- En 1932…
© RATP/Archives définitives.
Élie, (Jean ?), Gaudefroy naît le 11 décembre 1892 à Paris 10e, à la maternité de l’hôpital Lariboisière, 2 rue Ambroise Paré, fils de Jules Gaudefroy, 33 ans, camionneur, et de Marie-Claire Hoffmann, 40 ans, son épouse, domiciliés au 29 rue du Maroc, à Paris 19e.
Pendant un temps, Élie Gaudefroy vit chez ses parents, qui habitent alors au 109, rue de Charonne (Paris 11e), et travaille comme maréchal-ferrant.
De la classe 1912, il est incorporé le 8 octobre 1913 comme canonnier de 2e classe au 46e régiment d’artillerie pour y effectuer son service militaire. Le 2 août 1914, la guerre le rattrape. Du 7 mars au 5 avril 1915, Élie Gaudefroy est soigné de la typhoïde à l’hôpital de Bar-le-Duc (Meuse), puis à l’hôpital de Sarlat (Dordogne) jusqu’à 22 avril et enfin pendant deux jours à celui de Brive (Corrèze). Il est dans un dépôt militaire jusqu’au 29 juillet, puis retourne “aux armées”. Du 30 janvier au 13 avril 1916, il est soigné pour érysipèle à l’hôpital de Châlons (Marne), puis à l’hôpital d’Oléron (Charente-Maritime) jusqu’au 22 juillet suivant. Il bénéficie ensuite d’une semaine de convalescence. Le 2 août, il rejoint un dépôt et retourne sur le front. Le 20 juin 1918, il est cité à l’ordre de son régiment : « s’est spontanément porté au secours de camarades blessés, malgré la violence du bombardement donnant ainsi un très bel exemple de calme et de courage » ; il reçoit la Croix de guerre. Il est “aux armées” jusqu’à l’armistice du 11 novembre. Le 24 juin 1919, il passe au 83e régiment d’artillerie lourde. Le 25 août suivant, il est démobilisé, titulaire d’un “certificat de bonne conduite”.
Le 17 avril 1920 à Paris 20e, Élie Gaudefroy se marie avec Berthe Rafflé, née le 12 avril 1891 à Paris 11e, fleuriste. Ils n’auront pas d’enfant.
En 1920, le couple habite au 10 ou au 11, rue de Buzenval à Paris 20e.
Pendant un temps, Élie Gaudefroy travaille comme biseauteur de glace (miroir). Le 16 avril 1927, il est élu trésorier-adjoint du Syndicat (unitaire) des ouvriers biseauteurs, tailleurs, polisseurs et argenteurs de glace. Mais cette profession perd ses emplois…
Le 6 novembre 1927, Élie Gaudefroy entre à la STCRP (Société des transports en commun de la région parisienne, réseau de surface intégré à la RATP après la Libération [1]), comme receveur d’autobus au dépôt des Lilas (recalé à l’examen d’aptitude de machiniste). Le 27 août 1928, il est muté au dépôt de Lagny.
- Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er.
Tribunal correctionnel, un des porches du rez-de-chaussée.
(montage photographique)
Le 2 décembre, les six inculpés comparaissent devant la 12e chambre du tribunal correctionnel de la Seine. Élie Gaudefroy est condamné à quatre mois d’emprisonnement. Lui et son épouse se pourvoient en appel auprès du procureur de la République. Le 14 décembre, Élie Gaudefroy est écroué à la Maison d’arrêt de Fresnes (Seine / Val-de-Marne).
Le 13 janvier 1941, à l’expiration de sa peine, il n’est pas libéré : le jour même, le préfet de police signe l’arrêté ordonnant son internement administratif. Sous ce statut, il conduit à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e).
Le 17 janvier, Élie Gaudefroy fait partie des 24 militants communistes conduits au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé en octobre 1940 dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt.
Le 25 janvier 1941, le préfet de police de Paris « fait connaître » au président du Conseil d’administration de la STCRP qu’il a « fait application du décret du 18-09-1939 à » Élie Gaudefroy.
Le 3 février, celui-ci est extrait d’Aincourt par des agents de la préfecture de police et ramené à la Santé pour sa comparution en appel (3e division, cellule 51 bis). Le 26 février, il est ramené au camp.
Dans la même période, alors que les autorités françaises envisagent le transfert de 400 détenus d’Aincourt vers « un camp stationné en Afrique du Nord », le docteur du centre dresse trois listes d’internés inaptes. Élie Gaudefroy, 49 ans, figure sur celle des internés « non susceptibles absolus » en raison d’une pleurésie pulmonaire, probablement avec des traces de tuberculose (« BK+ »).
Le 4 mars 1941, de docteur Étienne, médecin du camp, remet au commandant qui le dirige un compte-rendu de l’état sanitaire général du CSS dans lequel il signale, entre autres, plusieurs internés atteints de « tuberculose pulmonaire radiologiquement confirmée (radioscopie, radiographie, examen des crachats). Leur état s’est aggravé malgré un repos total à l’infirmerie, et ils ne pourront longtemps supporter l’internement ».
