Clovis, Albert, Julien, Dehorter naît le 3 décembre 1895 à Lederzeele (Nord), au nord de Saint-Omer, chez ses parents, Jérémie Dehorter, 26 ans, batelier ou ouvrier agricole, et de Victorine Devynck, 17 ans, ouvrière, son épouse, domiciliés au hameau de Boonegham. Lors du recensement de population de 1906, trois autres enfants sont nés : Tobie, en 1897, Marie, en 1900, et Jeanne, en 1903.
Pendant un temps, Clovis Dehorter habite chez ses parents route de Clairmarais à Saint-Omer (Pas-de-Calais) et commence à travailler comme jardinier.
Le 15 décembre 1914, il est incorporé au 54e régiment d’infanterie. Il est “aux armées” le 8 avril 1915. Dès le 25 avril suivant, lors d’une offensive allemande dans le secteur des Éparges (Meuse) – tranchée de Calonne, Bois Haut -, un éclat d’obus lui occasionne une plaie à l’avant-bras droit. Le 28 avril, il admis à l’hôpital complémentaire n° 46 de Cluny (Saône-et-Loire – 71). Le 21 juin, il est dirigé sur le dépôt de convalescents de Mâcon (71) où il est soigné jusqu’au 5 juillet. Le 21 janvier 1916, le conseil de réforme de Laval le classe service auxiliaire pour plaie par éclat d’obus à l’avant-bras. Le 20 avril suivant, la même commission le classe service armé, mais inapte un mois. En mai 1926, la commission de réforme d’Amiens lui reconnaîtra une invalidité inférieure à 10 % pour « double cicatrice non-adhérente de séton antéro-postérieur au tiers inférieur de l’avant-bras gauche ; pas d’amyotrophie, pas de diminution de la préhension ». Le 21 juillet 1916, Clovis Dehorter passe au 350e R.I. Le 18 avril 1917, il passe au 46e régiment d’artillerie. Le 1er octobre suivant, il passe au 25e R.A. Le 1er avril 1918, il passe au 175e régiment d’artillerie de tranchée, Le 16 août suivant, il passe au 209e régiment d’artillerie de campagne. Le 4 septembre, il passe au 278e R.A.C. Le 1er janvier 1919, il passe au 22e R.A. Son séjour dans une unité combattante a duré deux ans, quatre mois et cinq jours.
Le 24 juin 1919, l’armée le classe dans l’affectation spéciale, dans la 5e section des chemins de fer de campagne comme manœuvre à Saint-Omer. Depuis le 31 janvier, il est employé par la Compagnie des chemins de fer du Nord, qui fusionnera avec d’autres au sein de la SNCF début 1938 [1].
Le 19 juillet 1919 à Beaumont (S.-M.) – Beaumont-du-Gatinais (Seine-et-Marne) ou Beaumont-le-Hareng (Seine-Maritime) ? – Clovis Dehorter se marie avec Jeanne Alice Janvier, née le 21 novembre 1898 à Manchecourt (Loiret). Ils ont deux enfants, Marcel, né en 1920 à Saint-Omer, et Jacqueline, née en 1922 à Montdidier (Somme – 80).
Au printemps 1926 et jusqu’au moment de son arrestation, Clovis Dehorter est domicilié avec sa famille rue du Tour-de-Ville (Blanche Tâche) à Camon, à l’est de l’agglomération d’Amiens (Somme – 80). En août 1927, il est chauffeur de route à Longueau, ville limitrophe.
En 1936, son fils Marcel est apprenti (?) et sa fille Jacqueline est apprentie coiffeuse chez Larivière. Avant le déclenchement de la guerre, la municipalité de Camon dénomme Paul-Vaillant-Couturier (journaliste communiste décédé le 10 octobre 1937) la rue du Tour-de-Ville.
Clovis Dehorter est toujours chauffeur de route, mais au dépôt SNCF [1] d’Amiens, sur le réseau de la région Nord.
- Façade de la gare d’Amiens dans les années 1920.
Carte Postale. Collection Mémoire Vive.
Il est très mal vu par sa hiérarchie « ayant un dossier très chargé en punitions diverses ».
Le 6 mars 1940, après avoir été rayé de l’affectation spéciale par l’autorité militaire et réintégré dans sa subdivision d’origine, Clovis Dehorter est mobilisé au dépôt d’artillerie n° 21, 402e batterie. Il n’est pas fait prisonnier de guerre.
