- Auschwitz, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Adrien, Henri, Gustave, Fontaine naît le 21 novembre 1901 dans le hameau de Calvaille sur la commune de Cany-Barville (Seine-Inférieure / Seine-Maritime [1] – 76), au domicile de son grand-père, Frédéric Fontaine, 52 ans, tisserand. Il est l’enfant naturel de Victorine Fontaine, 28 ans, demeurant à Rouen, veuve de Léon Delaune, peintre en bâtiment de 27 ans, décédé à leur domicile en février 1897, neuf mois après leur mariage. Celle-ci l’élève jusqu’à sa majorité.
En 1906 et pendant un temps, Adrien Fontaine habite avec sa mère au 9, rue Étoupée à Rouen, chez une parente, Marie Fontaine ; Victorine est cuisinière, Adrien commence à travailler comme docker.
Le 11 octobre 1919, à Rouen, sa mère se remarie avec Auguste Bourquin.
Le 5 avril 1921, Adrien Fontaine est appelé à accomplir son service militaire comme soldat de 2e classe. Le 1er avril 1923, il passe dans la disponibilité, mais est maintenu provisoirement sous les drapeaux jusqu’au 30 mai suivant ; le certificat de bonne conduite lui est refusé.
À la mi-décembre 1923, il habite au 39, rue Saint-Spire (un hôtel meublé ?) à Corbeil (Seine-et-Oise / Essonne).
Le 3 avril 1926 à Bihorel (76), Adrien Fontaine se marie avec Alice Lormier, née en 1903 (à Rouen ?), confectionneuse chez Rousseau à Rouen.
En août 1929, le couple vit au 86, rue de la Gare au Petit-Quevilly (76).
À partir de mai 1931 et jusqu’au moment de l’arrestation du chef de famille, celle-ci est domiciliée au 25, rue Boieldieu à Grand-Quevilly (76), au sud-ouest de l’agglomération de Rouen, dans la boucle de la Seine.
Ouvrier métallurgiste, Adrien Fontaine est mécanicien ou soudeur électrique.
Il est membre du Parti communiste et de la CGT avant 1939.
Vers 1936, son épouse donne naissance à un enfant (âgé de cinq ans en 1941).
Le 27 août 1939, il est rappelé à l’activité militaire par le décret de mobilisation générale. Mais, le 22 décembre suivant il est “affecté spécial” en qualité de soudeur aux établissements Pecquels et Compagnie à Rouen et renvoyé dans ses foyers le 6 janvier 1940. Il est considéré comme démobilisé de fait à partir du 25 juillet 1940.
Sous l’occupation, il est sans emploi.
Le 23 septembre 1940, un inspecteur principal du commissariat de police spéciale transmet au commissaire central de Rouen les notices de militants communistes signalés par le commissaire de Grand-Quevilly : Adrien Fontaine, Maurice Guillot, ainsi que les frères André et Émile Fontaine [2]. André Fontaine y est désigné comme : « Créature à Cocagne [3] ».
Le 2 octobre suivant, à 13 h 15, Maxime L., 60 ans, retraité de la gendarmerie habitant rue Mathilde-Julio, se présente à la brigade de gendarmerie de Petit-Quevilly pour remettre un exemplaire petit format du journal L’Humanité n° 17, daté du 2 octobre 1940, expliquant qu’une demi-heure plus tôt il a aperçu un inconnu en train de glisser ce papier dans sa boîte aux lettres. L’individu, de petite taille, allait nu-tête, vêtu d’un veston de cuir marron assez long et d’un pantalon également marron, mais plus clair. Portant une musette, il se déplaçait avec une bicyclette. L’adjudant de gendarmerie signale dans son rapport que d’autres tracts ont récemment été distribués dans le quartier par un individu correspondant à ce signalement et s’appliquant de façon formelle à l’ouvrier Fontaine. Surveillé, celui-ci n’est pas pris en flagrant délit. Cependant, ce rapport déclenche le lendemain l’établissement d’une commission rogatoire par un juge d’instruction de Rouen « à l’effet de rechercher au domicile du nommé Fontaine Adrien des tracts, brochures et documents communistes ». Mise en exécution par le commandant de la section de gendarmerie à 14 h 15, les recherches effectuées ne donnent aucun résultat. Adrien Fontaine est interrogé au moment où il rentre chez lui, à 19 h 45. Il ne manifeste « aucune mauvaise humeur » au moment où il est fouillé (sans résultat). Il déclare, entre autres, que, la veille, il est « aller pointer au chômage comme d’habitude à la mairie », puis est revenu chez lui vers 12 h ou 12 h 30, après avoir été se promener sur les quais pour se rendre compte « si le démantèlement des bacs à pétrole incendiés commençait afin de [se] faire embaucher ». Ensuite, les gendarmes conduisent Adrien Fontaine jusque chez Maxime L. pour une confrontation, mais celui-ci déclare ne pas reconnaître son visage. Il semble que le témoin se rétracte, car un bref rapport précédent fait état d’un échange verbal entre les deux hommes au moment de la remise du journal (à faire circuler après l’avoir lu…). L’ouvrier chômeur est laissé libre.
Le 4 août 1941, répondant à une note du préfet de Seine-Inférieure datée du 22 juillet, le commissaire principal de police spéciale de Rouen transmet à celui-ci une liste nominative de 159 militants et militantes communistes de son secteur dont il préconise de prononcer l’internement administratif dans un camp de séjour surveillé, tous anciens dirigeants ou militants convaincus ayant fait une propagande active et soupçonnés de poursuivre leur activité clandestinement et « par tous les moyens ». Parmi eux, Adrien Fontaine…
Le 22 octobre 1941, celui-ci est arrêté à son domicile par la police française, sur ordre de l’autorité allemande en raison de « son appartenance au PC », lors de la grande rafle qui eut lieu à Rouen et dans sa banlieue [4].
