Auguste, Marie, Deshaies naît le 18 janvier 1896 au Cellier (Loire-Atlantique [1]), fils de Pierre Deshaies et Joséphine Hardy, son épouse, cultivateurs, décédés au moment de son arrestation.
De la classe 1916, Auguste Deshaies semble ne pas avoir été mobilisé au cours de la guerre 1914-1918, « réformé n° 2 » ; à vérifier…
Domicilié un temps à Angers (Maine-et-Loire), avec sa mère qui, veuve, y devient ouvrière, il vient ensuite s’installer en région parisienne, à Saint-Mandé [2] (Seine / Val-de-Marne – 94).
Le 21 octobre 1920, à la mairie du 20e arrondissement de Paris, il épouse Marguerite Rochelemagne, née le 17 octobre 1894 à Saint-Martin-Valmeroux (Cantal). Lui se déclare alors métallurgiste, domicilié dans un hôtel meublé, rue Alexandre-Pilleaud (actuelle rue Pierre-Rigaud) à Ivry-sur-Seine [2] (94). Elle est décolleteuse et habite boulevard Davout à Paris 20e. Leur fils, Jacques (“Jacquot”), René, naît le 24 octobre 1921 à Saint-Mandé. C’est probablement l’époque où ils déménagent pour aller au 80 route de Choisy (avenue de Verdun aujourd’hui).
Auguste Deshaies est alors ouvrier céramiste, employé à l’Électro-céramique, usine d’Ivry-Port appartenant à la Compagnie générale d’électricité et produisant des isolateurs pour les lignes électriques.
Secrétaire de la cellule communiste de la Compagnie générale d’électricité d’Ivry en 1930-1932, Auguste Deshaies est, depuis le milieu des années 1920, un des militants syndicalistes les plus actifs des industries chimiques de la région parisienne et un des responsables du Syndicat général de la Céramique, des industries chimiques et parties similaires. En mars 1930, il entre à la commission exécutive de la Fédération nationale de la Céramique et des industries chimiques.
Il mène de front un engagement politique : aux scrutins de 1925, il est élu au conseil municipal sur la liste communiste dirigée par Georges Marrane.
En janvier 1926, le conseil municipal approuve le projet de construction d’un groupe d’habitation à bon marché (HBM) présenté par l’office public municipal au 4, place Philibert-Pompée (devenue depuis place de l’Insurrection) à Ivry. En octobre suivant, alors que les travaux ont à peine commencé, les Deshaies déposent une demande de logement dans le futur ensemble. En septembre 1928, ils obtiennent un deux-pièces cuisine au 6e étage de l’escalier 10.
Le 5 mai 1929, Auguste Deshaies est en sixième place sur la liste “classe contre classe” dirigée par le même. Le 22 mai, il reçoit comme délégation municipale un siège au Conseil d’administration de l’office public d’HLM.
Au début des années 1930, Auguste et Marguerite Deshaies sont embauchés aux établissements Ferrand Renaud d’Ivry, une fabrique de pâtes alimentaires que les Ivryens surnomment « Les macaronis ». Auguste y devient délégué du syndicat et trésorier de la cellule communiste d’entreprise. Marguerite adhère au PC en 1931.
Tous deux participe activement aux grèves de juin 1936 dans leur entreprise. Le couple se fait alors remarquer par les Renseignements généraux : « principaux fomenteurs et agitateurs ». Considéré comme un « agitateur notoire », Auguste Deshaies est poursuivi par les Prud’hommes.
Plus tard et jusqu’à son arrestation, Marguerite est ouvrière chez Muller, une tuilerie. Auguste est déclaré comme manœuvre à l’usine à gaz d’Ivry.
À partir de l’automne 1939, quand le Parti communiste est interdit, Auguste Deshaies fait partie de l’équipe qui en diffuse la propagande au niveau local.
Le 4 octobre 1939, le Président de la République – Albert Lebrun -, par décret et « sur la proposition du ministre de l’intérieur, suspend jusqu’à cessation des hostilités les Conseils municipaux » de 27 communes de la banlieue parisienne à majorité communiste, dont celui d’Ivry-sur-Seine, et les remplace par des Délégations spéciales composées de notables désignés.
- Le Populaire, quotidien édité par la SFIO,
édition du 17 février 1940.
Archives de la préfecture de police, Paris.
Le fils d’Auguste Deshaies, Jacques (“Jacquot”) milite au sein des Jeunesses communistes d’Ivry-Port qui se réunissent dans les HBM de la place Ph.-Pompée. Il se rend notamment chez les parents d’un camarade, aux HBM Parmentier, pour taper sur une machine à écrire les stencils utilisés ensuite sur les “ronéos ». Bien qu’atteint d’une grave maladie de cœur, il transporte jusqu’à Villeneuve-le-Roi de lourds chargements de papier dans une remorque attelée à un vélo.
La police française considère Auguste Deshaies comme un « meneur communiste actif ».
