- IDENTIFICATION INCERTAINE…
- Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.
Léon, Charles, Rossin naît le 21 juillet 1895 à la maternité de l’hôpital Tenon, au 4, rue de la Chine, à Paris 20e, fils de Marie Louise Rossin, 30 ans, journalière, domiciliée au 72, rue de Belleville. Le 10 août suivant, l’enfant est reconnu par Charles Joseph Duthuin, 32 ans, passementier (?), domicilié à la même adresse.
Le 12 septembre 1899, une nommée Marie Rossin, âgée de 34 ans, journalière, domiciliée au 16, passage Lucien-Lacroix, décède à l’hôpital Tenon : s’agit-il de sa mère ?
Le 16 avril 1904, son père, Charles Joseph Duthuin, épouse Louise Berthe Charpentier, née le 8 janvier 1867 à Paris 12e, couronnière, tous deux étant alors domiciliés au 21, rue Florian (Paris 20e).
Pendant un temps, Léon Duthuin habite chez son père, au 8 cité Besson à Paris 20e, et commence à travailler comme grillageur.
De la classe 1915, il est à deux ou trois reprises « ajourné à un an pour faiblesse » par le conseil de révision. Le 21 mai 1917, il est « classé service armé » (apte) par la 1re commission de réforme de la Seine. Le 3 septembre suivant, il est incorporé comme soldat de 2e classe au 89e régiment d’infanterie. Le 5 mai 1918, il passe au 31e RI. Le 25 juillet suivant, il passe au 49e RI. Le 8 février 1919, il passe au 8e RI. Le 13 septembre suivant, il est envoyé en congé illimité de démobilisation, titulaire d’un certificat de bonne conduite, et se retire au 8 cité Besson. Entre temps, le 16 ou 17 septembre 1916, son père, Charles Joseph Duthuin, alors infirmier, est décédé à l’hôpital Tenon, âgé de 53 ans.
En octobre 1919, Léon Duthuin habite au 14, impasse des Couronnes (Paris 20e). Le 3 février 1923, Louise Berthe Duthuin-Charpentier, veuve de son père, décède à son tour à cette adresse, âgée de 56 ans.
À l’été 1923, Léon Duthuin habite au 9 cité d’Isly (dans le quartier de Belleville, voie qui n’existe plus en 2021). Il est alors aide-couvreur. Il vit avec Louise Georgette Virginie Prével, ménagère âgée de 44 ans. Le 5 août de cette année 1923, leur jeune enfant, Charles Louis Joseph (né le 20 octobre 1921) décède à leur domicile. Le 10 novembre 1924, leur deuxième enfant, Léon Henri Louis, âgé de six mois (né le 7 mai précédent) décède son tour.
En mars 1929, Léon Duthuin demeure au 140, rue de Ménilmontant (Paris 20e) ; au recensement de 1931, il y cohabite avec Renée Annette Duthuin, née le 22 juin 1926 à Paris 20e ; probablement sa fille (à vérifier…).
Il est découpeur.
En novembre 1933 et jusqu’au moment de son arrestation, Léon Duthuin est domicilié au 114, boulevard des Dalhias à Athis-Mons (Seine-et-Oise / Essonne) [1]. Plusieurs années avant son arrestation, il vit maritalement avec Marie Launay, née en 1888 à Guénin (Morbihan), et le fils de celle-ci, Élie Launay, né en 1910 à Guénin, polisseur chez Moindreau en 1936, alors que Léon Duthuin est déclaré sans-profession.
Le 12 septembre 1939, il est mobilisé, jusqu’en octobre ; puis de nouveau, le 19 avril 1940, au dépôt du 22e B.O.A. (bataillon d’ouvriers d’artillerie) ; unité dans laquelle ont été – ou seront aussi – affectés Robert Bramet, Louis Goudailler et Samuel Goldstein.
N’ayant pas été fait prisonnier au cours de la Bataille de France, il est démobilisé le 4 août suivant et rentre dans ses foyers.
Sous l’occupation, alors sans travail, il est membre du Comité des chômeurs d’Athis-Mons. À ce titre, il porte en mairie [2] le cahier de revendications de l’Union régionale Paris-Sud des Comités de chômeurs.
