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Étienne, Aimable, Jules, Cardin naît le 12 janvier 1893 à Auvers (Manche – 50), chez ses parents, Étienne Louis Cardin, 35 ans, journalier, et Augustine Yvetot, 34 ans, son épouse, domiciliés au hameau de la Godillerie.
Pendant un temps, Étienne Cardin fils habite à La Cambe (Calvados – 14) et travaille comme forgeron ajusteur. Pour l’époque, c’est un homme plutôt grand (1 m 75).
Le 26 novembre 1913, il est incorporé comme apprenti-marin au 2e dépôt des équipages de la Flotte (Marine nationale). Il reste “sous les drapeaux” lorsque commence la Deuxième Guerre mondiale. Le 1er février 1918, il est nommé matelot de 1re classe mécanicien. Affecté à l’arsenal de Cherbourg (50), il y est nommé premier quartier-maître, y complétant une qualification de mécanicien ajusteur.
Le 3 juin 1918, à Caen (14), Étienne Cardin se marie avec Yvonne Chagny, née le 28 octobre 1900 dans cette ville, couturière et fille d’un « employé aux chemins de fer ».
Le 1er septembre 1919, il est envoyé en congé illimité de démobilisation et se retire 37, rue rue du Vaugueux à Caen. Deux semaines plus tard, le 15 septembre, Yvonne donne naissance à leur fils Roger.
Début novembre suivant, Étienne Cardin est installé à Bretteville-sur-Odon, quartier Saint-Pierre (14). Il est alors ajusteur à la Compagnie des chemins de fer de l’État.
Le 18 novembre 1924, il déclare habiter à Ryes, proche de Saint-Lô (50). Le 14 décembre 1929, il déclare habiter à Sommervieu (14), au hameau du bourg.
Lucienne naît le 6 septembre 1926 et Jakie (sans “C”) Auguste le 26 mai 1929, tous deux à Crépon (14).
Yvonne, son épouse, décède le 7 janvier 1932, âgée de 31 ans.
Le 14 mai suivant, Étienne Cardin est hébergé par ses beaux-parents, Pierre Désiré et Léonide Chagny, au 71, rue Saint-Pierre à Caen.
Le 6 octobre 1933, à Caen, il épouse Jeanne Henriette Marie, 38 ans (née le 6 novembre 1894), blanchisseuse, veuve d’un fantassin tué à l’ennemi le 26 mars 1917.
Étienne Cardin travaille aux Chemins de fer de l’État jusqu’en 1936, participant aux grèves de la période de Front populaire.
Puis, il est embauché aux Chantiers navals français (CNF) du port de Caen, sur la commune de Blainville-sur-Orne.
Fin avril 1936, il est installé avec sa famille au 132, rue d’Auge à Caen.
Il milite activement en tant que secrétaire général du syndicat CGT des métaux de la région de Caen. Il est conseiller aux Prud’hommes.
Au moment de son arrestation, Étienne Cardin est domicilié au 13, rue Montoir-Poissonnerie.
Le 22 juin 1941, il est arrêté une première fois et emprisonné à la Maison d’arrêt de Caen, puis libéré vers décembre.
« Je suis allée avec lui voir l’épouse de l’un des deux fusillés du 9 décembre 1941 à la caserne du 43e Régiment d’infanterie de Caen. Il apporte un peu de réconfort et de fraternité », témoigne Lucienne Chotin, sa fille (lettre du 02/02/2000).
Dans la nuit du 1er au 2 mai 1942, Étienne Cardin est de nouveau arrêté, au domicile de ses parents, rue Saint-Pierre, par la police française. Inscrit comme “communiste” sur une liste d’arrestations exigées par la Feldkommandantur 723 de Caen à la suite du déraillement de Moult-Argences (Airan) [1], il est conduit au commissariat central de Caen, rue Auber.
Le 3 mai, remis aux autorités d’occupation, il est au “petit lycée” où sont rassemblés les otages du Calvados.
Le 4 mai, sa femme et ses trois enfants viennent le voir. Le soir-même, Étienne Cardin fait partie du groupe de détenus conduits à la gare de marchandise de Caen pour être transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Ils y arrivent le lendemain, 5 mai en soirée.
Entre fin avril et fin juin 1942, Étienne Cardin est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, il est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45329 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée et identifiée).
- Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Étienne Cardin est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.
Avec Georges Bigot, Marcel Cimier et le neveu de ce dernier, Roger Pourvendier, il est affecté au Block 17 A, et d’abord envoyé travailler comme mécanicien dans un garage de voitures personnelles des SS. Mais, ne sachant pas parler allemand, ils en sont évincés par des détenus polonais et envoyés vers des Kommandos plus difficiles.
