- Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.
Né le 17 février 1893 à Bagnot (Côte-d’Or – 21), Jean Bouscand est fils naturel de Marie Bouscand, manouvrière âgée de 31 ans, qui le reconnaît officiellement lorsque lui-même (Jean) se marie.
Pendant un temps, il travaille comme « domestique de culture ».
Le 29 octobre 1912, il s’engage volontairement pour quatre ans au 12e régiment de hussards. La guerre est déclarée le 2 août 1914. Le 11 octobre 1914, Jean Bouscand est blessé par éclats d’obus à la nuque et au ventre à l’attaque du village de Foncquevillers. Le 3 avril 1915, il est nommé brigadier. Le 1er juin 1916, il passe au 2e régiment léger. Le 16 août suivant, il passe au 108e régiment d’artillerie lourde. Le 8 septembre 1918, il est cité à l’ordre de son régiment : « Excellent chef de pièce qui a maintes fois fait preuve d’énergie, de dévouement, notamment en juin 1917 où, blessé, il refusa d’être évacué et en août 1918 où, en des circonstances très pénibles, il fit preuve du plus grand courage ». Il reçoit la Croix de guerre. Le 10 janvier 1918, il est nommé maréchal des logis. Le 1er mars, il passe au 131e R.A.L.
Le 13 janvier 1919, titulaire d’un certificat de bonne conduite, il est mis à la disposition des chemins de fer PLM (ligne Paris-Lyon-Méditerranée), “affecté spécial” en qualité d’homme d’équipe à Dijon. Le 9 février, il est embauché par la société du PLM.
Le 8 septembre 1920, à Dijon (21), Jean Bouscand épouse Suzanne Simonet. Mais le couple se sépare (?).
Le 28 décembre 1922, il épouse Jeanne Collin, qui décédera en 1925.
En 1924, il est devenu wagonnier.
Le 25 avril 1927, à Dijon, il entre en fonction comme conducteur. Il habite alors au 57, rue Saumaise.
En 1931 et 1936, Jean Bouscand vit avec sa mère, Marie, au 18, rue Magenta à Dijon (après son arrestation, les documents indiquent le 22, rue Magenta).
Chef de train, Jean Bouscand est, en 1933 (peut-être antérieurement), secrétaire du syndicat CGTU des cheminots de Dijon.
Dès 1925, il est membre du Parti communiste (PC), cellule 26 de Dijon, dont V. Rabier est secrétaire. Par la suite, gérant du journal communiste Le Travailleur, secrétaire du comité départemental du PC et du rayon communiste de Dijon, il se porte candidat communiste aux élections législatives de mai 1932 (à Châtillon-sur-Seine – 21) et d’avril-mai 1936 (2e circonscription de Dijon), aux élections cantonales d’octobre 1934 (Dijon-Sud), enfin il est tête de liste aux élections municipales en 1934 et 1935. Très actif pendant la période du Front populaire comme secrétaire régional du PC (Côte-d’Or et Yonne), Jean Bouscand prend la parole dans de très nombreux meetings et écrit les éditoriaux du Travailleur de Bourgogne dont il est administrateur.
En 1937, il se remarie avec Jeanne Thibeau.
Lors de la mobilisation, il est “affecté spécial” à son poste de travail.
En septembre 1939, Juliette Dubois, militante communiste employée des PTT (poste, télégraphe et téléphone), est arrêtée sur son lieu de travail. Le juge d’instruction voulant lui faire dire qui dirigeait l’activité illégale du parti, le nom de Bouscand est alors souvent avancé (elle-même est condamnée à trois mois de prison). Dans la même période, plusieurs cadres communistes de la région dijonnaise étant mobilisés, un bureau est formé avec les cheminots (qui restent en poste), dont Jean Bouscand et Jean Mahon. Jean Bouscand est alors « chef de dépôt auprès du parc d’infirmerie ».
