Yves Dumont dans les années 1930. La cicatrice sous son œil gauche n’est pas perceptible. © Collection Annick Davisse.

Yves Dumont dans les années 1930.
La cicatrice sous son œil gauche
n’est pas perceptible.
© Collection Annick Davisse.

Yves Dumont naît le 7 novembre 1892 à Bourg-en-Bresse (Ain), chez ses parents, Jean (Joanny) Dumont, 33 ans, professeur de musique au lycée, et Marie Pothier, 34 ans, plus tard institutrice, alors domiciliés au 35, rue Paul-Bert. Son père ne peut signer l’acte de naissance « pour cause de cécité ». Joanny Dumont est un ardent républicain qui, lors de ses propres études à l’Institut des jeunes aveugles, sous le second empire, n’hésitait pas – dit-on – à jouer La Marseillaise. La famille conserve un portrait de Jules Vallès. Yves a deux sœurs, Marcelle, l’ainée, née le 24 avril 1886, et Monique, la benjamine, née le 23 juillet 1898. En 1906 (peut-être avant), la famille est domiciliée au 20 rue d’Espagne à Bourg.

Yves Dumont poursuit des études comme élève au lycée Lalande, de Bourg-en-Bresse (prix d’Honneur de philosophie en 1911), puis comme boursier national au lycée Ampère à Lyon, dans la classe de Rhétorique supérieure, enfin comme étudiant de licence à la faculté de Lyon, puis à celle de Paris. De la “classe” 1912, il obtient un sursis d’incorporation en 1913 et 1914 afin de poursuivre ses études.

En novembre 1913, il est hébergé par sa tante Marie et son oncle Charles Mallet au 23, rue de la Varenne à Saint-Maur-des-Fossés [1] (Seine / Val-de-Marne – 94).

Il devient professeur de langues vivantes dans les écoles de Birmingham, en Angleterre, puis professeur de français à Leamington ?, ville thermale au centre du pays (comté de Warwick).

Yves Dumont est appelé à l’activité militaire à la suite de la mobilisation du 2 août 1914. Le jour même, il se présente au 60e régiment d’Infanterie (c’est une recrue de grande taille pour l’époque : 1 mètre 77). Le 12 novembre suivant, il est nommé caporal et, le 24 décembre, sergent. Mais, dès le lendemain, il est nommé aspirant (?). Le 4 février 1915, il passe au 42e R.I.
Le 7 juin 1915, dans l’Oise, il est blessé une première fois au sommet du crâne par un éclat d’obus. Le 3 avril 1916, il passe au 116e R.I. Il rejoint son unité « aux armées » le 30 avril suivant. Un an plus tard, le 20 avril 1917, au chemin des Dames (secteur de Paissy et Jumigny, dans l’Aisne), au dernier jour de “l’offensive Nivelle” (134 000 morts), il est gravement blessé à la joue gauche, au bras et à la jambe gauche (fracturée) par l’explosion d’un obus (il sera soigné treize mois à l’hôpital…). Le 5 juillet suivant, il est cité à l’ordre de son régiment : « Très bon sous-officier, a fait preuve de courage et de sang-froid en toutes circonstances, et particulièrement dans le secteur de Verdun ». Il reçoit la Croix de guerre avec étoile de bronze.

CroixDeGuerre-etoileEn 1917, il est interprète auprès des armées américaines en France. De juin 1918 à juillet 1922, il est affecté à ce titre au service des sépultures américaines.

Le 2 juin 1918, la commission de réforme de la Seine le propose pour la réforme n°1 avec gratification de 7e catégorie pour « limitation à 100% de la flexion tibio-tarsienne gauche avec attitude du pied en varus ». En 1920, la même commission précise « cicatrice de fistule, amyotrophie du mollet 1 cm, atrophie de la cuisse 4 cm, cicatrice à la joue gauche ». En 1922, il est déclaré au taux d’invalidité de 20 % pour « cicatrice adhérente au tiers supérieur de la jambe gauche et cicatrice opératoire au péroné avec lésions musculaires ». En mars 1936, il sera nommé adjudant de réserve par décision ministérielle.

Le 8 juillet 1919 à Paris 18e, Yves Dumont, se marie avec Jeanne Hélène Maximilien, née le 29 août 1895 à Saintes (Charente-Maritime), employée de commerce, vivant avec sa mère au 139, rue des Poissonniers à Paris.  Deux frères de l’épouse – tous deux titulaires de la Croix de Guerre – sont témoins lors du mariage. Yves Dumont emménage chez la mère de celle-ci. Ils auront un fils, Jean, Albert, né le 8 décembre 1920 à Paris 18e.

Le 16 août 1919, à Bourg, sa sœur Monique se marie avec François Nizet.

En 1922, Yves Dumont entre comme agent de douane à la société Moline Plow, fabriquant et importateur américain de charrues et d’outils agricoles.

En mai 1922, les Dumont demeurent au 10, rue du 27 mars, à Saint-Ouen (Seine / Seine-Saint-Denis).

Au cours de cette année, ils font réaliser des travaux dans une maison à Hermeray, près de Rambouillet (Yvelines).

À partir de cette même année, Yves Dumont est employé comme agent en douane par la société américaine Moline Plow [2], fabriquant de charrues et d’outils agricoles, probablement en charge des importations, ses relations avec l’armée américaine pouvant avoir favorisé cette embauche.

En octobre 1923 et jusqu’à l’arrestation du chef de famille, celle-ci est domiciliée au 44, avenue de Condé à Saint-Maur-des-Fossés, dans un pavillon dont Yves est propriétaire. Ils y hébergent la mère de Jeanne jusqu’au décès de celle-ci, en 1927. Yves Dumont est – ou sera – également propriétaire d’une petite maison rurale à Malesherbes (Loiret).

