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Collection ARMREL (voir sources).
Droits réservés.

Robert, Germain, Jarry naît le 21 août 1920 au Mans (Sarthe), fils de Robert, Marcel, Jarry, 24 ans, maçon, et de Germaine Dessomes ou Dessommes, son épouse

Appelé à l’activité militaire par anticipation, son père avait rejoint le 113e régiment d’infanterie le 15 décembre 1914. Le 13 juillet 1915, à la Haute-Chevauchée (Meuse), il avait été fait prisonnier de guerre et a été interné à Javichan (?). Rapatrié le 21 janvier 1919, il était passé au 117e régiment d’infanterie. Mis en congé illimité de démobilisation le 15 septembre suivant, il s’était retiré chez ses parents au 124 rue Denfert-Rochereau. Mais, dès le 5  mai 1920, la commission de réforme du Mans l’a réformé temporairement pour « réduction acuité visuelle des deux yeux à 3/10e, leucomes multiples, accidents consécutifs à une kératite double ». En mars 1924, il sera réformé définitivement pour incurabilité, pension d’invalidité à 100 %, « papilles décolorées, vision œil droit = 1/10e, vison œil gauche1/20e ».

En septembre 1929, la famille est domiciliée rue de Ségré au Mans.

Fin 1931, ils viennent habiter au 103, rue de Bellevue à Boulogne-Billancourt [1] (Seine / Hauts-de-Seine – 92).

Pendant un temps, Robert Jarry fils habite chez ses parents.

Le 11 octobre 1937, âgé de 17 ans, il commence à travailler comme ajusteur à l’usine d’aviation SNCASO, quai Paul-Doumer à Courbevoie. Il suit parallèlement des cours du soir à l’École des Arts et Métiers.

La police française considère qu’il a – pendant un temps – été sympathisant du Parti communiste à Boulogne-Billancourt, en raison de certaines fréquentations d’avant-guerre.

Le 24 mars 1940, Robert Jarry se met en disponibilité et s’engage pour la durée de la guerre au titre de l’Armée de l’Air. Démobilisé le 14 septembre suivant, il part retrouver ses parents qui se sont réfugiés à la campagne, dans une maison qu’ils possèdent au Mage par Châteauneuf-en-Thymerais (Eure-et-Loir).

Il prend alors du travail à Chartres (Eure-et-Loir), dans plusieurs établissements industriels ; changeant fréquemment de patron, car, avec quelques camarades, il a formé un petit groupe de sabotage. Robert Jarry est un patriote : il ne fait partie d’aucune organisation politique, mais écoute ”Radio-Londres”.
Robert Jarry est un patriote : il ne fait partie d’aucune organisation politique, mais écoute ”Radio-Londres”.

Cependant, la police française considère qu’il a – pendant un temps – été sympathisant du Parti communiste.

Recherché par la Kommandantur, Robert Jarry quitte le secteur et emménage à Boulogne-Billancourt. À partir du 1er janvier 1941, il est locataire d’une chambre à son ancienne adresse, qu’il n’occupe que très rarement. Pendant un temps, il travaille au Matériel électronique, société de Boulogne-Billancourt.

Le 18 avril 1941, le préfet de police interroge son service des Renseignements généraux sur Robert Jarry, qui « travaille actuellement sur les chantiers de l’Aviation à Chartres et susceptible de s’y livrer à la propagande communiste ». Le 25 septembre 1941, en réponse à un courrier du ministère de l’Intérieur du gouvernement de collaboration datée du 24 juin « demandant quelles mesures avaient été prises dans le département contre les communistes français et étrangers par les autorités d’occupation », le commissaire spécial de Chartres transmet au préfet d’Eure-et-Loir « la liste complète des communistes arrêtés par les autorités allemandes » à cette date – soit trente-trois hommes – sur laquelle est inscrit Robert Jarry.

Le 29 septembre, celui-ci entre comme ajusteur aux Établissements Farman, quai de Boulogne, à Boulogne-Billancourt.

Le 27 octobre, le préfet d’Eure-et-Loir précise au préfet délégué du ministère de l’Intérieur dans les territoires occupés que les six hommes inculpés dans l’affaire Berton sont les seules personnes de son département arrêtés par la police française pour activité communiste. Dans un brouillon de cette lettre, la mention que « les éléments suspects au point de vue politique ou national ont été arrêtés préventivement par les soins des autorités d’occupation » est biffée. L’inscription de Robert Jarry sur la liste du 25 septembre résulte-t-elle d’une erreur administrative ou s’agit-il d’un homonyme (à vérifier…) ?

De son côté, la police parisienne note qu’après la dissolution du Parti communiste, le 26 septembre 1939, aucun fait de propagande clandestine n’est relevé contre lui, pas plus qu’il n’attire l’attention de ses employeurs pour ses opinions politiques.

Le 29 octobre, Robert Jarry est arrêté par la Feldgendarmerie pour « sabotage, insulte en envers les autorités allemandes et comme Juif ». Il est interrogé à la Kommandantur de Montrouge, où ce dernier motif est écarté.

Il est emprisonné à la Maison d’arrêt de la Santé, à Paris 14e, jusqu’au 16 janvier 1942, date à laquelle il est remis en liberté suite à une erreur administrative commise lors de son enregistrement.

