Yves, Noël, Jahan naît le 30 décembre 1908 à Mont-de-Marsan (Landes), fils de François Jahan, inspecteur des écoles primaires, et de Marie-Louise Delépine, son épouse.
Yves Jahan fait ses premières études au lycée de Mont-de-Marsan et ses études supérieures à la Sorbonne à Paris (licence ès Lettres, diplôme d’Études supérieures). Il est alors pensionnaire à la Cité Universitaire, professant des idées anarchistes, selon la police.
En 1931, Yves Jahan enseigne comme professeur de Lettres au lycée du Havre (Seine-Inférieure / Seine-Maritime). L’année suivante, il est nommé comme titulaire au collège de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais).
En 1936, il est nommé au collège Augustin Thierry de Blois (Loir-et-Cher). Il demeure alors avenue de Châteaudun.
- Blois. Les quais de la Loire et le collège (à droite).
Carte postale des années 1900. Coll. Mémoire Vive.
L’inspecteur d’Académie du Loir-et-Cher le décrit (en 1947) comme « très cultivé, pédagogue né, adoré de ses élèves, d’une valeur exceptionnelle. Il avait la meilleure influence sur les enfants, sans jamais prononcer de punition. ».
Secrétaire de la section communiste de Blois, Yves Jahan est désigné comme responsable du Parti communiste pour l’arrondissement de Blois. En octobre 1937, il est le candidat (sans succès) de son parti au Conseil général (canton de Blois-Ouest ).
En 1938, il devient le secrétaire départemental du Syndicat des professeurs de collège. La même année, le 30 novembre, il est l’un des quatre professeurs de collège du département (sur 139) qui répondent à l’ordre de grève lancé par la CGT pour défendre les conquêtes sociales du Front populaire.
Son activité politique se traduit notamment par des prises de parole lors d’un meeting des Comités antifascistes du Loir-et-Cher en décembre 1937, et lors d’une réunion du mouvement « Paix et Liberté » mettant en cause la responsabilité de l’Angleterre dans la politique de non-intervention en Espagne (le 24 janvier 1938).
Yves Jahan est marié et père de deux filles.
À la dissolution du Parti communiste, Yves Jahan dépose à à la préfecture du Loir-et-Cher une déclaration écrite par laquelle il affirme rompre toute attache avec le Parti dissous. Après cette date et malgré des filatures effectuées lors de fréquents voyages à Paris, la police ne peut rien retenir contre lui.
En avril 1941, en raison de ses activités politiques antérieures, le ministère de l’Éducation nationale déplace Yves Jahan au collège de Compiègne (Oise) où il reste l’objet d’une surveillance étroite par la police française, le préfet du Loir-et-Cher alertant celui de l’Oise de cette mutation dès le 10 avril, et le commissaire spécial de Blois prévenant son homologue de Beauvais le 12 avril.
Après son arrestation, la police le déclare domicilié au 71, rue du Cardinal-Lemoine à Paris 5e (adresse de son épouse), mais il dispose peut-être d’un logement de fonction au collège de Compiègne.
Le 9 juillet 1941, la police allemande l’arrête sur le lieu de sa nouvelle affectation, au sortir de son cours. Désigné comme otage sur une liste du Loir-et-Cher, l’ordre d’arrestation l’a suivi jusque-là depuis la Kommandantur de Blois. Il est conduit à pied au camp de Royallieu, tout proche, où il est inscrit sous le matricule 1299.
Dans ce camp de détention allemande, il donne des conférences : « La vie des mots », « Le rêve », « Le rire », « Le siège de Trois n’aura pas lieu [?] », « La naissance des mers », « L’homme de Cro-Magnon à Broadway [?] »… « Érudit, plein d’humour, devant des auditoires chaque jour plus nombreux », il enseigne l’Histoire et l’Art, le latin et la psychologie (dans l’horaire des cours reproduit ci-dessous, son nom est noté « JAHAU »)
Pendant une période, il est assigné au bâtiment A4 dont le chef est Georges Varenne, instituteur de l’Yonne (futur “45000”). Des réunions du Comité clandestin communiste s’y tiennent sous le prétexte de parties de belote.
Selon Louis Eudier, Yves Jahan gagne un concours d’échecs « où les pièces étaient des internés et le jeu d’échecs (aménagé) sur la place d’appel avec des couvertures ».
Le 20 février 1942, le chef de la Feldkommandantur 580 à Amiens (Somme) – ayant autorité sur les départements de la Somme et de l’Oise – insiste auprès du préfet de l’Oise afin que la fiche de chaque interné du Frontstalag 122 pour activité communiste demandées à l’administration préfectorale indique « son activité politique antérieure (très détaillée si possible), ainsi que les raisons qui militent pour ou contre sa prompte libération du camp d’internement ».
