Pierre Chauffard naît le 22 juillet 1909 à Vitry-sur-Seine [1] (Seine / Val-de-Marne – 94), chez ses parents, Étienne Chauffard, 38 ans, journalier/manœuvre chez Lemoine à Ivry, et Marie Laurent, 32 ans, son épouse, domiciliés au 2, rue Pierre-Curie. En l’absence de son père, le nouveau-né est présenté à l’état civil par sa tante (?), Marie Chauffard, 37 ans, domiciliée à Paris 8e, qui a assisté à l’accouchement, avec pour témoins Pierre Laurent, 52 ans, polisseur sur métaux, et Pierre Laurent, 26 ans, ajusteur ; une famille de militants.
Pierre Chauffard a deux sœurs, Jeanne, née le 8 juillet 1897, Marie, née le 8 décembre 1904, et un frère, Pierre Henri, né le 29 mars 1903, tous trois plus âgés et nés à Arnay-le-Duc (Côte-d’Or) d’où est également natif leur père.
En 1921, la famille est installée dans un petit immeuble en brique de trois étages faisant l’angle au 7, rue Alfred-de-Musset, toujours à Vitry-sur-Seine. Le père est alors déclaré comme métallurgiste chez Lemoine, où sa sœur Jeanne est sténodactylo. La mère est déclarée métallurgiste à la Compagnie A.M. (ou CAM) à Vitry, ou son frère (18 ans) est ajusteur. Sa sœur Marie (17 ans) est déclarée comme dactylo en chômage.
Le père de famille, Étienne Chauffard, décède le 3 mars 1924.
En 1926, l’aînée, Jeanne, a quitté le foyer, la mère est passée manutentionnaire, Henri est mécanicien chez Delahaye, Marie est employée au Progrès Commercial et Pierre a commencé à travailler comme ébéniste chez Briotet (ou Briot. A.).
Il est possible que sa sœur Marie décède le 5 avril 1928, âgée de 24 ans ; à vérifier…
Malade des poumons, Pierre Chauffard subit un pneumothorax en 1929.
En 1931 et jusqu’au moment de son arrestation, Pierre Chauffard vit seul avec sa mère à la même adresse. Cette année-là, il est ébéniste chez Castel à Alfortville (94).
En 1936, il est admis en maison de repos à Champrosay, lieu dit au sud de Draveil (Seine-et-Oise / Essonne). Cette année-là, sa mère a 60 ans et semble ne plus travailler.
Pierre Chauffard est menuisier à Vitry.
C’est un photographe amateur.
Adhérent du Parti communiste, il milite dans la cellule du Port à l’Anglais.
En juillet 1940, contacté par Jean Armangot, il participe à l’organisation et aux actions de l’équipe qui sera ultérieurement homologuée comme « 2e groupe FTPF ». Un policier, ou plutôt un employé de la préfecture de police, habite à l’étage au-dessus de son domicile… Pierre Chauffard est considéré par les Renseignements Généraux comme un « meneur particulièrement actif ».
Le 26 juin 1941, il est arrêté chez lui à 5 heures du matin dans le cadre d’une vague d’arrestations visant 92 militants ouvriers : le préfet de police a signé les arrêtés ordonnant leur internement administratif. Ces opérations sont menées en concertation avec l’occupant. Pierre Chauffard est livré aux autorités d’occupation et transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) ; il fait partie des militants qui inaugurent ce camp de police [2].
Entre fin avril et fin juin 1942, Pierre Chauffard est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet, Pierre Chauffard est enregistré à Auschwitz sous le numéro 45359 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; à cette occasion, Pierre Chauffard se déclare également sans religion (Glaubenslos). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Pierre Chauffard est très probablement dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal, auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. En effet, pendant un temps il est admis au Block 20 de l’hôpital d’Auschwitz-I.
Il meurt à Auschwitz le 17 août 1942, selon plusieurs registres du camp. Ce jour-là, 29 autres “45000” sont portés décédés ; probablement à la suite d’une séance de désinfection à Auschwitz-I (coups, manque de sommeil…). La cause mensongère indiquée pour sa mort est « inflammation stomacale aigüe » (Akuter Magendarmkatarrh).
(aucun des treize “45000” de Vitry n’est revenu).
Pendant la guerre, sa tante, militante syndicale active à l’usine SKF d’Ivry, est licenciée.
Après la guerre, sa sœur Jeanne devient conseillère municipale de Vitry-sur-Seine.
Une plaque commémorative a été apposée sur l’ancien domicile de Pierre Chauffard, rue Alfred-de-Musset.
Son nom est inscrit sur le monument « À la mémoire de Vitriotes et des Vitriots exterminés dans lescamps nazis » situé place des Martyrs de la Déportation à Vitry.
Notes :
[1] Vitry-sur-Seine : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] L’ “Aktion Theoderich” : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est défini le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante.
En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font déjà partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.
Sources :
Son nom (prénom orthographié « Peter ») et son matricule figurent sur la Liste officielle n°3 des décédés des camps de concentration d’après les archives de Pologne, éditée le 26 septembre 1946 par le ministère des anciens combattants et victimes de guerre, page 60.
Informations collectées par José Martin (frère d’Angel Martin) pour Roger Arnould (FNDIRP), 1973.
1939-1945, La Résistance à Vitry, Ville de Vitry-sur-Seine, 1992, page 21.
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 389 et 399.
Archives communales de Vitry-sur-Seine, listes de recensement 1936, acte de naissance.
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, liste des internés communistes (BA 2397).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 165 (23035/1942).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 21-04-2023)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.