Le 29 août 1941, le directeur du camp d’Aincourt transmet, « en urgence », au préfet de Seine-et-Oise une lettre destinée à Élie Gaudefroy et interceptée par le service de censure du camp : « … qu’on le veuille ou non, c’est un crime de plus qu’ont sur la conscience tous ceux qui ont pour noms : traitres, renégats, collaborationnistes ou aspirants Gauleiters et fascistes de tous poils. C’est, au demeurant, un compte de plus à régler à l’actif de tous ces anti-français et, quoi qu’ils fassent pour en retarder l’heure, ils ne sauront y échapper à cette justice du peuple qui sera implacable […] L’aube n’est pas tellement lointaine où toutes ses espérances se concrétiseront en une réalité vivante, l’heure inéluctable de la véritable justice sonnera bientôt à l’horloge de l’Histoire […] C’est la lutte finale qui commence […] l’étoile de la liberté brillera sur la planète soviétique… » ; lettre envoyée par Gaston Desjardins (?), domicilié 173, rue des Pyrénées à Paris.
Le 6 septembre 1941, Élie Gaudefroy est parmi les 150 détenus d’Aincourt (dont 106 de la Seine) transférés au camp français (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne) pour l’ouverture de celui-ci.
Le 22 mai 1942, Élie Gaudefroy fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduit au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Élie Gaudefroy est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45575 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée et identifiée [2]).
- Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.
Le 13 juillet, après l’appel du soir – l’ensemble des “45000” ayant passé cinq jours à Birkenau -, une moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I). Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Élie Gaudefroy.Il meurt à Auschwitz le 16 septembre 1942, d’après le registre d’appel et le registre des décès tenus par l’administration SS du camp (Sterbebücher).
Il est homologué comme “Déporté politique”.
Son nom est inscrit sur la plaque portant l’hommage du « personnel du dépôt de Lagny aux agents des dépôts (Lagny, Saint-Mandé, Bastille) morts pour la France » inaugurée le 25 août 1946 au centre bus Lagny ; y figure également Victor Jardin, de Maisons-Alfort.
Notes :
[1] STCRP-CMP-RATP : Le 1er janvier 1942, le Conseil des Transports Parisiens, émanation du gouvernement de Vichy, impose la gestion par la Compagnie du chemin de fer métropolitain de Paris (CMP) du réseau de surface – les bus – précédemment exploité par la Société des transports en commun de la région parisienne (STCRP), fusion de fait d’entreprises privées qui prélude à la gestion des transports parisiens par un exploitant unique.
La loi du 21 mars 1948 crée l’Office Régional des Transports Parisiens, nouvelle autorité de tutelle du réseau, et la Régie Autonome des Transports Parisiens (RATP), établissement public à caractère industriel et commercial, qui se voit chargée de l’exploitation des réseaux de transport publics souterrains et de surface de Paris et de sa banlieue. (source Wikipedia)
[2] Sa photographie d’immatriculation à Auschwitz a été reconnue (son nom orthographié « Godefroy ») par des rescapés lors de la séance d’identification organisée à l’Amicale d’Auschwitz le 10 avril 1948 (bulletin Après Auschwitz, n°21 de mai-juin 1948).
Sources :
Son nom (orthographié « GANDEFROY Elz ») et son matricule figurent sur la Liste officielle n°3 des décédés des camps de concentration d’après les archives de Pologne, éditée le 26 septembre 1946 par le ministère des anciens combattants et victimes de guerre, page 60.
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 372 et 411.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Liste des déportés présents au Revier (“infirmerie”) d’Auschwitz.
Archives de Paris, site internet, archives en ligne : extrait du registre des naissances du 10e arrondissement à la date du 14-12-1892 (V4E 6344), acte n° 6187 (vue 13/31) ; extrait du registre des décès du 20e arrondissement à la date du 13-05-1932 (V4E 6344), Rafflé, femme Gaudefroy, acte n° 2016 (vue 3/31) ; extrait du registre des mariages du 20e arrondissement à la date du 18-12-1937 (20M 405), acte n° 2022 (vue 14/24).
Archives de Paris : archives du tribunal correctionnel de la Seine, rôle du greffe du 15 novembre 1940 au 20 janvier 1941 (D1u6-5851) ; registre des matricules militaires, recrutement de Paris, classe 1912, 4e bureau, volume 1001-1500 (D4R1 1697), Gaudefroy Élie, matricule 1432.
Archives de la RATP, Paris : dossier individuel.
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris) : cartons “occupation allemande”, communistes fonctionnaires internés… (BA 2114) ; camps d’internement… (BA 2374) ; liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397) ; registre de main-courante du commissariat de police du quartier du Père-Lachaise de décembre 1938 à décembre 1940 (C B 79 52), acte n° 989 ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 1004-47652).
Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt (1W71, 1W76, 1w76).
Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) : liste XLI-42, n° 84.
Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75)
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 : relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 372, (21291/1942), « Gondefroy ».
Noël Gérôme, Le Deuil en hommage, monuments et plaques commémoratives de la RATP, Creaphis 1995, pages 88-89.
Jean-Marie Dubois, Malka Marcovich, Les bus de la honte, éditions Tallandier, 2016, pages 144, 145, 146 et 189.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 19-02-2019)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.