Le 29 décembre, à 7 heures du matin, la police municipale de Dijon conduite par le Commissaire du 1er arrondissement, perquisitionne au domicile de Jean Bouscand, alors situé au 12, chemin des Lentillières. Selon le rapport du commissaire central daté du 29 décembre, est saisi « un mélange de papiers de service et de documents syndicaux, dont un tri sérieux devra être fait avant la mise sous scellés ».
Le même jour a lieu une perquisition chez son beau-frère, Jean(-Baptiste) Thibeau du syndicat des Métaux (dissous).
Le nom de Jean Bouscand apparaît avec d’autres sur une lettre anonyme de dénonciation adressée à la mairie de Dijon dans laquelle on l’accuse de faire de la propagande soviétique auprès des permissionnaires et dont une copie datant du 13 avril 1940 est adressée à la Préfecture et au Commissariat spécial de Dijon.
Un arrêté préfectoral du 10 juin 1940 stipule qu’il est astreint à résider dans le Centre d’Hauteville, « vu le décret du 18 novembre 1939 relatif aux mesures à prendre à l’égard des individus dangereux pour la Défense Nationale et la sécurité publique ». Sa présence dans le département est considérée comme dangereuse. Comme c’est la “débâcle”, cet internement n’a probablement pas été effectif…
Jean Bouscand est mis à la retraite le 1er novembre 1940 en raison de « son activité anti-nationale » (application de la loi du 17 juillet 1940).
À l’automne 1940, après la défaite et sous l’occupation, l’organisation du PCF clandestin se reconstitue autour de Jean Bouscand, Jean et Maurice Cètre, Marcel Chalon, Juliette Dubois, Claudine Cadoux, Marcel Sardo, Raymond Santot, Gabriel Lejard, etc.
Mais, à la fin juin 1941, tous les responsables communistes Côte-d’Or connus sont arrêtés.
Le 21 juin 1941, Jean Bouscand est arrêté lors d’une vague d’arrestations préventives menée par la police allemande [1], touchant 24 hommes dont 18 Dijonnais du 23 juin au 1er juillet.
Son beau-frère Jean Thibeau se cache et réussit à passer en Saône-et-Loire (71). Le 29 août, il est finalement arrêté par la Gestapo à Chalon-sur-Saône (71).
À une date restant à préciser, Jean Bouscand est interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Le 8 août, il envoie une carte du camp à l’inspecteur principal de police P., du Commissariat spécial de Dijon, que lui et ses camarades soupçonnent d’avoir établi la liste d’arrestation utilisée par les Allemands : « Mon cher ami. Au nom de mes amis dijonnais, je viens vous remercier de l’attention soutenue que vous avez manifestée à notre égard. Croyez qu’aucun de nous ne vous oublie et nous parlons souvent de vous ici. La santé et le moral sont excellents, comme vous devez le penser ; nous espérons qu’il en est de même pour vous. Recevez cher ami, l’assurance de notre parfaite gratitude. » Cet humour sous-entend néanmoins une forme de menace, comme un des libérés du camp a l’occasion de le préciser à l’inspecteur dans des circonstances inconnues. Selon « un autre rapatrié », l’inspirateur de cette carte aurait été un nommé Leblanc [2], interné avec Jean Bouscand.
Entre fin avril et fin juin 1942, après un an d’internement, celui-ci est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Les 14 déportés de Côte-d’Or se regroupent dans le même wagon. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet, Jean Bouscand est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45292 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée et identifiée [3]
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Jean Bouscand.
Il meurt à Auschwitz le 10 août 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) ; un mois après l’arrivée de son convoi, le même jour que dix-neuf autres “45000”.
Le 22 octobre 1942, dans un courrier à caractère urgent adressé au commissaire central de Dijon, le préfet délégué de la Côte-d’Or demande de lui faire connaître si l’intéressé a été libéré et, dans la négative, de lui préciser quelles sont les personnes à charge, leur situation matérielle et son avis sur l’opportunité de leur attribuer une aide financière. Une demande identique concerne d’autres “45000”.