À partir de cette même année, Yves Dumont est employé comme agent en douane par la société américaine Moline Plow [2], fabriquant de charrues et d’outils agricoles, probablement en charge des importations, ses relations avec l’armée américaine pouvant avoir favorisé cette embauche.

En octobre 1923 et jusqu’à l’arrestation du chef de famille, celle-ci est domiciliée au 44, avenue de Condé à Saint-Maur-des-Fossés, dans un pavillon dont Yves est propriétaire. Ils y hébergent la mère de Jeanne jusqu’au décès de celle-ci, en 1927. Yves Dumont est – ou sera – également propriétaire d’une petite maison rurale à Malesherbes (Loiret).
Le 3 novembre 1925, à Saint-Maur, sa sœur aînée Marcelle se marie avec Jean Léon Joubert.

Le 3 mai 1927, Yves Dumont entre comme cadre commercial – chef de service du fret – au Consortium maritime franco-américain (CMFA), 1 bis cité de Paradis à Paris 10e.

Malgré son handicap, il pratique le tandem et la randonnée avec son épouse, elle-même grande sportive. Yves, Jeanne et Jean retrouvent régulièrement les sœurs d’Yves et des amis aux Houches, dans la vallée de Chamonix (Haute-Savoie) où les familles logent chez l’habitant.

Le 26 juin 1929, Yves Dumont – après avoir pris connaissance d’un extrait d’article littéraire cité par le quotidien L’Intransigeant (dit L’Intran) – écrit à son auteur, un journaliste de L’œuvre,  quotidien que lui-même ne lit plus, afin de protester contre une lecture qu’il estime injustement critique du roman de guerre pacifiste de l’écrivain allemand Erich Maria Remarque, “À l’Ouest rien de nouveau”, paru fin janvier 1929 (lire ci-dessous, en fin de notice).

Le 12 octobre 1930, il est adhérent de l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC), fondée par Henri Barbusse et Paul Vaillant-Couturier dont il approuve le projet, et en devient le secrétaire local dans sa commune.

En 1934, suite aux émeutes du 6 février contre le Parlement, il adhère au Parti communiste, devenant ensuite secrétaire d’une cellule locale puis responsable du “rayon”, se faisant connaître comme orateur et débatteur. En mai 1935, il est présenté comme candidat sur la liste du PCF (B.O.P.) aux élections municipales, sans être élu (il n’aura pas d’activité politique au sein de son entreprise).

Membre actif du Secours populaire, il organise la solidarité avec la République espagnole : son épouse, “Jeannette”, convoiera du lait pour les camps de réfugiés espagnols avec Renée Haultecoeur [3].

À partir de la fin août 1939, choqué dans ses convictions antifascistes par le pacte germano-soviétique, il s’éloigne du PCF (selon ses déclarations ultérieures aux autorités vichystes).

Le 23 septembre 1939, à Dunkerque, section de Malo-les-Bains (Nord), son fils Jean, âgé de 18 ans, se marie avec Marguerite Lucilla Spencer, âgée de 18 ans. L’enfant du couple, Annick, naît le 5 février 1940 à Rosendaël (commune voisine).

Le 8 mai (?) 1940, anticipant l’invasion allemande qui se dirigera vers les côtes de la Mer du Nord, Jean, Marguerite et leur bébé fuient la région de Dunkerque et prennent un train qui reste bloqué à Arras. Prenant les chemins de l’exode, ils continuent à pied leur route vers le Sud, en passant par Albert, Amiens et Pont-Noyelles, dans la Somme. En juin, ils sont à Cheux (Calvados ?).

Entre temps, Yves Dumont a suivi son entreprise – le CMFA – à Saint-Nazaire (Loire-Inférieure / Loire-Atlantique).

En juillet, tout le monde se retrouve à la maison de Saint-Maur, où sera également hébergée la militante Alice Sportiss [4]. En septembre, Jean trouve du travail aux Halles de Paris (société Socafruit).

De novembre 1940 à juin 1941, Yves Dumont est élève du cours moyen G.A. auprès du professeur Hartig à l’Institut allemand de Paris [5], rue Jean-Goujon. Il dira y avoir suivi des cours d’allemand.

Sous l’Occupation, le commissariat de police de la circonscription de Saint-Maur demande son internement au motif qu’il « se fait remarquer dans la localité par ses propos communistes », notamment auprès des commerçants.

Le 4 juillet 1941, à 5 heures du matin, Yves Dumont est arrêté à son domicile par des des inspecteurs du commissariat de Saint-Maur. Le même jour, le préfet de police signe l’arrêté ordonnant son internement administratif. Son domicile est perquisitionné et ses livres emportés. Avec d’autres communistes arrêtés, dont Marcel Vade [6], il est conduit à la caserne désaffectée des Tourelles, boulevard Mortier à Paris 20e, “centre surveillé” dépendant de la préfecture de police de Paris. Yves Dumont est assigné au bâtiment A, chambre 13, n° 25.