Le 10 mars, le préfet de l’Oise écrit au Ministre secrétaire d’État à l’Intérieur pour lui transmettre ses inquiétudes quant à cette demande : « Étant donné que parmi les internés du camp de Compiègne une vingtaine déjà ont été fusillés en représailles d’attentats commis contre les membres de l’armée d’occupation, il est à craindre que ces autorités aient l’intention de se servir de mon avis pour désigner de nouveaux otages parmi ceux pour lesquels j’aurais émis un avis défavorable à la libération. Me référant au procès-verbal de la conférence des préfets régionaux du 4 février 1942, qui précise “qu’en aucun cas les autorités françaises ne doivent, à la demande des autorités allemandes, procéder à des désignations d’otages”, j’ai l’honneur de vous prier de vouloir bien me donner vos directives sur la suite qu’il convient de réserver à la demande dont je suis saisi… »
Le 13 avril, le commissaire principal aux renseignements généraux de Beauvais transmet au préfet de l’Oise soixante-six notices individuelles concernant des individus internés au Frontstalag 122 à Compiègne, dont dix-neuf futurs “45000”. Sur la notice d’Yves Jahan – à la rubrique « Renseignements divers » -, est rappelé son passé politique : « Ex-chef de la cellule communiste de Blois (Loir-et-Cher) et secrétaire régional du Parti. À milité très activement au sein du Parti ».
Le 23 avril, Madame Jahan écrit au préfet de l’Oise pour lui demander d’intervenir auprès des « autorités allemandes » afin d’obtenir la libération de son mari. Le 11 mai, elle réitère cette demande auprès de l’Inspecteur d’Académie de l’Oise.
Le 24 avril, Paul Vacquier transmet à la Feldkommandantur 580 les notices individuelles concernant des « personnes internées au camp de Compiègne, figurant sur la liste [qui lui a été] communiquée et domiciliées dans le département de l’Oise » qui mentionnent uniquement « des renseignements concernant l’état civil, la parenté et la situation matérielle ».
Enfin, le 29 juin, le préfet de l’Oise écrit à la Feldkommandantur 580 pour essayer d’obtenir la sortie du Frontstalag 122 de soixante-quatre ressortissants de son département – dont Yves Jahan – au motif « qu’aucun fait matériel d’activité communiste n’a été relevé à leur encontre depuis l’arrivée des forces allemandes dans la région », envisageant la possibilité d’interner certains d’entre eux « dans un camp de concentration français ». Sa démarche ne reçoit pas de réponse.
Le mal est probablement déjà fait : quand elles ont procédé à des arrestations dans l’Oise entre juillet et septembre 1941, les forces d’occupation ne disposaient-elles pas déjà d’informations et d’appréciations transmises par certains services de la police française ? N’en ont-elles pas obtenu d’autres par la suite ? Le préfet craignait la fusillade. Ce sera la déportation. Entre fin avril et fin juin 1942, Yves Jahan est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Yves Jahan est enregistré à Auschwitz sous le numéro 45682. Sur sa photo d’immatriculation, il ne porte pas ses lunettes alors que d’autres détenus les ont sur le nez : a-t-il perdu les siennes lors de l’arrivée ?
- Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Yves Jahan se déclare alors sans religion (Glaubenslos) et professeur d’éducation physique. Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Yves Jahan est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I.
Tous les rescapés ont parlé avec admiration de cet homme d’une rare qualité.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 16-07-1994).
Notes :
[1] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. S’agissant d’Yves Jahan, c’est le 20 octobre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.
[2] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.
Sources :
Notice de P. Foulet, Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, tome 31, page 130.
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 92, 127 et 128, 150 et 153, 371 et 408.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” des Hauts-de-Seine nord (2005), citant : Texte d’une conférence donnée à Compiègne, annotée par Olivier Souef : Poésie pas morte - Livre d’Or de l’Enseignement public du Loir-et-Cher – Témoignages de rescapés du convoi : Roger Abada, Auguste Monjauvis, Henri Peiffer, Maurice Rideau.
Horaires des cours de Compiègne (semaine du lundi 16 mars 1942), notés par Angel Martin.
Louis Eudier (45523), Notre combat de classe et de patriotes, 1934-1945, au Havre, sans date (1977 ?), pages 85 et 86.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 493 (31616/1942).
Roger Arnould, article paru dans le journal de la FNDIRP, Le Patriote Résistant, n° 510, avril 1982.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 9-12-2023)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.