Le 6 décembre 1940, il est appréhendé par des agents du commissariat de Gentilly (ou d’Ivry… à vérifier) lors d’une vague d’arrestation collective visant 69 hommes dans le département de la Seine. D’abord conduits à la caserne des Tourelles, boulevard Mortier à Paris 20e, ils sont internés administrativement – le jour même – au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé deux mois plus tôt dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt.
Le 11 février 1942, Auguste Deshaies fait partie des 21 militants communistes que les “autorités d’occupation” « extraient » d’Aincourt sans en indiquer les motifs ni la destination au chef de centre. Tous sont conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée (suivant un ordre de Hitler) en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée d’occupation.
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures et repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet, Auguste Deshaies est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45464 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.
Le 13 juillet, après l’appel du soir – l’ensemble des “45000” ayant passé cinq jours à Birkenau -, une moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I). Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Auguste Deshaies.
Il meurt à Auschwitz le 19 août 1942, selon le registre d’appel quotidien (Stärkebuch) et l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).
(aucun des quatorze “45000” ivryens n’est revenu).
Son fils, Jacques, est arrêté le 22 décembre 1942 et interné au Fort de Romainville (Seine / Seine-Saint-Denis), camp allemand administrativement lié à celui de Royallieu-Compiègne.
Le 14 juillet 1943, il est déporté depuis le fort de Romainville dans un petit convoi “NN” de 57 hommes qui part de Paris, gare de l’Est, et arrive le lendemain au KL [3] Natzweiler “Struthof” (Bas-Rhin) où il est enregistré sous le matricule 4572. Il y meurt le 12 novembre 1943.
La femme d’Auguste, Marguerite, est déportée dans le transport de 58 femmes venant du Fort de Romainville et de la prison de Fresnes, parti le 26 juillet 1943 de Paris, gare de l’Est, et arrivé le lendemain à Sarrebruck, reparti le 30 juillet et arrivant le 1er août à Ravensbrück ; elle y est enregistrée sous le matricule 21664. À partir de février 1944, les “21000” sont placées dans le Block 32, réservé aux “NN”, avec les “24000” du convoi suivant. Elles n’ont droit ni aux colis, ni au courrier, et sont interdites de Kommandos extérieurs. Selon le témoignage d’une rescapée, la dernière fois qu’on voit “Maman Deshaies”, elle est enfermée dans la petite « chambre des folles », au milieu du Block des tuberculeux. Le 2 mars 1945, l’ensemble des détenues “NN” du Block 32, dont 38 parmi les “21000”, sont transférées à Mauthausen. On ne sait pas ni où ni quand est morte Marguerite Deshaies.
Le 27 juillet 1945, le conseil municipal d’Ivry dénomme quai Auguste-Deshaies un tronçon de la voie bordant la Seine (quai d’Ivry).
Notes :
[1] Loire-Atlantique : département dénommé “Loire-Inférieure” jusqu’en mars 1957.
[2] Saint-Mandé et Ivry-sur-Seine : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[3] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.
Sources :
Le nom et le matricule d’Auguste Deshaies (orthographié « DECHAIES ») figurent sur la Liste officielle n°3 des décédés des camps de concentration d’après les archives de Pologne, éditée le 26 septembre 1946 par le ministère des anciens combattants et victimes de guerre, page 60.
Ivry, fidèle à la classe ouvrière et à la France, supplément au Travailleur d’Ivry, édité par la section du PCF, à l’occasion du 25e anniversaire de la capitulation allemande ; page 35, témoignage de Gaston Garnier, ancien chef du personnel ; page 45 ; page 74, témoignage de Roland Le Moullac.
Michèle Rault, Des noms qui chantent la liberté (noms de rues), édité par Ville d’Ivry-sur-Seine pour le 50e anniversaire de la Libération (1994), pages 18-19, et site de la ville : http://www.ivry94.fr/web/28285.htm
Une valise clandestine, Jacques Deshaies, brochure Mémoire édité par le service Archives-Patrimoine d’Ivry-sur-Seine, travail mené avec la classe de 3e 3 du collège Romain-Rolland, à l’occasion de la Semaine de la Mémoire 2013, 16 pages.
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 388 et 402.
Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux, centre de séjour surveillé d’Aincourt ; cotes 1W80, 1W108 (notice individuelle).
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; registre d’appel avec la liste des détenus décédés (Verstorben Häftlinge).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 221 (21595/1942).
Simone Lampe, témoignage dans Le camp des femmes, de Christian Bernadac, éditions France Empire, Paris 1972.
Livre-mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression… 1940-1945, FMD, tome 1 : convoi I.116, page 1001, et convoi I.118, page 1007.
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “Occupation allemande”, liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397) ; archives des Renseignements généraux de la préfecture de police (consultation sur écran), brigade spéciale anticommuniste, registre des affaires traitées 1940-1941 (G B 29).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 15-01-2024)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.