La caserne des Tourelles, boulevard Mortier, avant guerre. Partagée avec l’armée allemande au début de l’occupation, elle servit surtout à interner les « indésirables étrangers ». Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne des Tourelles, boulevard Mortier, avant guerre.
Partagée avec l’armée allemande au début de l’occupation, elle servit surtout à interner les « indésirables étrangers ».
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Dès le 11 juillet, le directeur général de l’entreprise qui l’employait écrit au préfet de police, signataire de l’arrêté d’internement, indiquant que : « Notre société s’est vue dans la pénible nécessité de licencier une grande partie de son personnel par suite de l’arrêt de toute activité maritime, mais notre direction a tenu à conserver M. Dumont qui avait sous son contrôle immédiat toutes les importations faites pendant la période de septembre 1939 à juin 1940 par les navires de nos divers armements. Vous comprendrez certainement que la privation des services de ce collaborateur, seule personne vraiment qualifiée pour répondre rapidement aux nombreuses demandes de renseignements des divers organismes officiels et des chargeurs particuliers, en ce qui consente le sort des marchandises réquisitionnées, déroutées, saisies ou détruites, met notre société dans une situation assez embarrassante. […] Au cas où, malgré une enquête favorable à l’intéressé, une libération immédiate ne pourrait être envisagée, ne serait-il pas possible […] d’autoriser M. Y. Dumont à se rendre chaque jour à notre siège social pour y remplir les devoirs incombant à sa fonction sous notre garantie personnelle ? »
Le 19 juillet, Yves Dumont écrit lui-même au préfet pour porter à sa connaissance un certain nombre de renseignements à examiner en vue de sa libération, lui suggérant d’ordonner une enquête à fin de vérification. Se déclarant révolté par le qualificatif d’« indésirable », il désigne quatre témoins de moralité, dont un ex-conseiller municipal de Saint-Maur, membre du Parti radical indépendant et adversaire politique, mais voisin et ami.
Son fils et les siens et son épouse pourront lui rendre visite aux Tourelles.Un inspecteur principal adjoint des Renseignements généraux (RG) de la préfecture de police est missionné (ou missionne un subalterne) afin de procéder à une contre-enquête, avec pour consigne d’éviter de consulter le commissariat de Saint-Maur, ce qui suggère une certaine méfiance. Le rapport rédigé le 17 août n’évoque aucune activité clandestine de la part d’Yves Dumont.
Le 3 septembre, celui-ci renouvelle sa demande de libération auprès du préfet, lui rappelant que, dès le 6 juillet, il a adressé une déclaration écrite au directeur du Centre des Tourelles « pour être transmise à qui de droit » et « constituant un désaveu formel des méthodes communistes en même temps qu’une affirmation catégorique d’avoir rompu tout lien avec le Parti communiste depuis août 1939 » (document non retrouvé).
Le même jour, ayant lu dans la presse l’avertissement des autorités allemandes concernant les otages, parmi lesquels figure – par définition – Yves Dumont, et se référant aux lettres que celui-ci a précédemment envoyées au directeur du Centre et au préfet de police, son fils Jean adresse, depuis le domicile familial, une lettre à François de Brinon, ambassadeur de France dans les territoires occupés, pour demander la libération de son père, présentant son engagement politique passé comme un « accident sentimental ».
Le 13 septembre, le directeur des RG écrit au commissaire de Saint-Maur pour lui demander de lui faire connaitre « 1°- les actes de propagande auquel l’intéressé s’est livré depuis la dissolution du Parti communiste, qui ont motivé votre demande d’internement ; 2° – si, dans la situation actuelle, en tenant compte des renseignements qui ont pu parvenir à votre connaissance, vous estimez nécessaire le maintien de Dumont dans un centre de séjour surveillé. »
Le 15 septembre, un des deux inspecteurs du commissariat de Saint-Maur (Genty) ayant procédé à l’arrestation d’Yves Dumont rédige à destination du préfet un rapport justifiant celle-ci en tant qu’initiative locale. Selon ce document, après la dissolution du Parti communiste, Yves Dumont « s’est fait remarquer plusieurs fois dans la localité en compagnie des nommés Vadé Marcel, Faudry Gilbert et Faudry André, tous trois internés pour le même motif. Dumont recevait chez lui ces trois individus principalement le soir et ils repartaient a une heure avancée de la nuit. De temps à autre, Dumont rendait également visite au nommé Vadé, 35 rue de La Varenne à St-Maur, où de grandes discussions politiques communistes se prolongeaient très tard dans la nuit ; dans le voisinage de Vadé et Dumont, il résulte qu’ils reformaient un petit comité secret de propagande communiste. En outre, depuis l’arrestation de Dumont, aucun tract communiste n’a été découvert à proximité de son domicile, alors qu’auparavant les boîtes aux lettres de son quartier en étaient remplies mensuellement. »
Le commissaire Touraine ajoute de sa main : « semble devoir être maintenu » (en internement).
Les accusations portées contre Yves Dumont sont très générales, ne mentionnant aucun fait ou date précis. Que soient seulement évoquées des rencontres nocturnes à domicile amène à penser que cette arrestation pourrait résulter d’une dénonciation par un voisin malveillant ayant contact avec un représentant de police (à aucun moment n’est suggérée l’existence d’une lettre anonyme). Ces discussions, suffisamment bruyantes pour être entendues de l’extérieur, correspondait peut-être à des échanges véhéments d’arguments politiques entre amis cherchant à se convaincre mutuellement.
