Léon, Antoine, Vermeersch naît le 3 novembre 1888 à Lille (Nord), chez sa mère, Laure Vermeersch, 27 ans, couturière, native de Saint-Denis (Seine / Seine-Saint-Denis), domiciliée au 23, rue Ratisbonne. Deux jours plus tard, l’enfant est présenté pour son inscription à l’état civil par la sage-femme qui l’a accouché, avec pour témoins deux journaliers âgés qui ne savent signer. L’enfant est reconnu et légitimé par le mariage de Léon, Eugène, Cambillard, avec sa mère, célébré à Lille le 8 septembre (ou novembre) 1892.
Le 9 décembre 1903, Léon Cambillard entre comme apprenti typographe à l’Imprimerie Nationale, rue de la Convention (Paris 15e).
Le 27 janvier 1912, à Paris 15e, Léon Cambillard épouse Jeanne Clément, née le 16 décembre 1889 à Saint-Père(-sur-Yonne), sans profession. Ils ont un fils, Roger Marcel, né le 20 juillet 1912 à Paris 15e.
Léon Cambillard est mobilisé du 3 août 1914 au 28 juillet 1919 ; sur le front jusqu’au 10 mai 1915, date à laquelle il est blessé au pied par un éclat d’obus au combat de la Targette (bataille d’Artois, village de Neuville-Saint-Vaast), à la suite de quoi il est affecté « à l’Intérieur » (?). À son retour, il est pensionné de guerre avec une invalidité de 40 %.
En 1923, et jusqu’à son arrestation, Léon Cambillard est domicilié au 36, avenue (ou rue) des Tilleuls à Clamart [1] (Seine / Hauts-de-Seine).
La seule action politique connue de son employeur est sa participation, le 12 octobre 1925, à la journée de grève lancée par le Parti communiste et la CGT contre la guerre coloniale du Rif au Maroc. Il reçoit « une réprimande » de la direction. Dans cette période, il s’occupe au sein de l’entreprise d’œuvres sociales intéressant la jeunesse (colonies de vacances, sports, etc.).
Il devient chef-comptable (“commis d’ordre et de comptabilité”) à l’Imprimerie Nationale.Son fils devient relieur, employé chez Magnier, et l’épouse de celui-ci est sténo chez Flammarion. Après avoir vécu un temps au domicile paternel, le jeune couple emménage à Vanves.
À une date restant à préciser, Léon Cambillard se présente comme candidat du Parti communiste aux élections municipales à Clamart.
Au cours de la guerre, ses collègues placent Léon Cambillard à la présidence de la Coopérative d’achat du personnel ; activité bénévole pour laquelle il est très apprécié. Cependant, le commissaire de police du 15e arrondissement, le désignant comme « véritable meneur de tout le personnel », considère que cette nomination lui permet de maintenir une propagande communiste sous couvert de la Coopérative, le soupçonnant également d’imprimer ou faire imprimer des tracts sur les presses et avec le papier de l’Imprimerie Nationale.
Le 10 février 1940, Léon Cambillard fait l’objet d’un rapport des Renseignements généraux dans lequel il est considéré comme « un militant révolutionnaire très actif ».
De son côté, n’ignorant pas ses opinions politiques, la Direction de l’Imprimerie Nationale soumet Léon Cambillard à une surveillance très étroite qui reste sans résultat. Cette même direction déclarant que l’impression de tracts avec le matériel de l’imprimerie est impossible sans une complicité des chefs d’atelier et d’une partie du personnel, laquelle est peu probable.
Le 28 juin 1941, Léon Cambillard est arrêté sur son lieu de travail par les services du commissariat de police du 15e arrondissement. À la demande du commissaire qui le déclare comme un « militant communiste se livrant à une active propagande », le préfet de police a signé l’arrêté ordonnant son internement administratif « en application du décret du 18 novembre 1939 ». Mais, en réalité, Léon Cambillard est pris dans le cadre d’une vaste opération menée en concertation avec l’occupant. En effet, pendant quelques jours, plusieurs dizaines de militants de Paris et de la “petite couronne” arrêtés dans les mêmes conditions sont aussitôt conduits dans la cour de l’Hôtel (de) Matignon [2], alors désigné comme siège de la Geheime Feldpolizei (GFP), pour y être “mis à la disposition des autorités d’occupation” [3]. Tous sont ensuite regroupés au Fort de Romainville, sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément du Frontstalag 122 ; considérés comme étant en transit, ils ne sont pas enregistrés sur les registres du camp.