Le 6 octobre 1940, complétant un formulaire de “notice individuelle à remplir au moment de l’arrestation”, le commissaire de police d’Athis-Mons écrit : « militant communiste notoire, ayant pris une part active depuis l’occupation à la distribution de tracts. »
Le 12 octobre, Léon Duthuin est arrêté. Le préfet signe l’arrêté d’internement administratif le lendemain. Le 14 octobre, Léon Duthuin est conduit au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé au début du mois d’octobre 1940 dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt afin d’y enfermer des hommes connus de la police pour avoir été militants communistes avant-guerre. Pendant un temps, Léon Duthuin est assigné à la chambre n° 50.
Le 12 décembre 1940, Léon Duthuin écrit au Président de la Commission de vérification pour « protester contre cette arrestation arbitraire » et ses conditions d’internement, « étant, non surveillé, mais au régime des droit commun, ne recevant ni journaux, ni visites accordés [à ceux-ci] ».
Le 12 février 1941, il écrit au préfet de Seine-et-Oise pour demander sa libération au motif qu’il n’a exercé « aucune fonction » au sein du PCF et qu’ensuite il n’a pas eu d’activité politique.
Le 31 mars 1941, sa compagne écrit au préfet de Seine-et-Oise pour solliciter une autorisation de visite (suite inconnue…).
Selon le commissaire spécial de police commandant le camp, Léon Duthuin suit « les directives du Parti communiste et de la IIIe Internationale », participe « à toutes les manifestations collectives organisées au Centre », sa correspondance est censurée.
Le 27 juin 1941, Léon Duthuin fait partie d’un groupe de 88 internés communistes de Seine-et-Oise – dont 32 futurs “45000” – remis aux “autorités d’occupation” et conduits à l’Hôtel Matignon, à Paris, – alors siège de la Geheime Feldpolizei – où ils rejoignent des hommes appréhendés le jour même dans les départements de la Seine-et-Oise et de la Seine par la police française en application d’arrêtés d’internement administratifs [3]. Tous sont ensuite menés au Fort de Romainville, sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), alors camp allemand, élément du Frontstalag 122. Considérés comme étant en transit, ils ne sont pas enregistrés sur les registres du camp [4].
Trois jours plus tard, les hommes rassemblés sont conduits à la gare du Bourget (93) et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Polizeihaftlager). Pendant la traversée de la ville, effectuée à pied entre la gare et le camp, la population les regarde passer « sans dire un mot, sans un geste. Tout à coup nous entonnons La Marseillaise et crions “Des Français vendus par Pétain” » [5]. Ils sont parmi les premiers détenus qui inaugurent ce camp créé pour les « ennemis actifs du Reich ».
Neuf mois plus tard, le 19 mars 1942, le préfet de Seine-et-Oise transmet au Conseiller supérieur d’administration de guerre [sic] de la Feldkommandantur 758 de Saint-Cloud une liste d’anciens internés d’Aincourt à la libération desquels il oppose un avis défavorable – « renseignements et avis formulés tant par [ses] services de police que par le directeur du centre de séjour surveillé » ; liste accompagnée de « notes » individuelles avec copie traduite en allemand, dont celle concernant Léon Duthuin.
Entre fin avril et fin juin 1942, Léon Duthuin est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Léon Duthuin est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45518, selon les listes reconstituées (la photo d’immatriculation correspondant à ce matricule a été retrouvée, mais n’a pu être identifiée à ce jour).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Léon Duthuin.Il meurt à Auschwitz le 18 octobre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).
Notes :
[1] Athis-Mons : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine-et-Oise (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] La mairie d’Athis-Mons : en 1929, la municipalité achète le château d’Avaucourt pour y installer la mairie. Sous l’occupation le bâtiment est réquisitionné et transformé en Kommandantur (source Wikipedia).
[3] Les 88 internés de Seine-et-Oise. Le 26 juin 1941, la Feldkommandantur 758 de Saint-Cloud transmet au préfet du département de Seine-et-Oise – « police d’État » -, cinq listes pour que celui-ci fasse procéder dès le lendemain à l’arrestation de ressortissants soviétiques ou de nationalité russe ancienne ou actuelle, dont 90 juifs, et de républicains espagnols en exil, soit 154 personnes. La sixième catégorie de personnes à arrêter doit être constituée de « Différents communistes actifs que vous désignerez » (aucune liste n’étant fournie). Tous doivent être remis à la Geheime Feldpolizei, à l’Hôtel Matignon, à Paris.
Si aucun autre document n’atteste du contraire, c’est donc bien la préfecture de Seine-et-Oise qui établit, de sa propre autorité, une liste de 88 militants communistes du département à extraire du camp d’Aincourt.