Le 22 septembre, Yves Dumont écrit également au directeur de l’Institut allemand dans l’espoir que celui-ci porte « à la connaissance des autorités compétentes [son] attitude au cours de l’année écoulée afin qu’il en soit tenu compte en cas de représailles éventuelles sur des personnes qualifiées otages » [sic] « à l’heure où des actes criminels tendent à envenimer les rapports de la population parisienne avec l’armée d’occupation ».
Sollicités par le préfet Ingrand, les renseignements généraux interrogent le commissariat de Saint-Maur qui réitère – en termes identiques – son accusation concernant l’activité militante d’Yves Dumont avant son arrestation.
Le 9 octobre, celui-ci est parmi les 60 militants communistes (40 détenus venant du dépôt, 20 venant de la caserne des Tourelles) transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne) ; départ gare d’Austerlitz à 8 h 25, arrivée à Rouillé à 18 h 56.
Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Il y recevra la visite de Jeanne, son épouse, et de leur fils, ainsi que de Monsieur Roy, directeur de la Société auxiliaire du Port de Caen (voir plus loin). C’est sans doute dans ce camp qu’il donne des cours – de langue (ou d’Histoire ?) – aux autres internés, signe probable qu’il n’est pas “mis à l’index”.
Le 24 novembre, le ministre secrétaire d’État à l’Intérieur adresse au préfet « une requête transmise à M. le Maréchal, Chef de l’état Français par Madame Dumont, institutrice » – sa sœur Monique – alors domiciliée au 4, rue de France au Bardo (Tunisie), pour solliciter la libération de son frère, en lui demandant de lui « faire connaître les raisons de la mesure prise à l’encontre de l’intéressé et [son] avis motivé sur l’opportunité de sa libération ».
Une fiche rédigée le 4 décembre par les R.G. renouvelle la formulation des rapports précédents en ajoutant qu’Yves Dumont se faisait « remarquer fréquemment chez les commerçants de la localité par ses propos communistes ».
Néanmoins, le 13 décembre, le directeur des R.G. (Labaume ?) écrit au commissaire de Saint-Maur pour l’informer qu’une contre-enquête a été effectuée selon laquelle Yves Dumont aurait renié publiquement le PCF, qu’il ne pourrait être suspecté d’activité antinationale et qu’un membre d’un parti adverse se porte garant de sa sincérité. Selon une formulation très semblable au courrier du 13 septembre, il demande de lui faire connaître d’extrême urgence (souligné) : « 1°- les actes de propagande auxquels l’intéressé s’est livré depuis la dissolution du Parti communiste, qui ont motivé votre demande d’internement. 2°- si, dans la situation actuelle, en tenant compte des nouveaux renseignements obtenus sur le compte de l’intéressé et qui ont pu parvenir à votre connaissance, vous estimez nécessaire de le maintenir dans un centre de séjour surveillé ». Ainsi la question est clairement posée aux commissaire et inspecteurs de Saint-Maur de savoir s’ils se déjugent. Manifestement, c’est la parole du commissaire qui va l’emporter.
Le 17 décembre, une “enquête” effectuée à Saint-Maur par deux inspecteurs de la brigade spéciale (des R.G. ?) reprend les termes utilisés par la police locale – en utilisant l’expression « propagande de bouche à oreille » – sans apporter d’élément nouveau concernant l’activité clandestine d’Yves Dumont. Les policiers ajoutent seulement qu’ils n’ont pu avoir confirmation que celui-ci avait renié publiquement le Parti communiste lors de la conclusion du pacte germano-russe, l’ex-conseiller municipal de Saint-Maur désigné par lui comme témoin et interrogé se rappelant seulement un reniement prononcé devant lui en privé.
Le 12 janvier 1942, le cabinet de la Délégation générale dans les territoires occupés demande d’extrême urgence l’avis de la préfecture de police sur l’opportunité de la libération de cinq internés, dont Yves Dumont. La réponse téléphonée est « défavorable ».
Le 2 mars, alors qu’il espère que « l’heure de [sa] libération sonne bientôt », Yves Dumont envoie au préfet de la Vienne – département où il est interné – un engagement de sa part par lequel il déclare sur l’honneur avoir rompu tout lien avec le Parti communiste, assurant que, ni de près, ni de loin, il ne renouera les moindres liens avec cette organisation et ne se livrera à une action clandestine quelconque. Ajoutant qu’il servira « avec un zèle digne de l’ancien combattant » qu’il fut la politique du maréchal Pétain, son « ancien chef », il fait « serment de fidélité à la personne du Chef de l’État ». Considérant son ressenti réel de la Grande Guerre, on peut penser qu’il reproduit là, au plus près, les termes de la propagande vichyste, qu’il estime les mieux appropriés à le sortir de la nasse. Le 16 mars, le directeur de cabinet du préfet de police transmet copie de cette déclaration à la direction des R.G. en lui demandant de donner son avis sur l’opportunité d’une mesure de clémence. En cas de libération, la société qui l’emploie a fait savoir qu’Yves Dumont serait réintégré à son poste jusqu’au règlement des litiges de l’entreprise, puis envoyé comme interprète à la Société auxiliaire du Port de Caen (SAPC), chargée d’effectuer d’importants travaux pour les autorités d’occupation, et où travaille déjà son fils.
Le 3 avril, s’appuyant toujours – et définitivement – sur le rapport initial du commissariat de Saint-Maur, les R.G. répondent au cabinet du préfet que la clémence n’est pas justifiée, malgré l’évolution tardive des sentiments d’Yves Dumont, et qu’il y a lieu de sursoir à cette mesure.
Le 18 avril, selon son épouse, Yves Dumont est inscrit sur une liste de vingt détenus devant être libérés de Rouillé, mais, son patronyme étant mal orthographié (erreur de lettre finale), son départ du camp serait refusé. Quelques jours plus tard, un ordre allemand suspend toute libération.
Le 22 mai, Yves Dumont fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Enregistré sous le matricule 5876, il y retrouve André Faudry, de Saint-Maur-des-Fossés, qui y est détenu depuis onze mois.
La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C.     L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

