- Fernand Boussuge © Droits Réservés.
Fernand, Albert, Boussuge naît le 20 ou 21 novembre 1903 à Gentilly [1] (Seine / Val-de-Marne), chez ses parents, Pierre Justin Boussuge, 28 ans, employé de pharmacie (décédé lors de l’arrestation de son fils), et Joséphine Hossard, 27 ans, son épouse, couturière, alors domiciliés au 12 rue des Noyers (devenue rue du Président-Allende en 1973).
Le 28 avril 1923, à Argenteuil (Seine et Oise / Val-d’Oise), Fernand Boussuge épouse Georgette S., alors qu’ils habitent déjà ensemble au 21, rue des Châtaigniers. Lui se déclare comme mécanographe, elle comme couturière.
Le 27 septembre 1933, Fernand Boussuge est embauché comme ajusteur aux établissements Sanders, au 48-50 rue Benoît-Malon à Gentilly ; usine qui fabrique des « machines comptables » (caisses enregistreuses) sous licence américaine.
Le 16 avril 1935, le couple divorce.
Le 21 septembre suivant, à Gentilly, Fernand Boussuge épouse en secondes noces Liliane Bernard, née le 8 décembre 1908 à Gentilly, mécanicienne, alors qu’ils habitent déjà ensemble au 8, rue des Chasses à Gentilly (à la limite d’Arcueil). Plus tard, ils emménagent à proximité, au 1, rue Boulineau. Ils ont un garçon, Jacques, né le 16 juin 1936.
Sous l’occupation, l’usine Sanders – filiale d’un groupe franco-allemand (La Nationale Groupe) – travaille en partie pour la production de guerre de l’occupant (fabrication de compteurs).
Malgré les premières exécutions massives d’otages d’octobre 1941 – parmi lesquels nombre de militants ouvriers – le noyau clandestin de l’usine poursuit la résistance sous sa forme syndicale.
Le 9 février 1942, plusieurs militants déclenchent un arrêt de travail pour protester contre le rejet du cahier de revendications qu’ils ont fait déposer par le délégué officiel du personnel quelques jours plus tôt. Ce mouvement ne dure qu’un quart d’heure. Mais le directeur et son adjoint décident de prévenir le commissariat de police de la circonscription, implanté à Gentilly et dresse une liste de treize meneurs supposés.
Alertée, c’est la première section des Renseignements généraux (RG) qui prend en charge la répression et procède aux arrestations à l’aube du 11 février. Deux militants, chez qui ont été trouvés divers documents liés à leur activité militante avant l’occupation, sont interrogés le lendemain par l’inspecteur David, puis jugés, condamnés et passent le reste de la guerre en prison et en camp (échappant ainsi paradoxalement à la mort). Deux autres sont libérés parce qu’inconnus jusque-là des RG.
Suspects d’infraction au décret du 18 novembre 1939, les neuf restants – Georges Abramovici [2], Marceau Baudu, Fernand Boussuge, Joseph Daniel, Louis Gaillanne, André Girard, Francis Joly, Frédéric Rancez et René Salé – sont écroués à 19h45 au dépôt de la préfecture de police comme “consignés administratifs”.
Le 16 avril à 7 h 30 – après être restés deux mois à la Conciergerie -, ils sont transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Voves (Eure-et-Loir).
Le matin du 11 février 1942, Fernand Boussuge est donc arrêté à son domicile ou à l’usine et conduit à la préfecture de police pour interrogatoire. Le même jour, à 19h45, il est écroué au dépôt avec ses camarades et suit le même trajet en détention.
Le 16 avril, il est enregistré au camp français de Voves sous le matricule 77.
Le 10 mai, remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci, huit ouvriers de la Sanders font partie d’un groupe de 81 détenus transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin, Fernand Boussuge est sélectionné – avec les sept autres ouvriers de la Sanders – parmi plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet, Fernand Boussuge est enregistré à Auschwitz sous le numéro 45294 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).
- Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 10 mai 1946, la procédure judiciaire engagée contre les deux membres de la direction responsables de la délation se termine par leur acquittement.
La mention “Mort pour la France” est apposée sur l’acte de décès de Fernand Boussuge.
Après la guerre (projet datant de février 1946), le personnel de l’usine dédie une plaque commémorative à ses camarades morts en déportation.
En 1961, devenus “La Nationale”, les établissements Sanders déménagent pour le siège de Massy (91) sous l’intitulé N.C.R. (National Cash Register). La plaque suit le transfert de l’entreprise pour être apposée dans le hall d’entrée du restaurant du personnel. Elle y est honorée chaque année.
Pour la remplacer à Gentilly, la municipalité a apposé une nouvelle plaque à l’entrée de la rue Benoît-Malon où était située l’usine.
Les déportés de la Sanders ont également leurs noms gravés sur le monument de la Déportation situé dans le carré militaire du cimetière de Gentilly.
Notes :
[1] Gentilly : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] Georges Abramovici, né le 15 août 1914 à Paris, demeurant au 11, rue du Chaperon Vert à Gentilly, entré à la Sanders le 19 avril 1938, est un militant syndical très actif. Mais d’abord considéré comme Juif, il sera envoyé au camp de Drancy le 20 octobre, puis déporté dans un convoi du génocide le 4 novembre 1942 (transport n° 40, dont seulement un tiers des détenus entre dans le camp).
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 64, 388 et 397.
Recherches de Renée Joly aux Archives nationales.
Archives communales de Gentilly : recherches menées par Chantal Rannou (2007).
Frédéric Couderc, Les RG sous l’occupation : quand la police française traquait les résistants, Olivier Orban, Paris 1992, pages 39 à 43.
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : registre d’écrou du dépôt (n° 517) ; dossier individuel aux Renseignements généraux (77 W 205-128466).
Comité du souvenir du camp de Voves, liste établie à partir des registres du camp conservés aux Archives départementales d’Eure-et-Loir.
Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : dossier individuel (21 P 429.600), recherches de Ginette Petiot, mars 2018.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 124 (38/1943).
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) : acte de décès ; relevé dans les archives du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau (communication 23-01-2009).
Musée de la Résistance nationale (MRN) Champigny-sur-Marne (94), carton “Association nationale de des familles de fusillés et massacrés”, fichier des victimes.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 22-03-2024)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes (FNDIRP) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.