “hôpital” des détenus.
Maurice Bertouille meurt à Auschwitz le 13 août 1942, d’après les registres du camp (cette date est connue de l’état civil français très rapidement après la guerre ; voir Sources). La cause indiquée sur l’acte de décès du camp est « infection avec abcès ».
Suzanne Bertouille décède le 7 mai 1944 à 8 heures au 403, avenue de la République à Nanterre. C’est Andrée, la sœur de Maurice, qui fera les démarches administratives pour la reconnaissance du statut de déporté de celui-ci (leurs parents sont décédés).
Déclaré “Mort pour la France” (1956), Maurice Bertouille est homologué comme “Déporté politique”. La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 6-08-1987).
Notes :
[1] Colombes : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
Sources :
Son nom (prénom orthographié « Moritz ») et son matricule figurent sur la Liste officielle n°3 des décédés des camps de concentration d’après les archives de Pologne, éditée le 26 septembre 1946 par le ministère des anciens combattants et victimes de guerre, page 60.
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 381 et 395.
Cl. Cardon-Hamet, Mille otages pour Auschwitz, Le convoi du 6 juillet 1942 dit des “45000”, éditions Graphein, Paris nov. 2000, page 513.
Cl. Cardon-Hamet, notice réalisée pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” du nord des Hauts-de-Seine, citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (fichier national) – Lettre de Robert Guérineau (ancien résistant ayant effectué des recherches dans les registres d’état civil de la mairie de Colombes).
Archives de la préfecture de police de Paris, cartons “occupation allemande” BA 2374 (camps d’internement…, “Gaillon”).
Nadia Ténine-Michel, Le camp d’Aincourt (Seine-et-Oise), 5 octobre 1940 – 15 septembre 1942, article in Les communistes français de Munich à Châteaubriant (1938-1941), sous la direction de Jean-Pierre Rioux, Antoine Prost et Jean-Pierre Azéma, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, novembre 1987.
Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux, centre de séjour surveillé d’Aincourt ; cotes 1W71, 1w74 (révision trimestrielle), 1W76, 1W90 (dossier individuel).
Archives départementales de l’Eure, Évreux : archives du camp de Gaillon, cotes 89W4, 89W11 et 89W14, fiche de Maurice Bertouille établie le 12 novembre 1941 ; recherches de Ginette Petiot (08-2012).
Comité du souvenir du camp de Voves, liste établie à partir des registres du camp conservés aux Archives départementales d’Eure-et-Loir.
Témoignage de Dominique Ghelfi (daté 1946), Contre l’oubli, brochure éditée par la mairie de Villejuif en février 1996, page 61. D. Ghelfi, n’ayant pas été sélectionné pour le convoi du 6 juillet, a assisté au départ de ses camarades. Lui-même a été déporté à Buchenwald en janvier 1944 (rescapé).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 82 (20021/1942).
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach), relevé dans les archives (01-2009), document extrait des archives : page du registre d’appel général avec la liste des détenus décédés le 13 août 1942.
Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen : dossier de Maurice Bertouille, cote 21.p425.086, recherches de Ginette Petiot (message 09-2012).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 1-10-2023)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.