Eugène, Théodore, Désiré, Degdier naît le 1er janvier 1909 à Paris 14e, fils de Marguerite Chabrier (il a peut-être un parent, domicilié à Fresnes, mort au cours de la guerre 1914-1918…).
Au moment de son arrestation, il est domicilié au 8, impasse des Sentiers à Fresnes [1] (Seine / Val-de-Marne – 94) et il a trois enfants âgés de 12 ans, 10 ans et 5 ans. Il héberge également sa mère.
Employé communal de Fresnes, il y est cantonnier.
Il est membre du Parti communiste. Après les élections municipales de 1937, il préside la commission des finances (sans être élu ?).
Il est mobilisé du 30 août 1939 au 7 août 1940.
Le 4 octobre 1939, le Président de la République – Albert Lebrun -, par décret et « sur la proposition du ministre de l’intérieur, suspend jusqu’à cessation des hostilités les Conseils municipaux » de 27 communes de la banlieue parisienne à majorité communiste, dont celui de Fresnes, et les remplace par des Délégations spéciales composées de notables désignés.
Le 20 avril 1940, Eugène Degdier est révoqué de ses fonctions par la Délégation spéciale de Fresnes [2]. Au moment de son arrestation, il est déclaré comme biscuitier.
La police française le considère comme un « communiste notoire », participant à la propagande clandestine.
Le 5 octobre, Eugène Degdier est arrêté, comme douze anciens élus municipaux et deux autres membres du PC de Fresnes, lors de la grande vague d’arrestations organisée dans les départements de la Seine et de la Seine-et-Oise par les préfets du gouvernement de Pétain contre des hommes connus avant guerre pour être des responsables communistes (élus, cadres du PC et de la CGT) ; action menée avec l’accord de l’occupant. Après avoir été regroupés en différents lieux, 182 militants de la Seine sont conduits le jour-même en internement administratif au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé à cette occasion dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt.
À une date restant à préciser, Eugène Degdier dépose à l’administration du camp une demande de vérification de son cas qui sera transmise à la Commission de vérification de la Seine, à Paris. Mais ces Commissions – prévues initialement par le décret du 26 septembre 1939 – seront bientôt dissoutes.
La mère d’Eugène Degdier écrit à la Délégation générale dans les territoires occupés pour solliciter la libération de son fils. Le 23 novembre 1940, la requête est transmise au préfet de Seine-et-Oise, qui la renvoie à son tour le 5 décembre au préfet de police de Paris, signataire de l’arrêté d’internement.
La veille, le 4 décembre, Eugène Degdier fait partie d’un groupe d’une centaine de d’internés « choisis parmi les plus dangereux » transférés, par mesure préventive ou disciplinaire (?), à la Maison centrale de Fontevraud-L’Abbaye [3], près de Saumur (Maine-et-Loire) ; leur transport s’effectue en car et sous escorte. Les détenus sont enfermés dans une grande salle commune de la Centrale. Ils apprennent que 70 communistes purgent une peine dans le secteur carcéral, parmi lesquels une vingtaine de jeunes.
Le 20 janvier 1941, sans être informés de leur destination, la même centaine d’internés est conduite à la gare de Saumur où les attendent deux wagons de voyageurs à destination de Paris-Austerlitz. À leur arrivée, ils sont conduits à la gare de l’Est. Ils y rejoignent 69 autres militants communistes en attente de transfert.
Le train les amène à la gare de Clairvaux (Aube) d’où ils sont conduits – par rotation de vingt détenus dans un unique fourgon cellulaire – à la Maison centrale de Clairvaux. Une fois arrivés, la direction les contraint à échanger leurs vêtements civils contre la tenue carcérale, dont un tour de cou bleu (“cravate”) et un béret. Ceux qui refusent sont enfermés une nuit en cellule (“mitard”), tandis que la plupart sont assignés à des dortoirs. Rejoints par d’autres, ils sont bientôt 300 internés politiques.
- Clairvaux. Porte n°2. Carte postale années 1960.
Collection Mémoire Vive.
Le 14 mai, 90 d’entre eux sont transférés au camp de Choisel à Châteaubriant (Loire-Atlantique), parmi lesquels plusieurs seront fusillés le 22 octobre. Eugène Degdier est de ceux qui restent à Clairvaux, et qui doivent bientôt partager les locaux qui leur sont assignés avec quelques “indésirables” (condamnés de droit commun).
Le 26 septembre, Eugène Degdier fait partie de la centaine d’internés de Clairvaux transférés, en train via Paris, au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne).
Le 22 mai 1942, il fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin, Eugène Degdier est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet , Eugène Degdier est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45432, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage actuellement connu ne permet de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Eugène Degdier.
Il meurt à Auschwitz le 18 octobre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).
