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Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Albert, Auguste, Ernest, Coispeau naît le 25 février 1895 à Sargé-sur-Braye (Loir-et-Cher), fils d’Hippolyte Coispeau, 26 ans, journalier, et de Marie Couloir, son épouse, 27 ans.

Pendant un temps, Albert Coispeau habite chez ses parents, qui sont venus loger au 264, route de Paris à Palaiseau (Seine-et-Oise / Essonne), et travaille comme terrassier.

Le 19 décembre 1914, il est incorporé comme soldat de 2e classe au 119e régiment d’infanterie. Le 8 mars 1915, il passe au 129e RI. À une date restant à préciser, il passe au 403e RI.

Le 25 septembre 1915, à Ville-sur-Tourbe (Marne), Albert Coispeau est blessé en haut de la cuisse droite par un éclat d’obus. Il est évacué le lendemain. Par la suite, la commission militaire de réforme de Rouen le déclare inapte au combat à trois reprises (24 novembre 1916, 26 janvier 1917, 23 mars suivant), tout en le maintenant en service armé.

Le 4 septembre 1916 à Lisieux (Calvados – 14), lors d’une permission ou d’un congé de convalescence, Albert Coispeau se marie avec Suzanne Fernande Chapellière, née le 21 juillet 1897 dans cette ville, domestique, habitant jusque-là chez ses parents, au 41, rue du Pont-Mortain. Leur couple n’aura pas d’enfant.

Le 25 mai 1917, la commission de Rouen déclare Albert Coispeau de nouveau apte à faire campagne. Il rejoint son unité. Le 10 septembre, il est évacué malade, jusqu’au 15 octobre. Le 5 novembre 1917, affecté au 1er groupe d’aviation, il rejoint l’école de tir aérien de Cazaux (Gironde).

Le 24 novembre 1918 (après l’entrée en vigueur de l’armistice), blessé à la main gauche, il est évacué.

Le 28 février 1919, l’armée le classe “affecté spécial” comme employé permanent de la Compagnie des chemins de fer de l’État en qualité de « nettoyeur ». Il reste considéré comme mobilisé jusqu’au 25 septembre suivant.

En raison d’une invalidité estimée inférieure à 10 % – consistant en une « cicatrice linéaire à la fesse droite sans gène fonctionnelle significative ; cicatrice transversale palmaire à la main gauche, raideur très légère du pouce » – la commission de réforme de Caen ne le propose pas pour une pension (février 1920).

Le 23 février 1920, Albert Coispeau est définitivement embauché par la Compagnie ses chemins de fer de l’État, qui fusionnera avec d’autres au sein de la SNCF début 1938 [1].

Fin août 1927, l’armée le classe “affecté spécial” comme chauffeur de route au dépôt de Caen. Il est alors domicilié au 161, rue d’Auge à Caen-Est.

En 1936 et jusqu’au moment de son arrestation, il est domicilié au 50, route de Trouville à Caen (14). Il est toujours chauffeur de route à l’arrondissement de Traction de Caen (SNCF, réseau Ouest).

Le 2 mai 1942, Albert Coispeau est arrêté par la police française ; il figure comme “communiste” sur une liste d’arrestations demandées par la Feldkommandantur 723 de Caen à la suite du déraillement de Moult-Argences (Airan) [2]. Le 4 mai, remis aux autorités d’occupation, il est emmené au “petit lycée” où sont rassemblés les otages du Calvados. Le soir même, il fait partie du groupe de détenus conduits à la gare de marchandise de Caen pour être transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Ils y arrivent le 5 mai, en soirée. Albert Coispeau est enregistré sous le matricule 5209.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Albert Coispeau est enregistré à Auschwitz sous le numéro 45377 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Albert Coispeau est très probablement dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

En effet, à une date restant à préciser, il est admis au bâtiment des maladies internes (Block 28) de l’hôpital des détenus.

Albert Coispeau meurt à Auschwitz le 5 septembre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) et une copie du registre de la morgue (Leichenhalle) relevée clandestinement par la résistance polonaise interne du camp, sur laquelle est “listé” le matricule n° 45377 (ce local de regroupement temporaire des cadavres est situé au sous-sol du Block 28).
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 24-12-1987).

Le 26 août 1987, à Caen, à la demande de David Badache, rescapé caennais du convoi (matr. 46267), est inaugurée une stèle apposée par la municipalité sur la façade de l’ex-Petit Lycée, côté esplanade Jean-Marie Louvel, en hommage aux otages déportés le 6 juillet 1942.

Le nom d’Albert Coispeau est inscrit sur une plaque apposée sur le mur extérieur de la gare de Caen à la mémoire des agents SNCF de l’arrondissement de Caen « tués par faits de guerre », et fusillés ou morts en déportation.
© Cliché Mémoire Vive.

© Cliché Mémoire Vive, 2016.

© Cliché Mémoire Vive, 2016.

© Cliché Mémoire Vive, 2016.

Le nom d’Albert Coispeau est également inscrit sur la plaque commémorative dévoilée le 19 décembre 2008 sur le pignon de l’ex-Petit Lycée de Caen, côté avenue Albert Sorel, afin de rendre hommage à tous les otages calvadosiens déportés suite à la répression de mai 1942.