Le 28 avril 1942, Robert Jarry est arrêté à son domicile, comme otage, lors d’une grande vague d’arrestations (397 personnes) organisée par « les autorités d’occupation » dans le département de la Seine – avec le concours de la police française – et visant majoritairement des militants du Parti communiste clandestin. Les hommes arrêtés sont rapidement conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, Robert Jarry est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Robert Jarry est enregistré à Auschwitz sous le numéro 45685 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard).

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Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé). Robert Jarry est assigné au Block 20. Le lendemain 10 juillet à l’aube, il assiste au matraquage d’un jeune camarade de 18 ans, Marcel Dubeau, qui n’est pas sorti assez rapidement de sa “coya”. Robert Jarry, qui avait promis au frère de celui-ci de le protéger au départ de Compiègne, ne l’a plus jamais revu. Ce jour-là, après l’appel général, tous subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Robert Jarry est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Là, il est affecté au Kommando du garage, mais en est chassé par l’hostilité des détenus polonais au bout de deux mois et demi. Il est alors assigné au Block 16, où il retrouve Mickey Guilbert, lui aussi de Boulogne. il est affecté au Kommando de construction de routes (Strassenbau), où il retrouve Émile Gourdon. Il doit poser des pierres pour la fondations des routes. Violemment battu par un kapo, il est ramené au camp, devant le Block 20, le Revier. On l’y opère d’une glande infectée sous le bras gauche (le 27 janvier 1943, son nom est inscrit sur un registre de l’infirmerie), puis il retourne au Block 16.

Robert Jarry est affectés à divers kommandos, d’abord à l’intérieur du camp, puis à l’extérieur. En février 1943, un jour où il doit porter seul des sacs de ciment de 50 kg jusqu’à un camion, l’un de ceux-ci lui échappe alors qu’il passe devant un garde SS dont les bottes et l’uniforme sont maculés. Robert Jarry subit de nouveau une terrible correction qui le conduit de nouveau au Revier : des côtes cassées, fêlées, des molaires cassées, de nombreuses contusions sur tout le corps, dont un bras qui a doublé de volume et qui est très douloureux. Opéré de ce bras par un chirurgien déporté, il est admis quelques jours après au Block 19.

À l’été 1943, alors qu’il s’y trouve encore et ne conserve plus qu’une légère blessure à la jambe, Robert Jarry voit les autres « 45000 » partir vers la quarantaine du Block 11 sans être lui-même appelé, et sans qu’on en sache encore aujourd’hui la raison.

Après l’avoir interrogé sur ses convictions politiques, le chef de Block, qui parlait français, le garde auprès de lui. Cependant, Robert Jarry doit encore se cacher pour échapper aux sélections.

En avril 1944, il retourne à la vie « ordinaire » du camp. En octobre 1944, est affecté au Kommando“Union” situé à Birkenau et ou l’on fabrique des parties de grenade et du matériel militaire. C’est là qu’il se retrouve avec le seul “45000” rencontré après la “quarantaine : Maurice Rideau, ou un autre détenu, nommé Gillot ou Girard.

Quand commence l’évacuation du camp, le 18 janvier 1944, Robert Jarry est affecté au Kanada où il découvre les monceaux de chaussures, de lunettes et de cheveux qui sont encore sur place.

Le 25 janvier, parmi les derniers évacués, il est dans une petite colonne de trente détenus qui marchent pendant deux jours pour arriver à une gare. Là, ceux-ci montent dans un unique wagon découvert qui roule pendant trois jours pour aboutir au KL Mauthausen (matricule n° 117867).

Mauthausen. Carte postale non datée. Collection Mémoire Vive.

Mauthausen. Carte postale non datée. Collection Mémoire Vive.

Robert Jarry y reste jusqu’au 24 février 1945, date à laquelle il est transféré dans un camp satellite, “Wiener Sauer”, avec un autre déporté d’Auschwitz, mais arrivé seulement quelques jours avant l’évacuation et portant le matricule 202 000.

Ils sont libérés le 25 avril, et regroupés à Mauthausen le 8 mai.

Robert Jarry rentre chez ses parents le 22 mai 1945.

Il adhère à l’association Mémoire Vive des convois des “45000” et des “31000” d’Auschwitz-Birkenau fondée en 1996.

Robert Jarry décède le 6 février 2003.

Notes :

[1] Boulogne-Billancourt : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes industrielles de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

Sources :

- Association de Sauvegarde d’Auschwitz (TONO), bulletin n° 42-43, édition spéciale pour le 60e anniversaire de l’arrivée du convoi du 6 juillet 1942, Varsovie, décembre 2002, pages 88 à 99.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande” (BA ?) ; dossier individuel des Renseignements généraux (77 W 1627-73188).
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 112, 169, 243, 353, 358, 381 et 408.
- Cl. Cardon-Hamet, Mille otages pour Auschwitz, Le convoi du 6 juillet 1942 dit des “45000”, éditions Graphein, Paris nov. 2000, page 522.
- ARMREL-Sentinelles de la mémoire, portrait civil d’Eugène Gilles, archives dép., fonds FNDIRP 28, 27J2 à 27J8, avec l’autorisation de Roger Pinot (message 15-11-08).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 19-10-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.