Le 12 novembre suivant, Madame Chabrier, mère d’Eugène Degdier, écrit au Maire de Fresnes : « J’ai l’honneur de vous demander s’il ne vous serait pas possible de me faire obtenir l’allocation aux internés administratifs. Mon fils et soutien, Degdier Eugène, mobilisé pendant toute la guerre […] et au nom duquel j’avais obtenu le bénéfice de l’allocation militaire à ce moment là, est interné depuis le 5 octobre 1940. Il doit se trouver actuellement en Allemagne (il a du quitter la France le 9.7.1942 emmené par les autorités allemandes). J’ai 72 ans et je n’ai aucune ressource pour vivre à part l’assistance obligatoire aux vieillards, soit 230 francs par mois. J’ai trois de mes petits enfants à charge entièrement (14 ans, 12 ans et 7 ans) qui m’ont été confiés par le Tribunal, et pour lesquels je ne touche que la Caisse de compensation, soit 680 francs par mois. Dernièrement j’ai été condamné par la Justice de Paix de Villejuif à payer deux années de retard de loyer, ce qui me fait 103 frs.30 par mois à verser. Il me reste donc pour vivre à quatre et faire les colis de mon fils (je l’ai entretenu pendant tout le temps qu’il est resté interné en France) 800 frs par mois. Il m’est impossible d’y arriver en ce moment. Espérant qu’il vous sera possible de me faire secourir, veuillez agréer, Monsieur le Maire, avec mes remerciements… »
Le nom d’Eugène Degdier est inscrit sur le monument aux morts de Fresnes, à l’intérieur du cimetière, parmi les “déportés politiques et fusillés”.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 10-03-1988).
Notes :
[1] Fresnes : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] « Séance du 20 avril 1940. (6)
Révocation de Monsieur Degdier.
L’an mil neuf cent quarante le 20 avril à 17 heures. Les Membres de la Délégation Spéciale de la Commune de Fresnes légalement convoqués se sont réunis au lieu ordinaire des séances sous la Présidence de Mr Guillod Président. Etaient présents : MM Guillod, Ginisty, Tellier La Délégation Spéciale, Vu le décret du 26 septembre 1939 prononçant la dissolution du parti Communiste ; Vu le décret du 18 novembre 1939 suspendant pendant la durée des hostilités, certaines des dispositions applicables au personnel des collectivités publiques et services concédés ; Vu le décret du 9 avril 1940, relatif aux sanctions administratives encourues parles fonctionnaires et agents des services publics ou concédés qui se livrent à une propagande de nature à nuire à la défense nationale ;
Considérant que le Sieur Degdier Eugène, cantonnier stagiaire, actuellement mobilisé, non seulement n’a pas par une déclaration rendue publique, à la date du 26 octobre 1939, répudié catégoriquement toute adhésion au parti Communiste et toute participation aux activités interdites parle dit décret, mais qu’au contraire, il continue à se livrer à la propagande communiste et se fait remarquer par son activité politique qui est de nature à nuire à la défense nationale ;
Considérant que le Sieur Degdier, quoique n’occupant qu’un emploi modeste dans l’administration communale était l’homme de confiance de l’ancienne municipalité, et étant membre du bureau politique local, il imposait sa volonté et ses directives au corps municipal élu ;
Considérant par ailleurs, qu’il est inadmissible que cet agent puisse continuer de percevoir son traitement communal, alors qu’il combat ouvertement la Municipalité actuelle, ainsi que le régime du pays ;
Invite Monsieur le Président de la Délégation Spéciale à prendre un arrêté de révocation contre Mr Degdier.
L’ordre du jour étant épuisé la séance est levée à dix-huit heures. »
Source : Délibération du conseil municipal, Archives municipales de Fresnes 1 D3, in – Françoise Wasserman, Juliette Spire et Henri Israël, 1939-1944, Fresnes dans la tourmente, ouvrage édité par l’Écomusée de Fresnes à la suite de l’exposition présentée du 18-10-1994 au 8-05-1995, pages 19 et 22.
[3] Fontevraud-L’Abbaye, souvent orthographié Fontevrault-L’Abbaye au 19e siècle.
Sources :
Françoise Wasserman, Juliette Spire et Henri Israël, 1939-1944, Fresnes dans la tourmente, ouvrage édité par l’Écomusée de Fresnes à la suite de l’exposition présentée du 18-10-1994 au 8-05-1995, pages 13, 14, 19, 50, 89, 120.
Archives communales de Fresnes (liste de candidats aux élections de 1937, listes de déportés…), recherches conduites par Dominique Couderc (3-2007).
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 387 et 401.
Henri Hannart, Un épisode des années 40, Matricule : F 45652 (les intérêts de certains ont fait le malheur des autres), trois cahiers dactylographiés par son fils Claude, notamment une liste page 23.
Archives de la préfecture de police de Paris, cartons “occupation allemande” : camps d’internement… (BA 2374) ; carton “PC” n°VII, A.S. du 20 décembre 1940 sur le CSS d’Aincourt.
Archives départementales des Yvelines et de l’ancien département de Seine-et-Oise (AD 78), Montigny-le-Bretonneux, centre de séjour surveillé d’Aincourt (cote 1W76).
Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLI-42, n° 59.
Archives départementales de la Vienne, Poitiers ; camp de Rouillé (109W75).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 217 (36405/1942).
Site Mémorial GenWeb, relevé de Bernard Tisserand (02-2004).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 16-12-2023)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes (FNDIRP) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.