Le 16 novembre 1942, le commissaire divisionnaire de police spéciale renseigne le préfet de Côte-d’Or sur la situation de Jeanne Thibeau : elle n’habite plus à son ancienne adresse et « les recherches effectuées à Dijon en vue de découvrir cette personne sont restées vaines ».
Le 22 mars 1944, son beau-frère Jean Thibeau est déporté dans un convoi de 1218 hommes, qui part de Compiègne à destination du camp de concentration de Mauthausen, où il est enregistré sous le numéro 60626. Il meurt dans ce camp le 27 juin 1944.
Le samedi 5 juin 1948, Gabriel Lejard, rescapé du convoi et secrétaire fédéral de l’union départementale CGT, signe dans le journal communiste L’Avenir de la Côte-d’Or un article intitulé « En souvenir de mes camarades de misère, et pour rafraîchir la mémoire à ceux qui ont déjà oublié ». Il y présente les clichés anthropométriques retrouvés de 5 de ses 13 camarades du département, prises à Auschwitz le 8 juillet 1942 : « Certes les visages de nos camarades ne portent pas encore les traces profondes de la souffrance, à part notre cher camarade Bouscand qui, lui, était malade. »
A Dijon, son nom figure sur la plaque commémorative du quartier des Poussots érigée par souscription sous l’égide du Secours Populaire Français : « 1939-1945 – A la mémoire des enfants des Poussots morts pour que vive la France ».
- Le nom de son beau-frère Jean Thibeau ainsi que le nom de Roger Josselin figurent également sur cette plaque.
Notes :
[1] L’ “Aktion Theoderich” : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht. Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font déjà partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.
[2] Il s’agit probablement de Paul Leblanc, né le 23 janvier 1884 à Saint-Seine-l’Abbaye (Côte-d’Or), arrêté le 22 juin 1941 à Dijon par les Autorités allemandes au cours de l’Aktion Theoderich, interné à Compiègne puis déporté le 24 janvier 1943 à Sachsenhausen (matricule 59292) où il meurt le 6 février 1945.
[3] Sa photographie d’immatriculation à Auschwitz a été reconnue par des rescapés lors de la séance d’identification organisée à l’Amicale d’Auschwitz le 10 avril 1948 (bulletin “Après Auschwitz”, n°21 de mai-juin 1948, où son nom est orthographié “Boussane”).
Sources :
Pierre Lévêque, notice dans le Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, citant : Archives Nationales, F7/13686 – Le Travailleur de Bourgogne, 1933-1939 – L’Avenir de la Côte-d’Or, 2 juin 1945.
Son nom (orthographié « Boussand ») et son matricule figurent sur la « Liste officielle n°3 des décédés des camps de concentration d’après les archives de Pologne » éditée le 26 septembre 1946 par le ministère des anciens combattants et victimes de guerre, page 60.
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 363 et 397.
Les communistes dans la Résistance en Côte-d’Or, édité par le PCF de Côte-d’Or, 1996, pages 12 et 82.
Gilles Hennequin, Résistance en Côte d’Or, tome I, page 47.
Site internet de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation (FMD).
État civil de la mairie de Bagnot (21).
Archives départementales de Côte d’Or, site internet : recensement de 1936, Dijon-Est (p. 220) ; fonds (1630 W, article 252 ; Arrestations par les autorités allemandes – correspondances », article 93 et article 244 ; registre des matricules militaires, bureau de Dijon, classe 1913 (R2499-0505), n° 364 (vue 504/694).
Liste dans Notre Métier n°82 de novembre 1946, page 10, transmise par Hervé Barthélémy, de “Rail et Mémoire”.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) : registre d’appel avec la liste des détenus décédés.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 124 (19383/1942).
Base de données des archives historiques SNCF ; service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne, de A à Q (0110LM0108).
Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, pages 255-256.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 8-02-2021)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes (FNDIRP) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.