A l’été 1940, Camon est limitrophe de la ligne de démarcation de la “zone rouge” (ou “zone interdite”) de la région Nord instaurée par l’occupant, où l’on n’accède qu’avec un Ausweis.
Sous l’occupation, Clovis Dehorter est actif dans la Résistance. Dans la nuit du 30 avril au 1er mai 1942 avec Georges Poiret, il participe au sabotage de la grue de relevage (32 tonnes) du dépôt SNCF d’Amiens.
Le 7 mai, il est arrêté par la police allemande, en même temps que Roger Allou, de Camon. Il est écroué à la Maison d’arrêt d’Amiens « à la disposition des autorités allemandes » et fait partie des treize cheminots du dépôt SNCF gardés en représailles.
Dans une notice individuelle réalisée après coup, le commissaire central d’Amiens : « N’est pas connu des services de police ; toutefois, d’après les renseignements recueillis, aurait manifesté des sentiments communistes ». De son côté (le 11 mai), sa hiérarchie ajoute : « Assure normalement son service depuis l’occupation allemande, dont les méthodes brutales conviennent mieux à son esprit obtus ».
Le 10 juin, ils sont dix cheminots du dépôt d’Amiens (dont neuf futurs “45000”) [2] à être transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag122 – Polizeihaftlager).
Au cours du mois de juin 1942, Clovis Dehorter est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Clovis Dehorter est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45475, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Clovis Dehorter.Il meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp [3], alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à l’intérieur du camp à la suite de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [4]).
Le 23 août 1945, le Conseil municipal de Camon décide la pose, à l’intérieur du cimetière, d’une stèle portant l’« Hommage de la population de Camon à ses morts dans la Résistance », sur laquelle sont inscrit les noms de Clovis Dehorter, de Roger Allou, et de huit autres Camonois. Au pied de cette stèle, qui a l’aspect d’une tombe, un de ses enfants (? « À mon père ») dépose une plaque avec un médaillon funéraire (portrait photographique).
En avril 1969, le Conseil municipal de Camon donne le nom de Clovis Dehorter à une petite rue alors nouvellement créée dans un lotissement.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 10-03-1988).
Notes :
[1] La SNCF : Société nationale des chemins de fer français. À sa création, suite à une convention validée par le décret-loi du 31 août 1937, c’est une société anonyme d’économie mixte, créée pour une durée de 45 ans, dont l’État possède 51 % du capital.
[2] Les neuf cheminots, futurs “45000” : Roger Allou et Clovis Dehorter, de Camon ; Émile Poyen, de Longeau ; Paul Baheu, Fernand Boulanger, Fernand Charlot, Albert Morin, Georges Poiret et François Viaud, d’Amiens (ce dernier étant le seul rescapé des “45000” d’Amiens, Camon et Longueau). Le dixième cheminot interné à Compiègne est Joseph Bourrel, mécanicien de manœuvre, domicilié au 102 rue Richard-de-Fournival à Amiens. Son sort en détention reste à préciser (il n’est pas déporté, selon le mémorial FMD)… Un onzième cheminot reste à la prison d’Amiens, Jean Mayer, ouvrier au dépôt, domicilié au 36 rue Capperonnier à Amiens, arrêté la nuit même de l’attentat. Il est probablement condamné par un tribunal militaire allemand. Le 26 avril 1943, il est transféré dans une prison du Reich à Fribourg-en-Brisgau. Il est libéré à Creussen le 11 mai 1945.
[3] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives. S’agissant de Clovis Dehorter, il semble que 12 août 1942 qui a été initialement retenu pour certifier son décès (à vérifier…).
[4] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code “14 f 13”). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 63, 74, 150 et 153, 379 et 394.
Archives départementales du Nord, site internet, archives en ligne, recensement de population de Lederzeele, année 1906, cote M474/340, page 42 (vue 43/52).
Hervé Barthélémy, association Rail et Mémoire, relevé de… ? (10-2006).
Gabriel Devianne : Livres : Camon, 80450, deux siècles d’histoire.
Site Les plaques commémoratives, sources de mémoire (aujourd’hui désactivé – nov. 2013), photo de Jacques Fouré.
Archives départementales de la Somme, Amiens : correspondance de la préfecture sous l’occupation (26w592).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 218 (31899/1942).
Base de données des archives historiques SNCF ; service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne (en 1947), de A à Q (0110LM0108).
Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, pages 466-467.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 19-01-2020)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.