À partir du 18 juin, son fils Jean est en Sarre comme travailleur volontaire pour la firme Rochling Jollrlingen, de Hostenbach, ayant accompagné son employeur, Monsieur Roy, et laissé femme et enfant à Saint-Maur. Il profitera d’une permission pour ne pas repartir en Allemagne, au motif d’une maladie contagieuse.

Entre fin avril et fin juin, Yves Dumont – malgré son handicap à la jambe – est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Il est possible qu’à la veille du départ Yves Dumont puisse transmettre un message à son épouse. En effet, celle-ci aura connaissance qu’il est « dirigé sur l’Allemagne (destination inconnue) le 5 juillet ».

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Yves Dumont est enregistré à Auschwitz sous le numéro 45505 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée et identifiée [8]).

Auschwitz-I, le 8 juillet 1942. Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne. Collection Mémoire Vive. Droits réservés

Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Yves Dumont.

Le 13 juillet, en France, Jeanne Dumont écrit à Pierre Laval, Ministre de l’Intérieur, pour lui « exposer le cas » de son mari, précisant qu’il est « réclamé avec insistance » par deux employeurs : le Consortium maritime franco-américain, mais aussi « Monsieur Roy, entrepreneur de maçonnerie à Caen pour le compte de l’autorité allemande ». « J’ai foi en votre juste compréhension et viens vous demander quel sort est réservé en Allemagne à mon mari. M’est-il au moins permis de connaître son affectation actuelle ? » Le 21 juillet, le ministère transmettra cette demande à la Délégation du gouvernement français dans les territoires occupés. Le 28 juillet, cette administration répondra qu’elle tente une demande de libération.

Entretemps, le 16 juillet, l’administration militaire du Frontstalag 122 a envoyé à son épouse une carte-formulaire “automatique” en allemand indiquant que « sur ordre de l’autorité compétente, le détenu Yves Dumont a été transféré dans un autre camp pour travailler. Le lieu de destination ne nous est pas connu, de sorte que vous devez attendre des nouvelles ultérieures… ».

Yves Dumont meurt à Auschwitz le 31 juillet 1942, selon le registre d’appel quotidien (Stärkebuch) et l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) ; trois semaines environ après l’arrivée du convoi. Il a 49 ans.

Le 28 août, la Délégation du gouvernement français dans les territoires occupés fait connaître au ministère de l’Intérieur la réponse que les « Autorités Supérieurs allemandes » viennent de lui faire parvenir : « la libération du sus-nommé ne peut être ordonnée pour le moment ».

En 1943, Jean, son fils, Marguerite et Annick sont à Quimperlé (Finistère), où ils restent jusqu’à la libération de ce territoire, au printemps 1944. En novembre 1946, ils retourneront à Malo-les-Bains (Nord). Pendant un temps, Jean sera docker sur le port de Dunkerque.

Après-guerre, Jeanne Dumont habite toujours au 44 avenue de Condé à Saint-Maur ; début 1952, elle sera vendeuse chez une fleuriste de la commune, place Galilée.

Le 25 septembre 1945, elle complète et signe un formulaire du ministère des Prisonniers, déportés et réfugiés de “Demande de recherches pour un déporté”.

Le 23 février 1946, au commissariat de police de Saint-Maur-des-Fossés, deux habitants signent chacun une attestation destinée au ministère des Anciens combattants et victimes de la guerre par laquelle ils se portent garants qu’Yves Dumont a été arrêté le 4 juillet 1941 par la police française, avec pour motif : « communiste ».

Le 27 juin suivant, complétant un formulaire à en-tête de l’amicale d’Auschwitz / Fédération nationale des déportés et internés patriotes (FNDIRP), René Besse, de Créteil, rescapé du convoi, « certifie sur l’honneur » qu’Yves Dumont est décédé au camp d’Auschwitz à la date du « (fin 1942) ».

Le 27 septembre, Jeanne Dumont complète et signe un formulaire du ministère des anciens combattants et victimes de la guerre (ACVG) pour demander la régularisation de l’état civil d’un « non-rentré ». Elle désigne alors son mari comme « déporté politique ».

Le 29 octobre suivant, l’officier de l’état civil alors en fonction au ministère des ACVG dresse l’acte de décès officiel d’Yves Dumont « sur la base des éléments d’information figurant au dossier du de cujus, qui nous a été présenté ce même jour » (probablement le témoignage de René Besse) et en fixant la date au 20 décembre 1942.

Le 28 décembre, Jeanne Dumont complète et signe un formulaire du ministère ACVG pour demander l’inscription de la mention “Mort pour la France” sur l’acte de décès d’un déporté politique. Le 5 janvier 1948, la dite mention sera apposée en marge de la page correspondante sur les registres d’état civil de Saint-Maur.

Le 27 mars 1947, le bureau central de recherche de l’US Army transmet au bureau national de recherche des ACVG un formulaire de rapport d’enquête (rédigé en anglais) concernant une personne manquante dans lequel sont précisés le matricule d’Yves Dumont et la date de son décès, extraits du registre du camp. Cette date plus exacte n’est alors pas transmise aux mairies de ses communes de naissance et de domicile, et ne le sera que le 1er juin 1994 après que le service de recherche d’Arlosen ait spontanément (?) transmis cette date à la mairie de Bourg-en-Bresse (18 mars 1992).

Le 7 mars suivant, le secrétaire de la section communiste de Saint-Maur signe un document par lequel il certifie qu’Yves Dumont a été arrêté « par suite de son appartenance au Parti communiste ». Le 30 avril, c’est le secrétaire administratif du PCF de la Fédération de la Seine qui délivre une attestation selon laquelle le déporté « faisait partie de la Résistance dans les rangs du Parti communiste français », complétée le 22 mai par deux nouveaux certificats signés par des militants de Saint-Maur.

Le 23 janvier 1951, un certificat établi par le liquidateur national du Front national pour la veuve d’Yves Dumont évoque une activité de « distribution de tracts et journaux appelant à la lutte contre l’occupant » et une « dénonciation de son activité politique ».

Le 6 février suivant, Jeanne Dumont – en qualité de veuve – complète et signe un formulaire du ministère des ACVG pour demander l’attribution du titre de Déporté Résistant à son mari à titre posthume. À la rubrique IV, “Renseignements relatifs à l’arrestation et l’exécution, l’internement ou la déportation”, elle inscrit « arrêté pour distribution de tracts et journaux appelant à la lutte contre l’occupant ».