Le 1er juillet, ils sont conduits à la gare du Bourget et un train les transporte à Compiègne (Oise), où ils sont parmi les premiers internés du camp allemand de Royallieu, administré et gardé par la Wehrmacht (Polizeihaftlager – extension du Frontstalag 122) [4]. Enregistré sous le matricule n° 1002, Léon Cambillard est assigné pendant un temps au bâtiment B5.
Le 11 septembre, il adresse une demande de libération au commandant du camp.
Le 24 octobre 1941, Jeanne Cambillard écrit au préfet de police pour solliciter de sa « bienveillante impartialité » l’examen de la situation de son mari. Le 30 octobre, la demande est transmise aux Renseignements généraux « pour enquête et avis ». Le 17 novembre, La 1re brigade des R.G. conclue : « Il ne semble pas, dans les circonstances actuelles, que sa libération puisse être envisagée ».
Le 3 décembre 1941, Jeanne Cambillard demande à l’employeur de son mari une attestation sur sa moralité et sa manière de servir. Le directeur de l’Imprimerie Nationale lui renvoie rapidement un courrier très élogieux, déclarant qu’au cas où il serait libéré, il le reprendrait parmi ses employés.
Le 16 mars 1942, une personne influente adresse au maire de Clamart un courrier soutenant une démarche de Madame Cambillard dont le mari « est prisonnier et dans une situation dangereuse ». N’ayant « jamais constaté à Clamart une activité communiste de l’intéressé », le maire se dit « tout disposé à faire » ce qu’il peut.
Le 1er mai, le préfet de police répond à une demande de la Délégation générale du gouvernement français dans les territoires occupés qu’il ne s’oppose pas « à ce que la libération de ce détenu, qui semble ne pas être un élément dangereux pour l’ordre public, soit demandée aux Autorités d’Occupation ». Le 22 juin, le préfet insiste : « j’ai l’honneur de vous prier de bien vouloir me faire connaître le résultat de l’intervention que vous vous proposiez de faire auprès des Autorités d’Occupation (…) Je vous serais reconnaissant de bien vouloir insister (…) pour qu’une mesure de libération soit prise à l’égard de l’intéressé (…) ». Une réponse arrivera… le 9 juillet : « La Délégation Générale, saisie de votre requête, ne manquera pas d’intervenir en sa faveur auprès des Autorités d’Occupation, dès que se présentera une occasion favorable, et vous teindra au courant de ses démarches. »
Entre fin avril et fin juin 1942, Léon Cambillard a été sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Léon Cambillard est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 46318, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Léon Cambillard.
Il meurt à Auschwitz le 17 septembre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).
Son nom est inscrit (avec seulement l’initiale de son prénom) sur le Monument aux morts de Clamart, situé dans le cimetière communal.
À une date restant à préciser (avant janvier 1954), la municipalité de Vanves dénomme rue Raymond Cambillard la rue des Tilleuls où il a habité (en 2023, cette voie n’est plus répertoriée…).
Jeanne, sa veuve, décède le 10 juin 1976 à Clamart.
Notes :
[1] Clamart : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne” (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] L’hôtel Matignon, 57 rue de Varenne (Paris 7e) : le 8 septembre 1940, les Renseignements généraux de la préfecture de police constatent la réquisition de l’hôtel pour le bureau de cantonnement des hommes de la police militaire secrète : Geheime Feldpolizei – Dienstelle – Männer-Unterkunft (source : Cécile Desprairies, Paris dans la Collaboration, éditions du Seuil, mars 2009, page 268).
[3] L’ “Aktion Theoderich” : Le 22 juin 1941, l’attaque de l’Union soviétique se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante.
En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés en zone occupée par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht.
Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Les autorités d’occupation opéreront un tri et certains seront libérés. Mais, fin août, deux cents d’entre eux font déjà partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.
