- Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.
Maurice, Édouard, Descaves naît le 18 septembre 1900 dans le village de Montchauvet (Seine-et-Oise / Yvelines), fils de Maria Descaves, 19 ans, elle-même fille d’un charron ; au recensement de 1901, elle vit avec son enfant chez son père, rue de Bretagne. Le 27 juin 1903 à Montchauvet, la jeune femme se marie avec Léopold Guy, ouvrier agricole de 25 ans né dans le village voisin de Dammartin-en-Serve. Au recensement de 1906, ils vivent ensemble dans la rue de Dreux à Montchauvet : deux autres enfants sont nés, Henri en 1903 et Ida en 1905, mais Maurice est encore dénommé Descaves. Au recensement de 1911, il a pris le nom de Guy. Une petite fille est née en 1908 : Odette..
Maurice Guy acquiert une formation de mécanicien et vient habiter au 72, avenue Jean-Jaurès à Puteaux (Seine / Hauts-de-Seine) [1].
Du bureau de recrutement de Versailles, il est appelé à accomplir son service militaire le 6 octobre 1920 comme soldat de 2e classe au 44e régiment d’infanterie, arrivant au corps le lendemain. Le 24 mai 1921, il passe au 27e régiment de tirailleurs algériens. Il participe alors à la campagne de Syrie. Le 18 juillet 1922, il passe en subsistance au 46e RI. Le 26 septembre suivant, il est renvoyé dans ses foyers et se retire à Montchauvet.
Le 30 avril 1923, il loge à l’hôtel Magner, au 25 rue du Moulin-de-la-Tour à Gennevilliers (Seine / Hauts-de-Seine) [1].
Il habite bientôt chez la mère de sa compagne, au 15, avenue Chaudon à Gennevilliers. Veuve, celle-ci est établie marchande de vins, exploitant un débit de boissons.
Le 1er mars 1924 à Gennevilliers, Maurice Guy se marie avec Suzanne Truffy. Ils auront un fils, James, né le 13 août 1929.
À une date restant à préciser, Maurice Guy adhère au sous-rayon de Gennevilliers de la Fédération de la région parisienne du Parti communiste. Il est également membre de la section française du Secours rouge international.
Le 7 mars 1926, Maurice Guy est présenté aux élections municipales complémentaires de Gennevilliers sur la liste du Bloc Ouvrier et Paysan, mais n’est pas élu.
Ajusteur-outilleur de profession, il est responsable du Syndicat des Métaux CGT de Gennevilliers. Mais il est licencié après avoir dirigé plusieurs grèves.
Le 10 octobre 1929, Maurice Guy obtient le certificat de capacité de chauffeur de taxi. Il adhère alors à la Chambre syndicale des Cochers-chauffeurs de la Seine.
Le 14 juillet 1926, sur l’avenue des Champs-Élysées, avec deux camarades, il siffle des troupes qui y défilent. Ils sont interpellés par des gardiens de la paix, mais un de ses compagnons frappe un agent qui l’appréhendait. Après un passage par le commissariat de police du quartier des Champs-Élysées, ils sont conduits au dépôt de la préfecture de police pour rébellion et voies de fait, puis relaxés le lendemain. Cependant, l’affaire est alors confiée à un juge du tribunal correctionnel de la Seine. Le 29 octobre suivant, la 11e chambre condamne Maurice Guy à 4 mois d’emprisonnement avec sursis et 100 francs d’amende pour violence à agents.
En 1931, il est invité à Moscou par le gouvernement de l’URSS afin d’y assister aux fêtes du 1er mai avec d’autres militants, voyage connu de la Sûreté générale en France. Ayant obtenu son passeport le 9 avril, il part le 18 avril pour un séjour d’un mois.
Maurice Guy est élu conseiller municipal de Gennevilliers lors du scrutin de 1934, réélu le 5 mai 1935 et anime les Œuvres sociales à la mairie.
À partir du 15 mai 1938, il habite au 70, rue du Ménil à Asnières-sur-Seine [1] (Seine / Hauts-de-Seine), où il est concierge de l’usine Millars.
Le 29 septembre 1939, il est rappelé au centre de mobilisation d’infanterie n° 213. Le 20 octobre il est classé inapte infanterie mais apte BOA pour « pachypleurite apicale avec adhérence axillaire et basale ». Le 7 novembre, la commission de Versailles le classe réformé temporaire n° 2 pour « état pulmonaire suspect à la radio, léger voile du sommet droit et symphyse du sinus costo-diaphragmatique ».
Le 9 février 1940, il est déchu de ses mandats municipaux « pour appartenance au Parti communiste ».
- Le Populaire, quotidien édité par la SFIO,
édition du 17 février 1940.
Archives de la préfecture de police, Paris.
Sous l’occupation, un rapport du commissaire de police de la circonscription d’Asnières le présente comme un « agent actif de la propagande clandestine ».
Le 5 octobre 1940, Maurice Guy est arrêté à son domicile lors de la grande vague d’arrestations ciblées organisée dans les départements de la Seine et de la Seine-et-Oise par les préfets du gouvernement de Pétain à l’encontre des responsables communistes de la région parisienne avant guerre (élus, cadres du PC et de la CGT) ; action menée avec l’accord de l’occupant. Après avoir été regroupés en différents lieux, 182 militants de la Seine sont conduits le jour-même en internement administratif au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé à cette occasion dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt.
