Edmond, Émilien, Dubois naît le 2 janvier 1890 à Angers (Maine-et-Loire – 49).
Il perd sa mère à l’âge d’un mois et son père l’abandonne à six mois. Ses grands-parents le recueillent et – à 12 ans – en font un apprenti boulanger-pâtissier. Travaillant en différents endroits, il aboutit dans la région parisienne à 20 ans, déjà révolté.
Il est mobilisé lors de la guerre 1914-1918. Après un conseil de guerre pour propagande subversive, il est versé dans le bataillon d’Afrique (Bat’ d’Af’), censé redresser les plus rétifs. Il y reste jusqu’en 1917, « se libérant lui-même », ce qui l’oblige à vivre dans la clandestinité pendant de longues années, dans l’attente d’une amnistie définitive.
Avec sa femme, Jeanne, ils habitent dans un ensemble de taudis aujourd’hui disparus, proches de la porte d’Italie, ruelle Gandon dans le 13e arrondissement. À cause de sa situation de clandestin, Edmond Dubois ne peut obtenir un emploi régulier : il travaille donc à domicile, dans la chaussure d’enfant, avec un état d’esprit anarcho-syndicaliste.
En 1923, les Dubois achètent un lotissement au 23 de l’actuelle rue Octave-Mirbeau, à Villejuif [1] (Seine / Val-de-Marne, dans les Monts-Cuchets, un lieu-dit consacré jusqu’alors à la vigne et aux champs de blé. Avec l’aide d’un ami maçon, Edmond y construit un deux-pièces-cuisine et continue, tant bien que mal, à travailler dans la chaussure.
- Edmond Dubois © Droits Réservés.
Vers 1929, comme il ne court plus le risque d’être poursuivi, il donne son adhésion au Parti communiste, adhésion reçue par le « camarade Christophe ». Il est bientôt secrétaire de la cellule des Monts-Cuchets et trésorier du sous-rayon de Villejuif (l’équivalent de la “section” d’après-guerre).
À partir de septembre 1939, lorsque vient la guerre et l’interdiction du Parti communiste, les Dubois ont à supporter des perquisitions, mais la police ne trouve aucun motif d’arrestation. Le PCF clandestin confie alors à Edmond Dubois la responsabilité d’un secteur ; responsabilité qu’il assume jusqu’à son arrestation le 24 juin 1941, au lendemain de l’entrée des troupes allemandes en Union soviétique [2]. Les circonstances en sont connues : Edmond, qui se sait recherché par la police, se « planque » non loin de chez lui, chez un ami dans la friche du futur lycée Darius-Milhaud. Des policiers arrêtent sa femme et son fils et les emmènent au commissariat de secteur, situé à Gentilly. Pendant ce temps, Edmond, conscient qu’il doit prendre des précautions, mais soucieux de continuer à travailler, demande à quitter son emploi (il avait trouvé un poste dans la boulangerie, à Arcueil) et se rend à la mairie d’Arcueil pour y faire valider un certificat de travail. C’est là qu’il est arrêté et conduit à son tour au commissariat.
Remis aux autorités d’occupation, il est d’abord conduit au camp de détention allemand du fort de Romainville (annexe de Royallieu – HL 122).
Plus tard, il est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 -Polizeihaftlager).
- La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers
bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan, sur l’autre rive de l’Oise,
l’usine qui fut la cible de plusieurs bombardements
avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.
Entre fin avril et fin juin 1942, Edmond Dubois est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Comme beaucoup de ses camarades, Edmond Dubois envoie un message à sa famille : ce message parviendra à destination, mais il n’a pas été conservé.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet, Edmond Dubois est enregistré à Auschwitz ; peut-être sous le numéro 45487, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).
Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont pour la plupart entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit. Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.
Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.
Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – la moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a été affecté Edmond Dubois.
Il meurt à Auschwitz le 17 février 1943, d’après les registres du camp. À 53 ans, Dubois est le plus âgé des Villejuifois du convoi.
Après la guerre, la municipalité de Villejuif donne le nom d’Edmond Dubois à une voie de la commune, proche de son ancien quartier et donnant accès à la cité HLM de la Logirep (Logement et gestion en région parisienne) ; à vérifier…
Son nom a été donné à une cellule du PCF de Villejuif.
Après la déportation de son mari, Jeanne Dubois reste active dans un réseau de solidarité de la Résistance, le COSOR, distribuant argent et secours chez les nécessiteux de Villejuif – en particulier aux familles des personnes arrêtées – et distribuant aussi des tracts, en compagnie de Léa Garin, femme de Louis Garin, photographe, lui-même détenu avant d’être fusillé comme otage à 58 ans.
Sources :
Marcelino Gaton et Carlos Escoda, “Mémoire pour demain, L’action et les luttes de militants communistes à travers le nom des cellules de la section de Villejuif du Parti communiste français”, Éditions Graphein, septembre 2000, pages 38 et 40. Ils citent eux-même comme sources des entretiens avec Jacques Dubois et la brochure éditée en 1946, Villejuif à ses martyrs de la barbarie fasciste.
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 389 et 402.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, les décès de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 242 (8345/1943).
Carlos Escoda et MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 2-06-2008)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.
[1] Villejuif : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] L’ “Aktion Theoderich” : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht. Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font déjà partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.