Le 27 juin, le commandant du camp écrit au préfet de Seine-Et-Oise pour lui « rendre compte que 70 internés[du département] ont été dirigés aujourd’hui dans la matinée sur le commissariat central de Versailles et que 18 autres internés ont été dirigés dans le courant de l’après-midi à l’Hôtel Matignon à la disposition des Autorités allemandes d’occupation. Le départ de ces internés s’est déroulé sans incident. » Les listes connues à ce jour ne distinguent pas les deux groupes et réunissent les 88 internés.
Le 29 juin, l’inspecteur de police nationale commandant l’escorte conduisant le contingent de 70 détenus à Versailles, rend compte que le commissaire divisionnaire lui a ordonné de poursuivre son convoyage « jusqu’à l’Hôtel Matignon, à Paris, siège de la Geheime Feldpolizei (sic). En passant à Billancourt, quelques internés du premier car ont montré le poing et des ouvriers qui allaient prendre leur travail ont répondu par le même geste. J’ai immédiatement donné des ordres aux gardiens pour que les internés rentrent leurs bras.
À mon arrivée à Paris, je me suis trouvé en présence d’une quinzaine de cars remplis de prisonniers ayant la même destination que les internés d’Aincourt et j’ai dû prendre la suite.
Le formalités d’immatriculation étant assez longues, j’ai dû attendre mon tour ; l’opération a commencé à 18 heures et s’est terminée à 19h15 ; je n’ai pu faire la remise que de 38 internés sur 88 venus d’Aincourt. En raison de l’heure, le chef de bureau de la Feldpolizei m’a fait savoir qu’il recommencerait l’immatriculation le lendemain matin à 8h15, d’avoir à revenir à cette heure-là. J’ai rassemblé les 50 internés restant dans les deux cars et ai libéré les camionnettes et les gardiens disponibles.
Je me suis aussitôt mis en rapport avec la préfecture de Seine-et-Oise afin de savoir où je devais conduire, pour passer la nuit, les 50 internés. Une heure après, je recevais l’ordre de les conduire au Dépôt, 4 quai de l’Horloge, et de continuer ma mission le lendemain matin. Cette formalité étant remplie, j’ai renvoyé les cars et le personnel à Versailles.
Le 28 juin, à 7 heures, j’ai continué ma mission qui a pris fin à 11 heures. Cette escorte s’est déroulée sans autre incident. »
[4] Arrestations de la fin juin 1941 dans le département de la Seine, témoignage d’Henri Rollin : « Le 27 juin 1941, vers 6 heures de matin, ma femme et moi nous sommes réveillés par un coup de sonnette. Trois inspecteurs de la police française viennent nous arrêter ; perquisition rapide sans résultat (nous avions la veille au soir distribué les derniers tracts que nous avions). Nous arrivons à l’hôtel Matignon où nous trouvons de nombreux cars et camions, résultat d’une rafle dans toute la région parisienne. Nous sommes remis par la police française aux autorités allemandes. Au moment de ma remise aux Allemands, j’ai aperçu qu’on leur donnait une petite fiche portant mon nom et la mention « communiste », soulignée à l’encre rouge. Nous subissons un court interrogatoire d’identité… Attente… Vers la fin de l’après-midi, départ en car. Arrivée au fort Romainville, fouille, identité. Départ de Romainville le 1er juillet, au matin, par train spécial et bondé au Bourget, arrivée l’après-midi à Compiègne. Le lendemain, même cérémonie, refouille et identité, ensuite la vie de camp… »
[5] De l’Hôtel Matignon au Frontstalag 122 : témoignage de Marcel Stiquel (déporté au KL Sachsenhausen le 24 janvier 1943). Son récit fait état de 87 internés (la liste en comporte 88) et d’un départ d’Aincourt étalé sur deux jours : les 27 et 28 juin 1941 (voir note ci-dessus).
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 380 et 403.
Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt, relations avec les autorités allemandes (1w73, 1w80), dossier individuel (1w112), liste des 88 internés d’Aincourt remis les 27 juin 1941 à la disposition des autorités d’occupation (1w277).
Archives départementales de Paris, site internet, archives en ligne : extrait du registre des naissances à la date du 22 juillet 1895 (V4E 10691), acte n° 2764 (vue 13/31).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 247 (36421/1942).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 7-06-2021)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.