[4] Les arrestations de la fin juin 1941 dans le département de la Seine, trois témoignages :
Jean Lyraud (déporté à Sachsenhausen le 24 janvier 1943). Le 26 juin, à 5 heures du matin, il est réveillé par des policiers français : « Veuillez nous suivre au poste avec une couverture et deux jours de vivres. » Un autobus le prend bientôt avec trois autres personnes arrêtées. Le véhicule fait le tour des commissariats de Montreuil et du 11e arrondissement. Après un crochet à l’hôtel Matignon où les “internés administratifs” sont livrés à l’armée d’occupation, c’est le transport jusqu’au Fort de Romainville où ils passent la nuit dans les casemates transformées en cachots. « Le lendemain 27 juin dans l’après-midi, nous embarquons en gare du Bourget dans des wagons spéciaux pour Compiègne. Nos gardes ont le revolver au poing et le fusil chargé, prêts à faire feu. Dans la soirée nous arrivons au camp. Quelques jours après, d’autres contingents de la région parisienne nous rejoignent. »
Henri Pasdeloup (déporté à Sachsenhausen le 24 janvier 1943), cheminot de Saint-Mihiel (Meuse), est arrêté le 23 juin 1941 par la Gestapo qui le conduit à la prison de la ville. Le 27 juin, avec d’autres détenus emmenés à bord de deux cars Citroën, il arrive devant le camp de Royallieu vers 16 h 30 : « À l’arrivée face au camp, nos gardiens nous font descendre. Alignement sur la route, comptages et recomptages. En rangs par trois nous passons les barbelés… À 19 heures, environ 400 prisonniers en provenance de la région parisienne entrent en chantant L’Internationale… Le lendemain 28 juin, réveil à 7 heures : contrôle d’identité, toise, matricule. J’ai le numéro 556. Pour notre groupe de la Meuse, cela va de 542 à 564. Ceux de la région parisienne, bien qu’arrivés après nous, sont immatriculés avant… »
Henri Rollin : « Le 27 juin 1941, vers 6 heures de matin, ma femme et moi nous sommes réveillés par un coup de sonnette. Trois inspecteurs de la police française viennent nous arrêter ; perquisition rapide sans résultat (nous avions la veille au soir distribué les derniers tracts que nous avions). Nous arrivons à l’hôtel Matignon où nous trouvons de nombreux cars et camions, résultat d’une rafle dans toute la région parisienne. Nous sommes remis par la police française aux autorités allemandes. Au moment de ma remise aux Allemands, j’ai aperçu qu’on leur donnait une petite fiche portant mon nom et la mention “communiste”, soulignée à l’encre rouge. Nous subissons un court interrogatoire d’identité… Attente… Vers la fin de l’après-midi, départ en car. Arrivée au fort Romainville, fouille, identité. Départ de Romainville le 1er juillet, au matin, par train spécial et bondé au Bourget, arrivée l’après-midi à Compiègne. Le lendemain, même cérémonie, refouille et identité, ensuite la vie de camp… »
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 381 et 397.
Archives communales de Clamart, recherches menées par Sonia Lieutier : registre de recensement de 1936 (1F31) ; courrier du directeur de l’Imprimerie Nationale 5-12-1941 (série H).
Archives départementales du Nord (AD 59), site internet du conseil général, archives en ligne : registre des naissances de Lille 20/10/1888 – 16/01/1889 (Mi EC 350 R 056), acte n° 5009 (vue 80/561).
Archives départementales de l’Yonne (AD 89), site internet du conseil général, archives en ligne : registre des naissances N.M.D. de Saint-Père 1880-1889 (5 MI 802/1), naissances de l’année 1889, acte n° 13 (vue 54/182).
http://www.le-blog-de-roger-colombier.com/2015/10/12-octobre-1925-greve-generale-contre-la-guerre-coloniale-du-rif.html
Musée de la Résistance nationale (MRN) Champigny-sur-Marne (94) : carton “Association nationale de des familles de fusillés et massacrés”, fichier des victimes.
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397) ; dossier individuel au cabinet du préfet (1 W 717-26414).
Sachso, Amicale d’Orianenburg-Sachsenhausen, Au cœur du système concentrationnaire nazi, Collection Terre Humaine, Minuit/Plon, réédition Pocket, mai 2005, page 36 (sur les arrestations du 26 juin 1941).
Gérard Bouaziz, La France torturée, collection L’enfer nazi, édité par la FNDIRP, avril 1979, page 262 (sur les arrestations du 27 juin 1941).
Site Souterrains et vestiges, article de JFW.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 157 (31435/1942).
Site Mémorial GenWeb, 92-Clamart, relevé de Jacques Baudot (2000-2002).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 5-10-2023)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.