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Lucien, Louis, Blin naît le 24 mars 1898 au hameau des Douaires [1], sur la commune de Gaillon (Eure), fils de Pierre Blin, 31 ans, surveillant de l’administration pénitentiaire, et de Marie Louise Jamault, son épouse, 30 ans. Lucien a trois frères : Pierre, né à Landerneau en 1893, Victor, né en 1895, et Louis, né en 1900.
Lucien Blin obtint son certificat d’études primaires puis devint apprenti mécanicien en 1911. Pendant un temps, il est tourneur sur métaux, d’abord à Aubevoye (Eure), dans une entreprise de matériel ferroviaire.
Le 17 avril 1917, il est incorporé comme soldat de 2e classe au 67e régiment d’infanterie. Le 15 octobre suivant, il passe au 101e RI, rejoignant le front deux jours plus tard (« aux armées »). Le 23 mars 1918, il passe au 102e RI, au sein de la 9e compagnie.
Le 21 juillet suivant, au cours de la 2e bataille de la Marne, contre-offensive alliée sous le plateau du Bois-du-Roi, à l’ouest du village de Venteuil (Marne), devant la ferme des Savarts, point d’appui allemand, le fantassin Lucien Blin se porte « résolument à l’assaut des positions ennemies sous un feu extrêmement violent de mitrailleuses, donnant ainsi un bel exemple de bravoure », action qui lui vaudra une citation à l’ordre de son régiment (« soldat très courageux, très méritant… »), puis la Croix de guerre avec étoile de bronze.
Trois jours plus tard, blessé par un éclat d’obus (« commotion »), il est évacué.
Lucien Blin est de retour aux armées le 25 octobre 1918. Le 21 janvier 1920, il passe au 117e RI. Le 11 février, il est promu soldat de 1re classe. Le 29 mai, il est renvoyé dans ses foyers, titulaire d’un certificat de bonne conduite.
Le 29 octobre 1920 au Mans (Sarthe), toujours tourneur, Lucien Blin épouse Marie Lucile Lemonnier, née le 24 mars 1896 à Vire (Calvados). En février 1921, ils habitent au 11, rue de la Mariette, puis en avril, au 44 rue Bary. Ils ont une fille : Lucienne, née en 1922. Mais Marie Blin décède prématurément, peut-être la même année (à vérifier…).
En juin 1922, Lucien Blin est de retour chez ses parents, à la colonie des Douaires.
Le 20 octobre 1923 à Gaillon, il épouse Marguerite Raymondeaud, née le 18 septembre 1901 au lieu dit La Renaudie à Champagnac-la-Rivière (Haute-Vienne). Ensemble, ils auront deux enfants : Claude, né en 1926 à Champagnac, et Jacqueline, née le 6 mars 1932 à Argentan. Lucienne reste avec eux.
En janvier 1927, la famille habite au 3, rue des Arigots à Mantes-la-Jolie (Seine-et-Oise / Yvelines), à proximité de la Seine. En février, il adhère à la CGTU.
Le 6 octobre de cette année, Lucien Blin est embauché comme manœuvre à l’Administration des chemins de fer de l’État [2]. La même année, il adhère au Parti communiste à Mantes.
À partir de 1931, il est domicilié au 7, rue de l’Orne à Argentan (Orne).
Il est alors tourneur sur métaux au dépôt du chemin de fer d’Argentan.
À la suite de la réunification syndicale de 1935, il devient membre du bureau, puis trésorier de la section CGT des cheminots d’Argentan.
Secrétaire de la section du Parti communiste d’Argentan, il s’investit dans des organisations de masse comme le Secours rouge international, les Amis de l’Union soviétique et du comité Amsterdam-Pleyel. Lors des cantonales d’octobre 1937, il est désigné comme candidat au Conseil d’arrondissement de la circonscription d’Argentan. Il est membre du bureau fédéral du PCF de l’Orne en 1939.
Lors de la mobilisation générale, il est affecté sur son poste d’emploi à la SNCF, alors entreprise stratégique.
Mais, le 3 juin 1940, il est rayé de l’affectation spéciale par mesure disciplinaire. Cinq jours plus tard, il est affecté au dépôt d’infanterie n° 42. Il est « aux armées » du 16 au 25 juillet. Le 17 juillet, n’ayant pas été fait prisonnier de guerre, il est démobilisé à Mezin (Lot-et-Garonne).
Il reprend son activité militante sous l’Occupation, trouvant le contact avec le parti clandestin. Avec Eugène Garnier, Austin Merle et Clément Richard, il organise l’appareil et la propagande dans l’Orne.