- Le 4 décembre, Maurice Guy fait partie d’un groupe d’une centaine d’internés « choisis parmi les plus dangereux » transférés, par mesure préventive ou disciplinaire (?), à la Maison centrale de Fontevraud-L’Abbaye [2], près de Saumur (Maine-et-Loire) ; leur transport s’effectue en car et sous escorte. Les détenus sont enfermés dans une grande salle commune de la Centrale. Ils apprennent que 70 communistes purgent une peine dans le secteur carcéral, parmi lesquels une vingtaine de jeunes.
À la fin décembre probablement, le maire de Mulcent, petit village voisin de Montchauvet, écrit à Gaston Bergery, ambassadeur de France (précédemment à Moscou, bientôt à Ankara), afin que celui-ci intercède en faveur de la libération de Maurice Guy. Le 3 janvier 1942, le haut fonctionnaire transmet cette requête au préfet de Seine-et-Oise, qui lui répond quelques jours plus tard que l’interné ne se trouve plus dans son département et que la décision d’internement est venue du préfet de police (à Paris) : une intervention n’est donc pas de son ressort.
Le 20 janvier 1941, sans être informés de leur destination, la même centaine d’internés de Fontevraud est conduite à la gare de Saumur où les attentent deux wagons de voyageurs à destination de Paris-Austerlitz. À leur arrivée, ils sont conduits à la gare de l’Est. Ils y rejoignent 69 autres militants communistes en attente de transfert.
Ce nouveau convoi les amène à la gare de Clairvaux (Aube) d’où ils sont conduits – par rotation de vingt détenus dans un unique fourgon cellulaire – à la Maison centrale de Clairvaux.
Une fois arrivés, la direction les contraint à échanger leurs vêtements civils contre la tenue carcérale, dont un tour de cou bleu (“cravate”) et un béret. Ceux qui refusent sont enfermés une nuit en cellule (“mitard”), tandis que la plupart sont assignés à des dortoirs. Rejoints par d’autres, ils sont bientôt 300 internés politiques.
Le 14 mai, Maurice Guy fait partie – avec Joseph Biffé – des 90 détenus transférés au camp de Choisel à Châteaubriant (Loire-Atlantique), parmi lesquels plusieurs seront fusillés le 22 octobre : Guy Môquet, Charles Michels, Jean Poulmarch, Jean-Pierre Timbault, Maurice Ténine, Auguste Pioline… Selon un courrier officiel, ce convoi est « uniquement composé des principaux meneurs considérés comme dangereux à la maison centrale ». Maurice Guy y est enregistré sous le matricule 638.
Le 18 février 1942, l’ambassadeur Gaston Bergery écrit finalement au préfet de police (« Mon Cher Préfet, »), lui disant avoir reçu la visite du maire de Mulcent, qui « connaît admirablement toutes les communes avoisinantes » et qui lui a demandé la libération de Maurice Guy.
A une date restant à préciser, celui-ci est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, Maurice Guy est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet, Maurice Guy est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45647 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Maurice Guy.Il meurt à Auschwitz le 18 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) ; alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à l’intérieur du camp au cours de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur les registres de décès en deux jours (probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [3]).
Le 20 octobre 1944, ignorant son décès, le Comité local de Libération de Gennevilliers le nomme membre de la Délégation spéciale (conseil municipal provisoire). Il est homologué comme “Déporté politique”.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès [4] (J.O. du 16-07-1994).
Son nom est inscrit sur la plaque commémorative dédiée aux Conseillers municipaux morts pour la France (hall de la Mairie de Gennevilliers).
Un stade de Gennevilliers rappelle sa mémoire.
Une brochure publiée après la Libération le décrit « simple, vif, plein d’entrain, militant tout au service de la classe ouvrière et de son Parti ».
Notes :
[1] Gennevilliers et Asnières-sur-Seine : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes industrielles de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] Fontevraud-L’Abbaye, souvent orthographié Fontevrault-L’Abbaye au 19e siècle.
[3] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.
[4] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant Maurice Guy, c’est le 31 décembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.
Sources :
Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, tome 31, page 172.
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 150 et 153, 356, 380 et 418.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” des Hauts-de-Seine nord (2005), citant : Archives de Gennevilliers (liste de déportés, noms de rues, biographie) – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (fichier national).
Archives départementales des Yvelines et de l’ancien département de Seine-et-Oise, site internet : archives en ligne : recensement de Montchauvet en 1901 (vue 10/14-15) ; registres des matricules militaires, bureau de recrutement de Versailles, classe 1920 (1R/RM 618), n° 1014 (vue 15/534).
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “Occupation allemande”, « militants communistes internés adm. par la PP à la MC de Clairvaux et transférés le 14 mai 1941 au CSS de Chateaubriant (L-I.) » (BA 2374) ; carton “PC” n°VII, A.S. du 20 décembre 1940 sur le CSS d’Aincourt ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 377-3356).
Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt, dossier individuel (1W121).
Louis Poulhès, Les camps d’internements de Châteaubriant, Choisel et Moisdon-la-Rivière, 1940-1945, éditions Atlande, Neuilly, septembre 1923, pages 68-70 et 213-215, liste finale, matricule n° 638.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 415 (31439/1942).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 8-03-2024)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.