- René Carpentier.
René, Marcel, Carpentier naît le 1er juin 1893 à Crépy-en-Valois (Oise – 60), fils de Charles Carpentier, 44 ans, ouvrier d’usine (ébéniste ?), et de Marie Julie Leclère, 44 ans, qui ont déjà quatre enfants : Gustave, Léon, Georges, Fernande. La famille habite au 1, rue Thiers.
Au recensement de 1911, René habite au 74, Grande Rue à Saint-Sauveur, près de la forêt de Compiègne (60), avec ses parents et sa plus jeune sœur, Reine, née en 1896. Son père est menuisier chez Aubas, à Crépy. Lui est déjà ébéniste chez Clair, sa sœur est couturière chez Mademoiselle Lavoiret. Deux autres familles Carpentier habitent à Saint-Sauveur dont les chefs de famille (Gustave et Léon) travaillent dans un métier du bois : sont-ils de la même famille ? Les parents de René Carpentier seront décédés au moment de son arrestation.
Le 26 novembre 1913, il est incorporé comme 2e canonnier au 5e régiment d’artillerie à pied, afin d’y effectuer son service militaire. Il reste sous les drapeaux après la mobilisation générale du 2 août 1914.
Le 21 avril 1915, il est cité à l’ordre du général (?) du gouvernement de Verdun : « A servi la tourelle de 75 avec un grand zèle », ce qui lui vaut la Croix de guerre avec étoile de vermeil. Du 22 janvier au 5 mars 1916, il est à l’hôpital n°10 de Toul pour « embarras gastrique et courbature fébrile ». Le 19 mars 1916, il passe au 6e régiment d’artillerie à pied. Le 9 mai 1917, il est nommé brigadier (cf. caporal). Le 17 janvier 1918, il est nommé maréchal des logis (cf. sergent). Le 19 septembre 1918, il passe au 155e R.A.P. Le 8 août 1919, il est mis en congé illimité de démobilisation et se retire à Saint-Sauveur (60), probablement chez ses parents, titulaire d’un certificat de bonne conduite.
Le 17 mai 1919 à Saint-Sauveur, il épouse Madeleine Malessan, née le 5 février 1899 dans la commune. Ils ont deux filles : Lucienne, née le 8 février 1920 à Saint-Sauveur, et Simone, née le 13 novembre 1922 à Montmacq, sur l’Oise (60). Au recensement de 1921, la famille habite au 41, Grande Rue à Montmacq ; René est menuisier (?) chez Duvinage.
Au cours de l’année 1924, la famille vient s’installer au 15, Grande Rue à Fresnes [1] (Seine / Val-de-Marne – 94) ; rue dénommée Maurice Ténine à la Libération.
René travaille alors comme ébéniste « dans une maison de meubles du faubourg Saint-Antoine, à Paris ».
Le 23 octobre 1929, René Carpentier écrit au préfet de police pour solliciter d’ouvrir un colombier de quatre pigeons-voyageurs pour élevage et entraînement dans le grenier situé au-dessus de son logement. Après enquête, il y est autorisé par arrêté préfectoral le 15 janvier 1930. Mais, en novembre 1931, il doit fermer son colombier parce que son nouveau propriétaire se plaint de dégradations. Le 5 décembre suivant, la commissariat de Choisy-le-Roi vérifie qu’il « ne possède plus aucun de ces volatiles ».
Par la suite, jusqu’à l’invasion allemande, René Carpentier travaille de son métier à la société Vinet et Barbier, sise au 10, rue des Rasseliers, à Paris 20e.
En 1935, il est membre du Syndicat unitaire des travailleurs du bois et parties similaires de la région parisienne.
La même année, il est adhérent de la section de Fresnes de la région Paris-Sud du Parti communiste.
Aux élections partielles des 27 juin et 4 juillet 1937, René Carpentier est élu Conseiller municipal de Fresnes sur la liste du Parti communiste dirigée par Maurice Catinat.
Le 4 octobre 1939, le Président de la République – Albert Lebrun -, par décret et « sur la proposition du ministre de l’intérieur, suspend jusqu’à cessation des hostilités les Conseils municipaux » de 27 communes de la banlieue parisienne à majorité communiste, dont celui de Fresnes, et les remplace par des Délégations spéciales composées de notables désignés.
Le 9 février 1940, le conseil de préfecture de la Seine déchoit René Carpentier de son mandat municipal, ainsi que 21 autres élus municipaux de Fresnes – avec effet rétroactif au 21 janvier – pour ne pas avoir « répudié catégoriquement toute adhésion au Parti communiste ».
- Le Populaire, quotidien édité par la SFIO,
édition du 17 février 1940.
Archives de la préfecture de police, Paris.
Du 10 juillet au 15 août 1940, il est inscrit au fonds de chômage de Fresnes.
Le 7 octobre, René Carpentier est arrêté par la police française au domicile de Charles Cadier, agriculteur domicilié au 22 rue de Faisanderie, à Fresnes, à la suite de onze autres élus et trois membres du PC de Fresnes, et interné administrativement au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise – Val-d’Oise), ouvert trois jours plus tôt dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt afin d’y enfermer des hommes connus de la police pour avoir été militants communistes avant-guerre.
Le 4 décembre, René Carpentier fait partie d’un groupe d’une centaine d’internés « choisis parmi les plus dangereux » transférés, par mesure préventive ou disciplinaire (?), à la Maison centrale de Fontevraud-L’Abbaye [2], près de Saumur (Maine-et-Loire) ; leur transport s’effectue en car et sous escorte. Les détenus sont enfermés dans une grande salle commune de la Centrale. Ils apprennent que 70 communistes purgent une peine dans le secteur carcéral, dont une vingtaine de jeunes.
