- © Collection Christian Guïer.
Jean, Marie (ou Jean-Marie, mais il signe « Jean »), Marcel, Cordier naît le 12 juin 1920 à l’hôpital Cochin, 123 boulevard de Port-Royal à Paris 14e, fils de Louise Marguerite Octavie Cordier, 22 ans, née en 1897 à Domblain (Haute-Marne) ménagère, domiciliée rue de Villeneuve à Alfortville (Seine / Val-de-Marne). Le 29 janvier 1920 (!?!), l’enfant est légitimé par le mariage de sa mère avec Pierre Marie Charles Guïer (17 ans !), célébré à Montreuil-sur-Blaise (Haute-Marne) ; Pierre Guier est mouleur en fonte à la Société de Fonderie locale.
En 1921, la famille est domiciliée à Montreuil-sur-Blaise, Rue Principale, côté gauche, et intègre Jean-Baptiste Guier, le père de Pierre, 64 ans, manœuvre dans la même usine.
En 1925, naît la sœur de Jean : Jeannine, Rolande, Renée.
Le père de famille sera décédé au moment de son mariage de Jean.
Le 7 octobre 1940, à Crouy (Aisne – 02), Jean Guïer se marie avec Odette Moinet, née le 23 juillet 1921 dans cette commune. Il auront un fils : Jean-Pierre, Lucien, né le 5 février 1941, à Crouy.
Au moment de l’arrestation du chef de famille, celle-ci est domiciliée au 37, rue des Cordeliers à Soissons (02).
Jean Guïer est chauffeur (dans quelle entreprise ?).
Le 31 août 1941, le commissaire de police de la ville de Soissons écrit au préfet de l’Aisne, à Laon, pour lui transmettre « la liste de communistes notoires qui seront pris comme otages, par la Kreiskommandantur de Soissons, au cas où des incidents surviendraient dans la Ville ». Jean Guïer figure en première position parmi les neuf hommes désignés, avec trois autres futurs “45000” : Léon Busarello, Charles Del-Nero et Émile Maillard.
Le 19 septembre, le commissaire de Soissons transmet au préfet une liste de 240 « individus ayant appartenu comme militants ou sympathisants à l’ex-parti communiste de Soissons et de la région. Les plus mauvais sont marqués DANGEREUX », ce qui est le cas de Jean Guïer.
Le lendemain, 20 septembre, le commissaire principal des Renseignements généraux de Laon transmet au préfet une liste des « communistes notoires » des plusieurs localités du département « qui semblent continuer leurs agissements anti-nationaux ». Jean Guïer est parmi les dix-neuf hommes désignés pour Soissons et sa région.
Dans la nuit du 29 au 30 septembre, suite à l’attaque d’une sentinelle allemande de garde à la porte de la Standortkommandantur de Courmelles survenue au cours de la journée, Jean Guïer est arrêté à son domicile par la Feldgendarmerie, pris comme otage en représailles avec 17 autres militants communistes du secteur dont Léon Durville, qui sera fusillé le 21 février suivant, Gabriel Duponchelle, de Villeneuve-Saint-Germain, serrurier, Henry Malheurty, gérant des bains municipaux de Soissons, Charles Del Nero et Émile Maillard ; une arme a été trouvée chez un militant communiste de Courmelles, Gaston Pinot [1]. Les 18 hommes sont d’abord conduits à la caserne Charpentier de Soissons.
Tous sont rapidement internés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Enregistré sous le matricule n° 1601, Jean Guïer est assigné pendant un temps au bâtiment A6, chambrée 10.
l peut envoyer à sa famille des lettres et des cartes-lettres (Kriegsgefangenenpost – Postkarte) fournies par l’administration militaire du camp ; par exemple à sa mère, habitant au 6, rue Saint-Gaudin, pour laquelle il est « Jeannot ». Dans un de ses premiers courriers (10 octobre), il demande notamment du tabac. Grâce aux colis reçus (un d’eux contient un poulet cuit), il peut faire un bon Noël avec ses camarades.
En janvier, il reçoit la visite de son épouse, de son fils et de sa mère, qu’il peut embrasser.
Entre fin avril et fin juin 1942, Jean Guïer est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de marchandises de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons à bestiaux. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Jean Guïer est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45638 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Jean Guïer est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I.
Le 8 janvier 1942, dans la chambre (Stube) n°2 du Revier de Birkenau (Block n° 8 du secteur BIb), Jean Guïer reçoit deux médicaments non identifiés (illisible). Le lendemain, il reçoit deux comprimés d’aspirine.
On ignore la date de sa mort à Auschwitz-Birkenau [2]. Il a vingt-deux ans.
Le 5 avril 1946, sur un papier à en-tête de la FNDIRP, André Faudry, de Saint-Maur-des-Fossés, certifie sa disparition à Auschwitz « fin 1942 ».
La mention “Mort pour la France” est inscrite en marge de son acte de naissance.
Le 31 juillet 1948, à Paris 18e, Odette Guïer se remarie avec Maurice B.
Le 27 novembre 1961, le ministère des Anciens combattants et victimes de Guerre décide de lui attribuer le titre de Déporté politique. Sa veuve reçoit en son nom la carte n° 1175.14672, au titre de tutrice de leur fils (mineur).
Le nom de Jean Guïer est inscrit sur le monument aux morts de Soissons, près de la cathédrale, œuvre du sculpteur Raoul Lamourdedieu offerte à sa ville natale par Hélène Pétrot : « A Soissons immortelle – a ses enfants tombés glorieusement pour la Patrie ».
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 21-06-1994).
Notes :
[1] Gaston Pinot : le 9 octobre 1941, un avis (Bekanntmachung – texte noir sur fond jaune) de l’armée d’occupation informe la population du Soissonnais que ce cantonnier de Courmelles a été fusillé à Laon (02) pour détention d’armes. Après la Libération, le Conseil municipal de Courmelles donne son nom à la place de l’Hôtel de Ville.
[2] Date de décès inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. S’agissant de Jean Guïer, c’est le 15 novembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 360 et 407.
Cl. Cardon-Hamet, Mille otages pour Auschwitz, Le convoi du 6 juillet 1942 dit des “45000”, éditions Graphein, Paris nov. 2000, page 521.
Discussion avec Bertrand Guïer, son petit-fils (rencontre à Fargniers le 1-03-2014) ; envoi de documents (04-2014).
Archives départementales de l’Aisne (AD 02), Laon, dossiers du commissariat régional aux Renseignements généraux, surveillance des communistes (cote SC11276).
Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), doc. XLIV-25 (lettre de la Feldkommandantur 527 de Soissons).
Site Mémorial GenWeb, Soissons-02, relevé de Bernard Roucoulet (2000-2002).
Alain Nice, La guerre des partisans, Histoire des Francs-tireurs partisans français, Histoire de la Résistance ouvrière et populaire du département de l’Aisne, édition à compte d’auteur, janvier 2012, pages 34-36, 39-42 (commande à adresser à Alain NICE – 9 rue de la Tour du Pin – 02250 BOSMONT-SERRE).
Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen : dossier de Jean Guïer (21 P 460 011), recherches de Ginette Petiot (message 01-2014).
Archives du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau (APMAB), Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; copies des pages 86 et 87 d’un registre de délivrance de médicaments aux détenus du Revier de Birkenau.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 26-01-2024)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.