Le 27 novembre 1952, la commission départementale de la Seine émet un avis défavorable. Le 13 février 1954, suivant l’avis des commissions départementale et nationale, le ministère des ACVG rejette la demande d’attribution du titre de Déporté Résistant et accorde à Yves Dumont le titre de Déporté Politique. Cette double décision est notifiée à Jeanne Dumont le 2 avril, accompagnée de la carte DP n° 110109734… qu’elle renvoie aussitôt. Deux semaines plus tard, elle écrit au ministre des ACVG pour solliciter un recours gracieux contre la décision de rejet. La réponse lui est envoyée par courrier le 7 octobre suivant : « l’article R.286 du Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre édicte que le titre de Déporté Résistant est attribué à la condition expresse que la cause déterminante de la déportation soit un des actes qualifiés de résistance à l’ennemi définis à l’article R.287 dudit code. Or, il appert d’un document du dossier que Monsieur Dumont a été arrêté le 4 juillet 1941 par le commissaire de police de Saint-Maur pour infraction au décret-loi du 26 septembre 1939 pris pour empêcher la reconstitution d’un parti politique dissous. La relation de cause à effet entre une activité résistante et la déportation n’étant pas établie, la décision de rejet ne peut être modifiée ».

Vers 1960, Roger Arnould demande un portrait civil d’Yves pour identifier le portrait d’Auschwitz (portrait transmis par la famille de Jeanne (sa belle-sœur Georgette Maximilien) qui demeurait à Rambouillet.

Jeanne Dumont décède le 4 juillet 1971 à Créteil (Val-de-Marne).

Marcelle, sœur d’Yves, décède le 13 mars 1981 à Viriat (Ain). Monique, son autre sœur, décède le 14 août 1983 à Aix-en-Provence.

Son fils Jean décède le 37 mars 1989 à Créteil.

Le nom d’Yves Dumont est inscrit sur la plaque apposée dans le hall de la mairie de Saint-Maur « à la mémoire des fusillés et morts en déportation en Allemagne ».

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 9-04-1989).

Le 1er juin 1994, par décision du ministère des Anciens combattants, la date exacte est rectifiée en marge de son acte de décès sur les registres d’état civil de Saint-Maur.

« Mauvais berger » avait dit de lui un magistrat du régime de Vichy, ex-relation de la famille, qui refusa d’intervenir pour sa libération. Parmi ses proches, il se disait que le commissaire qui l’avait arrêté (E. Touraine), avait été décoré (de la légion d’honneur ?) pour son action en Indochine.

Notes :

[1] Saint-Maur-des-Fossés : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne” (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Moline Plow Company, entreprise de fabrication d’engins agricoles (charrues, moissonneuses, tracteurs)  créé en 1870 à Moline dans l’Illinois (USA). En 1918, elle est la première à vendre un tracteur équipé d’un auto démarreur électrique et d’un phare, un des premiers tracteurs articulés, muni d’un avant-train moteur qui permet d’y adapter des charrues pour le labour. La société a eu un siège français au 159 quai de Valmy (Paris 10e).

[3] Renée Haultecoeur, née le 24 janvier 1912 à Paris, secrétaire de Jean Cavaillès, un des fondateurs de Libération-Nord, est arrêtée le 27 août 1943 à Paris et déportée dans le transport parti de Compiègne le 31 janvier 1944 et arrivé au KL Ravensbrück le 3 février (27436), rescapée, libérée par la Croix-Rouge le 9 avril 1945 frontière germano-suisse.

[3] Alice Sportiss, née Crémades, membre du Comité central du Parti communiste algérien à la suite de son congrès constitutif en octobre 1936, appelée à Paris par le PCF, début 1938, elle gagne en l’Espagne étant en titre auprès du Gouvernement républicain, déléguée du Comité international de coordination pour l’aide à l’Espagne républicaine. Après le repli des réfugiés espagnols, elle rentre à Paris à la fin mars 1939. Elle devient membre de la Commission pour l’Enfance de la centrale sanitaire présidée par le savant communiste Joliot-Curie, puis secrétaire de l’organisme qui prend le nom d’Office international pour l’enfance. En France sous l’occupation allemande, elle est dans la clandestinité, membre d’une sous-direction du Comité central du PCF, chargée des réfugiés. Elle est de retour en Algérie en 1942, députée d’Oran à l’Assemblée constituante en 1946 puis à l’Assemblée nationale. Source : René Gallissot, Le Maitron en ligne.

[5] L’Institut allemand de Paris : selon Pierre Favre, il s’agit d’une officine intellectuelle nazie sous la coupe de l’ambassadeur Otto Abetz, dépendant à la fois des ministères des Affaires étrangères et de la propagande du Reich, ainsi que de la Gestapo, où les écrivains français de la collaboration vont puiser leurs renseignements, leur inspiration et leurs recommandations, relayés par l’académicien Abel Hermant. Source : Pierre Favre (journaliste, ancien élève du lycée Jacques Decour), Jacques Decour, L’oublié des Lettres françaises, 1919-1942, Biographie, farrago-éditions Léo Scheer, Tours, 2002, pages 212-213.

[6] Marcel, Édouard, Vade, né le 22 avril 1905 à Arpajon (Seine-et-Oise puis Essonne), serrurier, marié le 6 décembre 1930 avec Henriette Moulinier, père de deux enfants, interné au camp de Rouillé, il est remis aux Allemands le 2 mai 1943 et transféré à Compiègne, déporté dans le transport de 2004 hommes parti le 21 mai 1944 et arrivé trois jours plus tard au KL Neuengamme (Allemagne), matr. 31887, où il meurt le 20 janvier 1945. Sources : Gilles Morin, Le Maitron en ligne, et Livre-Mémorial de la FMD, I.214, tome 3, page 739.

[7] André Faudry : il a été arrêté dès le 26 ou 27 juin dans une opération conjointe des polices française et allemande et immédiatement conduit au camp allemand de Compiègne.

[8] Sa photographie d’immatriculation à Auschwitz a été reconnue par des rescapés lors de la séance d’identification organisée à l’Amicale d’Auschwitz le 10 avril 1948 (bulletin “Après Auschwitz”, n°21 de mai-juin 1948).