© Photo Mémoire Vive.

© Photo Mémoire Vive.

Notes :

[1] L’Administration des chemins de fer de l’État, ou Réseau de l’État, dont les lignes aboutissent dans la capitale aux gares Saint-Lazare et Montparnasse, fusionnera avec les compagnies privées dans le cadre de la nationalisation des réseaux de chemins de fer au sein de la SNCF début 1938. Suite à une convention validée par le décret-loi du 31 août 1937, la  Société nationale des chemins de fer français est une société anonyme d’économie mixte, créée pour une durée de 45 ans, dont l’État possède 51 % du capital.

[2] Le double déraillement d’Airan et les otages du Calvados : Dans la nuit du 15 au 16 avril 1942, le train quotidien Maastricht-Cherbourg transportant des permissionnaires de la Wehrmacht déraille à 17 kilomètres de Caen, à l’est de la gare de Moult-Argence, à la hauteur du village d’Airan, suite au déboulonnement d’un rail par un groupe de résistance. On compte 28 morts et 19 blessés allemands.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942. Collection R. Commault/Mémorial de Caen. In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942.
Collection R. Commault/Mémorial de Caen.
In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

L’armée d’occupation met en œuvre des mesures de représailles importantes, prévoyant des exécutions massives d’otages et des déportations. Le préfet du Calvados obtient un sursis en attendant les conclusions de l’enquête de police. Mais, faute de résultats, 24 otages choisis comme Juifs et/ou communistes sont fusillés le 30 avril, dont deux à Caen.

Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, un deuxième déraillement a lieu, au même endroit et par le même procédé. Un rapport allemand signale 10 morts et 22 blessés parmi les soldats. Ces deux déraillements sont au nombre des actions les plus meurtrières commises en France contre l’armée d’occupation.

Au soir du deuxième attentat – à partir de listes de communistes et de juifs (130 noms sur le département) transmises au préfet par le Feldkommandant – commence une vague d’arrestations, opérées par la police et la gendarmerie françaises avec quelques Feldgendarmes. Dans la nuit du 1er au 2 mai et le jour suivant, 84 hommes au moins sont arrêtés dans le Calvados et conduits en différents lieux de détention. Pour le commandement militaire allemand, ceux qui sont maintenu en détention ont le statut d’otage.

Tous les hommes désignés n’ayant pu être arrêtés, une autre vague d’arrestations, moins importante, a lieu les 7 et 8 mai. Le préfet du Calvados ayant cette fois-ci refusé son concours, ces arrestations d’otages sont essentiellement opérées par la Wehrmacht (Feldgendarmes).

Au total plus de la moitié des détenus de ce début mai sont, ou ont été, adhérents du Parti communiste. Un quart est désigné comme Juif (la qualité de résistant de certains n’est pas connue ou privilégiée par les autorités). Des auteurs d’actes patriotiques, proches du gaullisme, sont également touchés par la deuxième série d’arrestations.

Tous passent par le “petit lycée”, contigu à l’ancien lycée Malherbe de Caen, alors siège de la Feldkommandantur 723 (devenu depuis Hôtel de Ville), où ils sont rapidement interrogés.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900. Collection Mémoire Vive.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900.
Collection Mémoire Vive.

Le 4 mai, 48 détenus arrêtés dans la première rafle sont transférés en train au camp de police allemande de Compiègne-Royallieu ; puis d’autres, moins nombreux, jusqu’au 9 mai (19 ce jour-là).

Les 8 et 9 mai, 28 otages communistes sont fusillés au Mont-Valérien, sur la commune de Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine), pour la plupart (trois à Caen). Le 14 mai, onze otages communistes sont encore fusillés à Caen.

La plus grande partie des otages du Calvados transférés à Compiègne sera déportée à Auschwitz le 6 juillet 1942 : 57 politiques et 23 Juifs (près de la moitié des otages juifs du convoi).

Sources :

- De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, page 62 et 65, notice par Claudine Cardon-Hamet page 123.
- Cl. Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 74 et 75, 361 et 399.
- Jean Quellien, Résistance et sabotages en Normandie, Le Maastricht-Chebourg déraille à Airan, éditions Charles Corlet, Condé-sur-Noireau, réédition 2004, pages 129 (n° 19) et 138.
- Claude Doktor, Le Calvados et Dives-sur-Mer sous l’Occupation, 1940-1944, La répression, éditions Charles Corlet, novembre 2000, Condé-sur-Noireau, page 206.
- Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, pages 401-402.
- Archives départementales du Loir-et-Cher, archives en ligne : registre d’état civil de Sargé-sur-Braye (MIEC 235 R3), année 1895, acte n° 19.
- Archives départementales des Yvelines, archives en ligne : registres matricules du recrutement militaire, classe 1915, matricules de 501 à 1000 (1R/RM 520), n° 733 (vues 351-353/799).
- Base de données des archives historiques SNCF ; service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne (en 1947), de A à Q (0110LM0108).
- Mémorial de la Shoah, Paris, Archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLIII-91.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 184 (27966/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 7-02-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.