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Paul, Eugène, Caille naît le 4 octobre 1895 à Flavy-le-Martel (Aisne – 02), fils de Julien Caille, 39 ans, « employé aux chemin de fer » (du Nord), et de Joséphine Floquet, son épouse, 34 ans, couturière.
Le 27 juin 1909, âgé de 14 ans, Paul Caille entre comme ouvrier menuisier dans les ateliers la Compagnie des chemins de fer du Nord.
De la classe 1915, il est « non recensé en temps utile par cas de force majeure » (occupation du territoire ?). Pris bon pour le service armé par la commission de Beauvais, mais recensé tardivement, il ne peut être appelé à l’activité militaire, sa classe étant démobilisée. Le 14 octobre 1919, il est affecté comme réserviste au 45e régiment d’infanterie. Cependant, le 13 mai 1920, il est envoyé en congé illimité de démobilisation, résidant alors à la Cité nouvelle, à Tergnier (02). Début 1927, il habite rue du Cimetière à Flavy-le-Martel.
Entre les deux guerres, il est en poste à Tergnier (02) ; l’armée l’y classe dans l’affectation spéciale en septembre 1927.
- Tergnier. La gare de voyageurs.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.
Le 21 juin 1919 à Flavy-le-Martel, Paul Caille se marie avec Juliette Ravinot. Ils auront trois enfants : Paulette, née en 1920, Marcel, né en 1921, et Simone, née en 1927.
La famille est alors domicilié au 81, rue Pasteur à Quessy-Centre [1] (02), commune voisine.
En 1919, Paul Caille se syndique à la CGT. En 1924, à la mort de Lénine, il adhère au Parti communiste français dans la promotion qui porte le nom de ce dernier.
Après la première scission syndicale, il devient un militant actif de la CGTU et un ardent défenseur de ses collègues de travail dans le centre ferroviaire de Tergnier (trois mille cheminots).
Délégué du personnel auprès du directeur du réseau ferroviaire Nord, il est également secrétaire général du Syndicat des cheminots. Secrétaire de l’Union locale CGT de la région de Tergnier, il est délégué au VIIIe congrès national de la CGTU (Issy-les-Moulineaux, 24/27-09-1935), puis au congrès de la CGT réunifiée (Toulouse, 03-1936, et Nantes, 14/17-11-1938).
Membre du bureau régional du PCF de Picardie jusqu’à la dissolution du parti en 1939, Paul Caille est candidat au conseil général en octobre 1937 dans le canton de la Fère (02). Recueillant 1377 voix sur 7438 inscrits, il se désiste en faveur du représentant du Parti socialiste SFIO, qui est élu.
Pendant la guerre civile d’Espagne et ensuite, il est président du comité local de secours aux réfugiés espagnols.
À l’automne 1939, il refuse de désavouer publiquement le pacte germano-soviétique.
Durant les hostilités de 1939-1940, il fait l’objet d’une surveillance étroite des services de police et de la sécurité militaire, mais ne peut être convaincu d’« activité anti-nationale ».
Dès le 26 février 1940, l’administration française suspecte une activité clandestine de Paul Caille, transmettant à la SNCF un M.T.P. (?) « signalant l’intéressé comme dangereux. Demande de lui faire connaître nos propositions à son égard ». Le 8 mai 1940, la direction SNCF de la région Nord « propose de faire envoyer cet agent dans un camp de concentration ou, à défaut de le faire expulser de la zone des armées ».
Revenu de l’exode de juin 1940, Paul Caille reprend son emploi de menuisier au dépôt SNCF de Tergnier.
Dès le mois d’août, il organise l’action clandestine parmi les cheminots et dans toute la région de Tergnier. Il aide des prisonniers de guerre français évadés à franchir la ligne de démarcation. Préparant – avec Marcel Gouillard, de Fargniers, comme adjoint – l’organisation d’un groupe de combat, il récupère des armes et des munitions qui serviront plus tard aux premiers groupes de Francs tireurs et partisans (FTP) du secteur.