Sources :

V Témoignage d’Annick Davisse, sa petite-fille (2006), messages et rencontre (06-2015), prêt de documents, relecture et compléments(11-2024).
V Son nom et son matricule figurent sur la «  Liste officielle n°3 des décédés des camps de concentration d’après les archives de Pologne » éditée le 26 septembre 1946 par le ministère des anciens combattants et victimes de guerre, page 60.
V Roger Arnould, article paru dans le journal de la FNDIRP, Le Patriote Résistant, n° 511, mai 1982.
V Antony Livesey, Atlas de la première guerre mondiale, éditions Autrement, collection Atlas/Mémoires, 1996, pages 122-123.
V Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 389 et 403.
V Archives départementales de l’Ain, site internet, archives en ligne : registre des naissances de Bourg-en-Bresse, 1892, acte n°407 (vue 106/134) ; registre des matricules militaires, bureau de recrutement de Belley, classe 1921 (1 R 0191), matricule n° 534.
V Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : liste des internés communistes (BA 2397) ; camps d’internement… (BA 2374) ; (BA 1837).
V Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLI-42, n° 74.
V Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : dossier individuel (21 P 446.061), recherches de Ginette Petiot.
V Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 246 (17740/1942).
V Site Mémorial GenWeb, 94-Saint-Maur-des-Fossés, relevé de Bernard Laudet (12-2002).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 21-11-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.


https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4617823f/f5.item.zoom

L’Œuvre, mardi 25 juin 1929
Page 6, L’Œuvre Littéraire et Artistique
Les Livres de la semaine
Traductions
(…)
Eric Maria Remarque, jeune écrivain allemand, de lointaine origine française, comme son nom l’indique, a fait la guerre sur le front occidental et a tiré de ses souvenirs un livre remarquable,
À l’ouest, rien de nouveau. On nous dit que 600.000 exemplaires s’en sont vendus en quelques semaines. Si c’est vrai, cela prouve que le public allemand n’a pas pour les livres de guerre l’indifférence qu’on prête quelquefois au public français. Mais peut-être le chiffre de vente des traductions anglaise et hollandaise est-il compris dans ce total époustouflant ?
L’opinion du Times est que « ce roman porte la marque d’un génie qui dépasse sa nationalité ».
Le Daily Herald estime que « c’est le meilleur livre de guerre paru jusqu’à présent » ; le Sunday Chronicle, que « c’est le plus admirable et terrible livre qui soit sorti de la guerre » ; le Manchester Guardian, que « c’est sûrement le plus grand de tous les romans de guerre ». Un journal de chez nous a même écrit que, par sa vérité, le livre de Remarque éclipse tous les autres du même genre. Je me garderai bien d’être si affirmatif. Mon opinion est que nous avons en France une bonne dizaine de livres de guerre supérieurs à celui-ci, et l’on peut croire que je ne le dis point par chauvinisme littéraire.
Qu’on se rappelle seulement
le Feu, la Vie des Martyrs et Civilisation, les Croix de bois, Nous autres à Vauquois, la Boue. Dans À l’ouest rien de nouveau, livre remarquable, je le répète, se trouve pourtant indiquée une nuance de pitié dont je ne me souviens pas d’avoir trouvé l’équivalent chez nous, à l’égard des plus jeunes soldats, transportés sans transition, des bancs de l’école à la tranchée. L’auteur était de ce nombre et le témoignage qu’il porte pour tous ceux de son âge est vraiment poignant.
On remarquera aussi l’importance de la nourriture dans les préoccupations du combattant allemand,
D’une façon générale, il y a, dans ce livre, un accent dolent et plaintif bien éloigné de l’attitude morale de nos troupiers, et ici je dois prier encore qu’on ne m’accuse pas de chauvinisme. Je ne dis pas que le cran allemand ne valait pas le nôtre, mais il ressort de ce livre que la bonne humeur française n’est pas tout à fait un vain mot, un simple cliché patriotique.
La principale qualité littéraire de Remarque est une simplicité d’expression qui confine presque au dénuement.
-O-
La saison qui s’achève a eu son grand événement littéraire. À en croire les commentateurs autorisés, ce ne serait rien de moins que le coup de grâce donné à la littérature, à la poésie, à l’art de composer et d’écrire. Il s’agit de la publication en français de
l’Ulysse de James Joyce (etc).

André Billy [écrivain, non collaborateur, 1882-1971]


 