Le 18 octobre 1941, Lucien Blin est arrêté à Argentan par des policiers français et allemands lors d’une vague d’arrestations collectives. Dès le lendemain, il est interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager), où il est enregistré sous le matricule n° 1671.
Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Lucien Blin est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45257 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).
- Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Lucien Blin est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Son nom figure sur une liste de détenus affectés au Block 4.
À une date restant à préciser, il est admis au Block 21a (chirurgie) de l’hôpital d‘Auschwitz.
Lucien Blin meurt à Auschwitz le 26 septembre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) et une copie du registre de la morgue (Leichenhalle) relevée clandestinement par la résistance polonaise interne du camp, et où est inscrit le matricule n° 45257 (ce local de regroupement temporaire des cadavres est situé au sous-sol du Block 28).
Il est déclaré “Mort pour la France”. La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 10-09-1987).
Après la guerre, le Conseil municipal d’Argentan a donné son nom à une rue de la ville. Son nom est également inscrit sur le monument aux morts et sur la plaque dédiée « aux agents de la SNCF tués par faits de guerre », apposée à la gare d’Argentan.
Marguerite Blin décède à Figeac (Lot) le 5 octobre 1971. Peu de temps auparavant, elle a reçu du ministère de la Défense nationale, à son adresse du 2 rue Guillaume-le-Conquérent à Argentan, le certificat de validation des services de déporté résistant de son mari pour un « service militaire actif du 18 octobre 1941 au 1er janvier 1943 », date alors supposée de son décès (carte n° 1039-36 870).
Notes :
[1] La Colonie pénitentiaire des Douaires près de Gaillon : colonie pénitentiaire agricole pour jeunes détenus, fondée en 1840 dans l’ancien Manoir des Douaires. Le premier établissement construit en 1848 est remplacé en 1868 par un ensemble de bâtiments dont le plan a été établi par Étienne Bourguignon, architecte de la Maison Centrale de Gaillon (prison se trouvant dans le château du bourg). Le quartier correctionnel accolé à la chapelle applique les principes de la colonie pénitentiaire de Mettray dans l’Indre-et-Loire : longs bâtiments, chapelle et maison des gardiens sont construits en brique avec toits en ardoise à pignons découverts évoquant le « gothic revival » anglais ! (source : http://normandie-jeunesse.hautetfort.com/archive/2011/05/04/la-colonie-penitentiaire-des-douaires-pres-de-gaillon.html)
[2] L’Administration des chemins de fer de l’État, ou Réseau de l’État, dont les lignes aboutissent dans la capitale aux gares Saint-Lazare et Montparnasse, fusionnera avec les compagnies privées dans le cadre de la nationalisation des réseaux de chemins de fer au sein de la SNCF début 1938. Suite à une convention validée par le décret-loi du 31 août 1937, la Société nationale des chemins de fer français est une société anonyme d’économie mixte, créée pour une durée de 45 ans, dont l’État possède 51 % du capital.
Sources :
De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, notice par Claudine Cardon-Hamet, page 131.
Cl. Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 396 et 422.
Message de Lucie Blin, sa petite fille (09-2008).
Messages de Sylvie Blin, sa petite-fille, fille de Jacqueline : relecture et modifications (08-2019).
Archives départementales de l’Eure, site internet, archives en ligne : état civil de Gaillon, registre des naissances de l’année 1898 (8 Mi 5591), acte n°13 (vue 333/595).
Archives départementales de Seine-Maritime, site internet, archives en lignes : registres matricules du recrutement militaire, bureau de Rouen-Sud, classe 1918 (IR3463), n° 1253 (cinq vues).
Site Mémoire des hommes, ministère de la Défense, archives en ligne : journal de marche et d’opération du 102e régiment d’infanterie du 18 juillet au 19 septembre 1918 (26 N 674/11), 21 juillet (vues 5 et 6/27), 24 juillet (vue 8/27).
Site Gallica, Bibliothèque Nationale de France : L’Humanité n° 14077 du mercredi 3 juillet 1937, page 6, “septième liste…”.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 : relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 100 (33020/1942).
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) : relevé dans les archives (01-2009) ; liste de la morgue (« Leichenshalle »).
Site Mémorial GenWeb, 61-Argentan, relevé de Laurent Corbin (2004-2006).
Base de données des archives historiques SNCF ; service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne (en 1947), de A à Q (0110LM0108).
Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, pages 197-198.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 14-12-2023)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.