Le 14 novembre 1940, le gouvernement de Vichy licencie (révoque ?) Paul Caille de la SNCF pour avoir refusé de renier son Parti.
Il est contraint de travailler dans une scierie, dix heures par jour, six jours par semaine. « Manipulant les énormes troncs de la peupleraie de Quessy-centre », il est victime d’un accident qui nécessite l’amputation de l’auriculaire de sa main gauche.
Surveillé par la police française, il subit perquisition sur perquisition à son domicile.
Une distribution de tracts ayant eu lieu à Quessy-Cité dans la nuit du 1er au 2 février 1941, le préfet ordonne une perquisition chez les principaux militants communistes du secteur de Tergnier. Le 28 février, la visite effectuée au domicile de Paul Caille amène la découverte d’un opuscule intitulé Brochettes d’agents provocateurs, d’une carte de membre de l’Association française des Amis de l’Union soviétique et L’Humanité clandestine spéciale de décembre 1940.
Dans la nuit du 4 au 5 mars, la police constate une nouvelle distribution de tracts communistes à Tergnier.
Le 28 mars, le préfet de l’Aisne prononce un arrêté selon lequel « considérant que […] le sieur Caille Paul est un communiste notoire [il] sera interné administrativement à partir de ce jour ».
Le lendemain 29, Paul Caille est arrêté à son domicile par la gendarmerie française, en possession de tracts communistes distribués les deux jours précédents. Marcel Gouilliard est pris en même temps et les deux camarades subiront ensemble leur trajet en détention. Paul Caille, menotté, est conduit jusqu’à la gare de Tergnier dans la voiture du boucher du village.
Les gendarmes qui l’escortent le font monter, avec Marcel Gouillard, dans un train partant vers 11 heures. Alertés, des cheminots s’approchent de la voie de chemin de fer pour les saluer en levant le poing. Tous deux sont provisoirement écroués à la Maison d’arrêt de Laon (02).
Le 6 avril, ils sont conduits au camp français de Choisel à Châteaubriant (Loire-Inférieure / Loire-Maritime), où ils resteront treize mois. Début octobre, ils y seront rejoints par Édouard Bonnet, de Chauny. Le 22 octobre, tous les trois sont témoins du départ des vingt-sept otages communistes conduits à la Sablière pour y être fusillés.
Paul Caille est désigné comme chef de chantier du camp, employé pendant dix mois par le chef de camp qui envisagera de « le proposer pour une mesure de clémence éventuelle ».
Le 5 novembre, Édouard Bonnet, Paul Caille et Marcel Gouillard figurent sur une liste de douze otages établie par la Feldkommandantur de Laon.
Le 7 mai 1942, Paul Caille est enregistré sous le matricule 562 au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Voves, au sud-est de Chartres (Eure-et-Loir – 28).
Dans cette période, la Feldkommandantur 518 de Nantes demande le transfert au camp de Compiègne des otages Édouard Bonnet, Paul Caille et Marcel Gouilliard, probablement sur réquisition de la Kommandantur de Laon…
Le 1er juin, cet ordre est directement transmis par téléphone au commandant du camp de Voves par la Kommandantur d’Orléans.
Le 2 juin, les trois hommes sont remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits à la prison allemande de Chartres (28) ; peut-être pour interrogatoire (à vérifier…). Le lendemain, ils sont transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Paul Caille y est enregistré sous le matricule n° 5978. Il tentera en vain de s’échapper.
Entre fin avril et fin juin 1942, Paul Caille est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Paul Caille est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I), peut-être sous le numéro 46226, selon les listes reconstituées (aucune photo de détenu de ce convoi n’a été retrouvée après le matricule 46172).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Paul Caille se déclare alors comme cheminot (Eisenbahner). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage connu ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Paul Caille.
Il meurt à Auschwitz le 17 septembre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp, qui indique pour cause mensongère de sa mort « insuffisance (du muscle) cardiaque » (Herzmuskelinsuffizienz).
