Adélard, Albert, Ducrocq naît le 24 février 1889 à Gamaches (Somme – 80), fils de Pierre Ducrocq, 36 ans, pâtre communal, et de Rosalie Ruelle, son épouse, 28 ans. Il semble qu’Adélard ait – au moins – six frères et sœurs.
Pendant un temps, Adélard Ducroc travaille comme journalier, habitant à Incheville (Seine-Inférieure / Seine-Maritime – 76, canton d’Eu).
Le 5 octobre 1910, bien que considéré comme « soutien de famille » par le conseil de révision, il est incorporé au 39e régiment d’infanterie comme soldat de 2e classe afin d’y effectuer son service militaire. Son registre militaire le signale comme assez grand pour l’époque (1 m 72), avec des tâches de rousseur. Le 25 septembre 1912, il est « envoyé dans la disponibilité de l’armée active » (démobilisé), titulaire d’un certificat de bonne conduite.
Le 1er octobre 1912, Adélard Ducroc est embauché par la Compagnie des chemins de fer du Nord (qui fusionnera avec d’autres au sein de la SNCF début 1938 [1]). Quelques mois plus tard, il est commissionné à Valenciennes (Nord). Le 29 octobre, il habite au 133, rue de Lille, à Valenciennes.
Concernant sa participation à la Première Guerre mondiale, son feuillet de registre militaire indique : « considéré comme appelé sous les drapeaux, il est maintenu dans son emploi du temps de paix au titre des sections de chemins de fer de campagne […] du 2 août 1914 au 31 juillet 1919 » (à vérifier…). Pourtant, lui-même déclarera avoir été mobilisé sur le front. Atteint par les gaz de combat, il devient asthmatique. Il adhérera à l’Association Régionale des Anciens Combattants (ARAC).
Fin 1920, il est domicilié rue de l’Isle à Eu-la-Chaussée, près du Tréport (76) [2].
Le 23 décembre 1920 à Eu, il se marie avec Pauline Gabrielle Philippon, née le 29 mars 1889 à Vignacourt (80), 31 ans, fille de cultivateur, veuve depuis 1913, commerçante à la Ruche Picarde, domiciliée au 28 chaussée de Picardie à Eu. Adélard emménage chez elle. Ils ont une fille, Huguette Paule Albertine, née le 24 novembre 1922 à Eu.
Au moment de son arrestation, Adélard Ducrocq est domicilié au 6, rue d’Égypte à Eu (en 1963, sa veuve y habitera encore…).
Adélard Ducrocq est alors facteur-enregistrant à la gare SNCF d’Eu.
Il a adhéré au Parti communiste « dès le début de [sa] formation ». En 1927, la police établi des rapports et des notices à son sujet. Militant, il a été permanent du Parti. Dans la période de Front populaire, il est secrétaire de la cellule communiste d’Eu.Il est secrétaire de l’Union locale CGT d’Eu/Le-Tréport (trésorier en 1940 ?), membre de la Commission exécutive de l’Union départementale (1938-39).
Le 17 juillet 1941, « soupçonné de propos communistes », Adélard Ducrocq est arrêté par la Feldgendarmerie pendant son service à la gare d’Eu.
Il est rapidement transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne [3] (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) avant le 29 octobre, selon une liste d’otages établie par la Feldkommantantur 517 de Rouen.
Le 17 avril 1942, son épouse vient lui rendre visite au camp après en avoir obtenu l’autorisation des autorités allemandes.
Entre fin avril et fin juin 1942, Adélard Ducrocq est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Pendant le voyage vers Auschwitz, il est dans le même wagon que René Maquenhen, qui relate sa conduite responsable.
Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Adélard Ducrocq est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46232. Aucune photo de détenu de ce convoi n’a été retrouvée après le matricule 46172.
Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20. Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés aux travail dans différents Kommandos.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Adélard Ducrocq est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I.
Il meurt le 10 août 1942 (au Revier [4] de Birkenau), selon le registre d’appel et l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) ; un mois après l’arrivée de son convoi, le même jour que dix-neuf autres “45000”.
Adélard Ducrocq est homologué comme “Déporté politique”.Son nom est inscrit sur la plaque commémorative dédiée « à la mémoire des agents de la SNCF tués par faits de guerre 1939 1945 », apposée sur un quai de la gare de Mers-les-Bains (80).
Notes :
[1] La SNCF : Société nationale des chemins de fer français. À sa création, suite à une convention validée par le décret-loi du 31 août 1937, c’est une société anonyme d’économie mixte, créée pour une durée de 45 ans, dont l’État possède 51 % du capital.
[2] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.
[3] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp “C” est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transféré au camp de Drancy (Seine / Seine-Saint-Denis).
[4] Revier , selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”.
Sources :
Son nom et son matricule figurent sur la Liste officielle n°3 des décédés des camps de concentration d’après les archives de Pologne, éditée le 26 septembre 1946 par le ministère des anciens combattants et victimes de guerre, page 60.
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 377 et 402.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Basse-Normandie (2000), citant : Témoignages de René Maquenhen (45826) et de Roger Arnould qui le connaît depuis le temps du Front Populaire, et le définit « comme un exemple à suivre » – Liste établie par CGT, p. 4. – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen.
Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, tome 26, p. 109.
Louis Eudier (45523), listes à la fin de son livre Notre combat de classe et de patriotes (1939-1945), imprimerie Duboc, Le Havre, sans date (2-1973 ?).
Archives départementales de Seine-Maritime, Rouen, site de l’Hôtel du Département, cabinet du préfet 1940-1946 ; individus arrêtés par les autorités de Vichy ou par les autorités d’occupation, dossiers individuels de Dh à F (cote 51 W 415), recherches conduites avec Catherine Voranger, petite-fille de Louis jouvin (“45697”)
. Archives départementales de Seine-Maritime, site internet du conseil général, archives en ligne ; registre matricule du recrutement militaire, bureau de ?, classe 1910 (cote 1 R 3262), matricule 804 (1 vue).
Archives départementales de la Somme, site internet du conseil général, archives en ligne ; état civil de Gamaches, année 1889 (2 E 373/14), acte n° 9 (vue 116/146).
Mémorial de la Shoah, Paris, site internet, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; doc. XLIII-66.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; registre d’appel avec la liste des détenus décédés.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 243 (19169/1942).
Base de données des archives historiques SNCF ; service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne (en 1947), de A à Q (0110LM0108).
Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, pages 547-548.
Site Mémorial GenWeb, 80-Mers-les-Bains, relevé de Didier Bourry (11-2004).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 4-11-2023)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.