Le 26 juin 1929

Monsieur,

Je lis dans la rubrique “Les Lettres” de L’Intransigeant des extraits de votre article deL’œuvrerelatif au livre d’Erich Maria Remarque. Ne lisant plus L’œuvre depuis la déchéance que vous savez, j’apprends par des amis que le reste de l’article est du même ton et je m’adresse aux mânes de Gustave Téry pour me plaindre de la mauvaise action que vous avez commise.
Le livre de Remarque éreinté dans la tribune de gauche que vous prétendez être, c’est un comble et en même temps un triste honneur qui ne vous sera pas disputé.
Mutilé de guerre, j’ai retrouvé quant à moi dans ce livre la peinture poignante de notre détresse, l’image de nos révoltes et le cri de l’homme traqué qui “se demande pourquoi il est là”.
Et vous faites à cet écho venu d’en face, pour miraculeusement étayer l’œuvre caduque de paix que vous préconisez par ailleurs, le reproche d’être “dolent, plaintif et bien éloigné de l’attitude morale de nos troupiers”. Je vous entends, Monsieur, il manque sans doute un peu de cet “esprit cavalier” dont les Saint-Just et les Kérilis nous entretiennent volontiers, de cet esprit de “bonne humeur française” comme vous dites, qui faisait hurler “À Berlin” nos petits soldats de 1914, qui les fera encore s’embarquer, hâbleurs et la gouaille aux lèvres, dans le wagon à bestiaux de la gare de la Villette avec leurs fascicules en poche et deux jours de vivres de réserves dans leur musette pour la prochaine dernière, pour les prochains massacres.
Pareillement de “belle humeur”, vous ferez sans doute les comptes-rendus de leurs exploits, peut-être le communiqué, à la place laissée vacante par M. Jean de Pierrefeu, autre collaborateur de “L’œuvre”.
“Belle humeur”, nous connaissons cela. Vis-à-vis de ce crime, la guerre, la belle humeur, c’est une inconvenance, c’est une fausse note, c’est une lâcheté. La “belle humeur,” c’est la faculté d’oubli, hélas trop ancré au cœur de l’homme. C’est l’excuse du soldat pour être traître à la misère, à ses camarades restés là-bas, entre les lignes, agonisants. C’est la faculté animale de récupération sitôt le péril disparu, qui fait chanter au soldat des “Madelon” en redressant le pas aux passages des agglomérations où les filles vous rient. C’est bien ainsi, en effet, et c’est là-dessus que comptent les chefs pour le maintien du “Moral”.
Peut-être bien que les armées allemandes, Monsieur Billy, n’avaient pas comme les nôtres de services du “Moral”, de directeur du “Moral”, vous savez bien bien, lors de je ne sais quel procès de 1919, ce petit éphèbe délégué par Ignace qui nous amuse tant en déclinant devant une cour de justice cette effarante “affectation”.
Ce que vous prenez pour une qualité, c’est proprement une caractéristique de notre race, non pas la meilleure, ma foi, mais bien près d’être la pire : la gueule, et la légèreté de l’individu que vous qualifiez “fierté morale”, nous l’appelons – nous – de son vrai nom, lâcheté, quand ce n’est pas soulographie.
D’ailleurs, votre impression du livre de guerre français est fausse. Où voyez-vous que que les soldats décrits par Barbusse soient des reîtres de belle humeur ? Ils sont, eux aussi, mortellement tristes et dolents au moins autant que ceux de Remarque. Vraiment, et puisque vous faites au “Feu” l’honneur de le citer, probablement faute de pouvoir faire autrement, il faut de l’aberration ou de la mauvaise foi pour y trouver autre chose qu’un long cri de révolte. La belle humeur y est aussi absente qu’hors de propos, s’agissant d’une œuvre bâtie et conçue au plus fort de la mêlée  en offrande à notre détresse.
Oui, certes “Le Feu” est supérieur au livre de Remarque, mais non pas pour les pauvres raisons que vous indiquez, pour une seule, qui est ni littéraire ni descriptive, c’est qu’il a paru en pleine mêlée et que son auteur a fait ainsi montre le premier de tous d’un courage inouï quand on se rappelle les risques de l’heure, la meute déchaînée, hurlant à la mort aux chausses de Romain Rolland et des rares pacifistes de cette sombre époque où l’intellectualisme traître à sa mission se déshonorait en France et à l’Étranger.
“À l’Ouest rien de nouveau”, que vous le vouliez ou non, et par le suffrage du public tout court, se situe à sa vraie place sur la ligne du “Feu” et peut-être de “Civilisation” de Duhamel. Au point de vue littéraire, ce qui est un point de vue secondaire, à mon avis, il est possible que les Dorgelès le vaillent, mais, outre qu’il faut en excepter Le Cabaret de la Belle Femme et autres productions nettement inférieures, il y a loin d’y avoir dans Les Croix de Bois même la force de la propagande anti-guerrière, l’accent profond d’humanité qui émane de la lecture du livre de Remarque et que je m’étonne de ne pas vous avoir vu dégager. Seuls, Barbusse, Remarque, Lazlo et parfois Duhamel, osent conclure et prendre la guerre au collet pour lui dire son fait. Monsieur Roland Dorgelès, “Président de l’Association des Écrivains Combattants” aime mieux laisser ce soin à ses lecteurs et parader profitablement aux côtés des Scapini et des Tardieux dans des cérémonies dérisoires et officielles où fréquente Monsieur Doumergue et sans doute Monsieur Chiappe.
Successeur de Monsieur Thierry Sandre et de Monsieur José Germain, ce nouveau Dorgelès ne peut pas être à la fois l’historien de la guerre qui tue et de celle dont on profite. Il fut un temps où cette probité intellectuelle était un honneur à “L’Œuvre”. C’était précisément à l’époque où votre journal publiait le premier Le Feu en feuilleton. C’était en pleine guerre et c’était la bonne voie. Depuis, hélas, il y a eu chez vous des Béraud et il y a encore des Billy et un La Fourchadière, collaborateur assidu de Clément Vau (?).
Puisse cette nouvelle orientation assurer à la commandite de MM. Henessy et Lederlin des profits en rapport avec le sacrifice de votre dignité.
——————
Jean Norton Cru, dans son livre Témoins, publié en 1929, consacre une courte note au livre de Remarque qu’il considère comme un « roman pacifiste ayant tous les défauts du genre représenté par Barbusse et Latzko : outrance du macabre, meurtre à l’arme blanche, ignorance de ce que tout fantassin combattant doit savoir ». Selon Norton Cru, Erich Maria Remarque, volontaire à 18 ans en 1915, devrait connaître les choses du front « mais il les déforme et accumule les invraisemblances : effet des obus, usage de la baïonnette, aspect du poilu français de 1917, type de mitrailleuse française, etc » et « la psychologie est aussi fausse, aussi traditionnelle que les faits : la peur terrasse les recrues (cas de folie furieuse), mais les vétérans sont indemnes. Topographie et chronologie nulles. Un non-combattant ne commettrait pas plus d’erreurs. ».
Jean Norton Cru, Témoins. Essai d’analyse et de critique des souvenirs des combattants édités en français de 1915 à 1928, Paris, Les Étincelles, 1929, rééd. Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2006, p.80. Andreas Latzko est l’auteur de Hommes en guerre (1917).

https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%80_l%27Ouest,_rien_de_nouveau#cite_ref-6

Lire aussi :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Norton_Cru