Paul Caille est homologué comme lieutenant dans les Forces françaises de l’intérieur (J.O. 14-11-1947) ; une attestation mentionne ses états de service depuis le 1er janvier 1941 jusqu’à son arrestation. Mais le titre de déporté résistant lui est refusé (probablement à cause de la couleur politique de son engagement) et il n’est officiellement considéré que comme déporté politique.
Le conseil municipal de son lieu de naissance, Flavy-le-Martel, a donné son nom à une rue de la commune.
À Quessy, son nom a été donné à la place de la mairie (l’hôtel de ville devenant une mairie annexe après la fusion de la commune dans celle de Tergnier en 1992).
- © Photo Mémoire Vive.
Le nom de Paul Caille est inscrit sur plusieurs plaques commémoratives du secteur : à Flavy-le-Martel, sur le monument aux morts, sur le tableau commémoratif 1939-1945 de la mairie, et sur la plaque commémorative du cimetière ; à Quessy, une plaque individuelle apposée sur la façade de l’ancienne mairie (« initiateur de la Résistance ternoise »)…
- © Photo Mémoire Vive.
…sur le monument au mort, place de la mairie…
- © Photo Mémoire Vive.
…à Tergnier, sur plaque commémorative des ateliers SNCF « A la mémoire des agents des ateliers tués par faits de guerre » et sur la plaque de la gare « A la mémoire des agents de la région Ternoise tués par faits de guerre 1914-1918 1939-1945 ».
Son fils, Marcel Caille, devint secrétaire confédéral de la CGT et membre du Comité central du PCF.
Notes :
[1] Quessy : Commune rattachée à Tergnier depuis le 1er janvier 1992.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 360 et 397.
Jean Maitron et Claude Pennetier, notice in Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français, sous la direction de J. Maitron, citant : Comptes rendus des congrès de la CGT – Note de J. Girault – Témoignage écrit de Marcel Caille, 25-01-1983.
Archives départementales de l’Aisne (AD 02), site internet du conseil général, archives en ligne, registre d’état civil de Flavy-le-Martel 1893-1896 (cote 1 E 365/36), année 1895, acte n° 86 (vue 209/292) ; registre des matricules militaires, bureau de recrutement de Saint-Quentin, classe 1915 (cote 21R 210), matricule 1792 (vues 237-239/343).
Marcel Caille, son fils, attestations et documents transmis à Mémoire Vive (12-2007).
Archives départementales de l’Aisne (AD 02), Laon : dossiers du commissariat régional aux Renseignements généraux, surveillance des communistes (cote SC11276).
Alain Nice, La guerre des partisans, Histoire des Francs-tireurs partisans français, Histoire de la Résistance ouvrière et populaire du département de l’Aisne, édition à compte d’auteur, janvier 2012, pages 18-19, 24-26 (commande à adresser à Alain NICE – 9 rue de la Tour du Pin – 02250 BOSMONT-SERRE).
Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), doc.XLIV-5, XLIV-18 et XLIV-21.
Comité du souvenir du camp de Voves, liste établie à partir des registres du camp conservés aux Archives départementales d’Eure-et-Loir ; relevés dans le dossier de Paul Caille, transmis par Étienne Égret (message 01-2014).
Indications de Hervé Barthélémy de l’association Rail & Mémoire (message 01-2014).
Base de données des archives historiques SNCF ; service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne (en 1947), de A à Q (0110LM0108) ; Renseignements sur des agents sanctionnés pour communisme ou activité anti-nationale, licenciés par application des lois du 18 septembre, 23 octobre 1940 et 20 mars 1941, région du Nord (CXXX11.2 118LM121/2).
Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen : dossier de Paul Caille (sans cote), recherches de Thomas Fontaine (message 01-2014).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 157 (30706/1942).
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; copie de l’acte de décès du camp.
Site Mémorial GenWeb, 02-Quessy, relevés de Didier Mahu et Stéphane Protois (10-2007, 07-2009).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 7-12-2023)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.