Le 20 janvier 1941, sans être informés de leur destination, la même centaine d’internés est conduite à la gare de Saumur où les attendent deux wagons de voyageurs à destination de Paris-Austerlitz. À leur arrivée, ils sont conduits à la gare de l’Est où ils rejoignent 69 autres militants communistes en attente de transfert.
Le train les amène à la gare de Clairvaux d’où ils sont conduits – par rotation de vingt détenus dans un unique fourgon cellulaire – à la Maison centrale de Clairvaux (Aube). Une fois arrivés, la direction les contraint à échanger leurs vêtements civils contre la tenue carcérale, dont un tour de cou bleu (“cravate”) et un béret. Ceux qui refusent sont enfermés une nuit en cellule (“mitard”), tandis que la plupart sont assignés à des dortoirs. Rejoints par d’autres, ils sont bientôt 300 internés politiques.
Le 14 mai, 90 d’entre eux sont transférés au camp français de Choisel à Châteaubriant (Loire-inférieure / Loire-Atlantique), parmi lesquels plusieurs seront fusillés le 22 octobre. René Carpentier fait partie de ceux qui restent à Clairvaux, et qui doivent bientôt partager les locaux qui leur sont assignés avec quelques “indésirables” (condamnés de droit commun)
Au cours du mois de septembre, René Carpentier écrit au préfet de police, à Paris, pour se plaindre « du régime auquel sont soumis les internés ».
Le 26 septembre (date à vérifier), René Carpentier est parmi la centaine d’internés administratifs de Clairvaux transférés en train, via Paris, au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne).
Le 9 février 1942, il est parmi les 52 « communistes » (dont 36 seront déportés avec lui) remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits par des Feldgendarmes à la gare de Poitiers. Enfermés dans deux wagons à bestiaux, ils sont transférés – via Paris – au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin, René Carpentier est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne sur la commune de Margny,x et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
- Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet, René Carpentier est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45332 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée et identifiée [3]).
- Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; René Carpentier se déclare alors sans religion (Glaubenslos). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, René Carpentier est très probablement dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp… bien qu’un rescapé ait témoigné du contraire.
En effet, à une date restant à préciser, René Carpentier est admis au Block 20 des détenus d’Auschwitz-I.
Il meurt meurt le 27 août 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS d’Auschwitz (Sterbebücher) [4].Le 30 septembre 1944, lors de l’assemblée plénière du Comité local de libération de Fresnes, René Carpentier est encore considéré comme « conseiller déporté en Allemagne » (supposé vivant… ?).
Son nom est inscrit sur le monument aux morts de Fresnes, à l’intérieur du cimetière, parmi les “déportés politiques et fusillés”, et sur la plaque apposée à l’extérieur de la mairie le 11 novembre 1945 : « Hommage du conseil municipal et de la population de Fresnes à leurs conseillers municipaux victimes de la barbarie Nazie » ; il y est déclaré mort à Birkenau.
Madeleine Carpentier décède à Fresnes le 18 novembre 1969.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de René Carpentier (J.O. du 7-08-2007)..
Notes :
[1] Fresnes : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] Fontevraud-L’Abbaye, souvent orthographié Fontevrault-l’Abbaye au 19e siècle.
[3] Sa photographie d’immatriculation à Auschwitz a été identifiée par des rescapés lors de la réunion organisée à l’Amicale d’Auschwitz le 10 avril 1948 (bulletin Après Auschwitz, n°21 de mai-juin 1948).
[4] Date de décès inscrite sur les actes d’état civil en France : dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir lesdocuments administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant René Carpentier, c’est le 15 octobre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. La parution au J.O. rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts ; comme sur la plaque de la mairie de Fresnes.
Sources :
Jean Maitron et Claude Pennetier, notice dans le Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, citant : Arch. Dép. Seine, D M3 et versement 10451/76/1 – Arch. Com. Fresnes – État civil de Crépy-en-Valois.
Françoise Wasserman, Juliette Spire et Henri Israël, 1939-1944, Fresnes dans la tourmente, ouvrage édité par l’Écomusée de Fresnes à la suite de l’exposition présentée du 18-10-1994 au 8-05-1995, pages 14, 18 et 19, 50, 120.
Archives départementales de l’Oise, site internet : recensement de 1896 à Crépy-en-Valois, page 111 (vue 57), recensement de 1911 à Saint-Sauveur, page 17 (vue 10), recensement de 1921 à Montmacq, page 6 (vue 5) ; registre des matricules militaires, classe 1893, matricule n° 30.
Archives communales de Fresnes (recensement de 1936, liste de candidats aux élections de 1937, listes de déportés…), recherches conduites par Dominique Couderc (03-2007).
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 355, 387 et 398.
Henri Hannart, Un épisode des années 40, Matricule : F 45652 (les intérêts de certains ont fait le malheur des autres), trois cahiers dactylographiés par son fils Claude, notamment une liste page 23.
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “Occupation allemande” : liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397) ; carton “PC” n°VII, A.S. du 20 décembre 1940 sur le CSS d’Aincourt ; dossier individuel au cabinet du préfet (1 W 1441-81349).
Archives départementales des Yvelines et de l’ancien département de Seine-et-Oise (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt, notice individuelle (1W98).
Archives départementales de la Vienne, Poitiers : camp de Rouillé (109W75).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 158 (25330/1942).
Site internet Mémorial GenWeb, relevé de Bernard Tisserand (02-2004).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 7-02-2024)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes (FNDIRP) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.