Son épouse Alice a clairement conscience de sa condition d’otage : c’est le mot qu’elle utilise dès le 26 octobre dans une demande de libération adressée au maréchal Pétain, dans laquelle elle précise que l’arrestation de son mari la laisse sans ressource « avec sa vieille mère et un enfant malade dont les poumons sont menacés, ce qui nécessite de grands soins ». Elle ajoute : « malgré mes démarches je ne trouve pas de travail, et voici l’hiver devant nous ».
Incarcéré à la caserne Hatry de Rouen, Adrien Fontaine est transféré le 1er novembre 1941 au camp allemand de Royallieu à Compiègne [5] (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures, puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Adrien Fontaine est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45546. Ce matricule sera tatoué sur son bras gauche quelques mois plus tard.
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet après l’appel du soir, Adrien Fontaine est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.
En juillet 1943, la plupart des détenus “politiques” français d’Auschwitz, essentiellement des “45000”, reçoivent l’autorisation d’écrire – en allemand et sous la censure – à leur famille et d’annoncer qu’ils peuvent recevoir des colis.
À la mi-août 1943, Adrien Fontaine est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11 – la prison du camp – pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.
Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.
Le 3 août 1944, Adrien Fontaine est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine” en préalable à un transfert.
Le 7 septembre 1944 , il est dans le petit groupe de trente “45000” transféré – dans un wagon de voyageurs ! – au KL [6] Gross-Rosen, dans la région de Wroclaw, où il reçoit le matricule 40996.
En février 1945, lors de l’évacuation de ce camp, il est parmi les dix-huit “45000” dirigés vers Hersbrück, Kommando du KL Flossenburg (matricule 84598).
Le 8 avril, avec les mêmes camarades, il se trouve dans une colonne de détenus évacués à marche forcée et qui arrive au KL Dachau le 24 avril. Le 29 avril 1945, le camp est libéré par l’avancée des l’armée américaine. Adrien Fontaine est rapatrié le 7 juin.
Il revient de déportation avec une santé fragile, édenté (il lui manque 13 dents), sourd des deux oreilles ; il sera pensionné à 100 % en 1962.
Notes :
[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.
[2] André Fontaine, né le 22 décembre 1907, et Émile Fontaine, né le 22 décembre 1909, tous deux à Bougtheroulde (Eure), fils d’Émile Fontaine et de Delphine Bouvier (existe-t-il un lien de parenté ?)
[3] Jules Cocagne, né le 2 mars 1892 à Villers-des-Bois (Jura), brigadier des douanes, ancien secrétaire de la cellule Grand-Quevilly extension, ex-Conseiller général de Grand-Couronne, « collaborateur immédiat » de Julien Vallée.
[4] Le “brûlot de Rouen” et la rafle d’octobre 1941 : L’arrestation massive de plusieurs dizaines (*) de militants politiques et syndicaux – ou soupçonnés tels – a suivi de peu le déraillement d’un train de matériel militaire allemand sur la ligne Rouen-Le Havre, dans le tunnel de Pavilly, à 1500 m de la gare de Malaunay, le 19 octobre 1941 ; ce sabotage étant l’un des objectifs visés par le “brûlot” de Rouen (groupe mobile de la résistance communiste). Néanmoins, les fiches d’otages des “45000” appréhendés dans cette période mentionnent que ces arrestations mettaient en application un ordre du Commandant de la région militaire “A”, daté du 14 octobre 1941. Ainsi, entre le 17 et le 25 octobre, il y eut le même type de rafles de “communistes” dans sept autres départements de la zone occupée. Il est probable que ces arrestations aient été ordonnées pour assurer la saisie de communistes destinés à être placés sur les listes d’otages de cette région militaire. En effet, tous les hommes appréhendés furent remis aux allemands qui les transférèrent à Compiègne entre le 19 et le 30 octobre 1941. Quarante-quatre des otages arrêtés ces jours-là dans le secteur de Rouen furent déportés dans le convoi du 6 juillet 1942. Beaucoup furent fusillés au titre de représailles dans les semaines qui suivirent.
(*) Cent cinquante selon la brochure 30 ans de luttes, éditée en 1964 par la fédération du Parti Communiste de Seine-Maritime.
[5] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp “C” est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transféré au camp de Drancy (Seine / Seine-Saint-Denis).
[6] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 358, 375 et 404.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Haute-Normandie (2000), citant : Témoignages Louis Eudier (45523) et de Lucien Ducastel (45491) – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen – Listes de transfert conservées par Johan Beckmann (45218) – Document du centre de recherche de la Croix-Rouge d’Arolsen.
Catherine Voranger, petite-fille de Louis Jouvin (“45697”), message (09-2012).
Archives départementales de Seine-Maritime (AD 76), site internet, archives en ligne : registre d’état civil de Cany-Barville, année 1901 (4E 06546), acte n° 84 (vue 46/52).
Archives départementales de Seine-Maritime, Rouen, site de l’Hôtel du Département : cabinet du préfet 1940-1946, enquêtes des commissariats de police, arrondissement du Havre (51 W 400) ; individus arrêtés par les autorités de Vichy ou par les autorités d’occupation, dossiers individuels de Dh à F (51 W 415), recherches conduites avec Catherine Voranger, petite-fille de Louis jouvin (“45697”).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 18-12-2020)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.