Étienne Cardin meurt à Auschwitz le 19 octobre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).
Le 9 août 1946, Charles Lelandais, de Caen, rescapé, signe un certificat attestant de son décès « vers octobre ou novembre ».
Le 26 août 1987, à Caen, à la demande de David Badache, rescapé caennais du convoi (matr. 46267), est inaugurée une stèle apposée par la municipalité sur la façade de l’ex-Petit Lycée, côté esplanade Jean-Marie Louvel, en hommage aux otages déportés le 6 juillet 1942.
Le nom d’Étienne Cardin est inscrit sur la plaque commémorative dévoilée le 19 décembre 2008 sur le pignon de l’ex-Petit Lycée de Caen, côté avenue Albert Sorel, afin de rendre hommage à tous les otages calvadosiens déportés suite à la répression de mai 1942.
Notes :
[1] Le double déraillement d’Airan et les otages du Calvados : Dans la nuit du 15 au 16 avril 1942, le train quotidien Maastricht-Cherbourg transportant des permissionnaires de la Wehrmacht déraille à 17 kilomètres de Caen, à l’est de la gare de Moult-Argence, à la hauteur du village d’Airan, suite au déboulonnement d’un rail par un groupe de résistance. On compte 28 morts et 19 blessés allemands.
L’armée d’occupation met en œuvre des mesures de représailles importantes, prévoyant des exécutions massives d’otages et des déportations. Le préfet du Calvados obtient un sursis en attendant les conclusions de l’enquête de police. Mais, faute de résultats, 24 otages choisis comme Juifs et/ou communistes sont fusillés le 30 avril, dont deux à Caen.
Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, un deuxième déraillement a lieu, au même endroit et par le même procédé. Un rapport allemand signale 10 morts et 22 blessés parmi les soldats. Ces deux déraillements sont au nombre des actions les plus meurtrières commises en France contre l’armée d’occupation.
Au soir du deuxième attentat – à partir de listes de communistes et de juifs (130 noms sur le département) transmises au préfet par le Feldkommandant – commence une vague d’arrestations, opérées par la police et la gendarmerie françaises avec quelques Feldgendarmes. Dans la nuit du 1er au 2 mai et le jour suivant, 84 hommes au moins sont arrêtés dans le Calvados et conduits en différents lieux de détention. Pour le commandement militaire allemand, ceux qui sont maintenu en détention ont le statut d’otage.
Tous les hommes désignés n’ayant pu être arrêtés, une autre vague d’arrestations, moins importante, a lieu les 7 et 8 mai. Le préfet du Calvados ayant cette fois-ci refusé son concours, ces arrestations d’otages sont essentiellement opérées par la Wehrmacht (Feldgendarmes).
Au total plus de la moitié des détenus de ce début mai sont, ou ont été, adhérents du Parti communiste. Un quart est désigné comme Juif (la qualité de résistant de certains n’est pas connue ou privilégiée par les autorités). Des auteurs d’actes patriotiques, proches du gaullisme, sont également touchés par la deuxième série d’arrestations.
Tous passent par le “petit lycée”, contigu à l’ancien lycée Malherbe de Caen, alors siège de la Feldkommandantur 723 (devenu depuis Hôtel de Ville), où ils sont rapidement interrogés.
Le 4 mai, 48 détenus arrêtés dans la première rafle sont transférés en train au camp de police allemande de Compiègne-Royallieu ; puis d’autres, moins nombreux, jusqu’au 9 mai (19 ce jour-là).
Les 8 et 9 mai, 28 otages communistes sont fusillés au Mont-Valérien, sur la commune de Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine), pour la plupart (trois à Caen). Le 14 mai, onze otages communistes sont encore fusillés à Caen.
La plus grande partie des otages du Calvados transférés à Compiègne sera déportée à Auschwitz le 6 juillet 1942 : 57 politiques et 23 Juifs (près de la moitié des otages juifs du convoi).
Sources :
De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, pages 18, 26, 70, notice par Claudine Cardon-Hamet page 122.
Cl. Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 74 et 75, 361 et 395.
Jean Quellien, Résistance et sabotages en Normandie, Le Maastricht-Chebourg déraille à Airan, éditions Charles Corlet, Condé-sur-Noireau, réédition 2004, pages 128 (n° 16) et 138.
Journal de Marcel Cimier, Les incompris, publié en 1995 par les archives départementales et le conseil général du Calvados dans un recueil de témoignages rassemblés par Béatrice Poule dans la collection Cahiers de Mémoire sous le titre Déportés du Calvados (pages 82-115) ; note de Béatrice Poulle page 93.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 158 (36622/1942).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 3-09-2020)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.