Jacques (Charles ?) Jung naît le 23 juillet 1898 à Brumath (Bas-Rhin), en Alsace annexée au Reich allemand, fils de Joseph Jung, journalier, et Joséphine Zissel.
Le 23 avril 1917, il est mobilisé au sein de l’armée allemande – qui incorpore les jeunes gens dès l’âge de 18 ans – au 19e régiment du Génie (jusqu’au 17 novembre 1918).
Le 6 avril 1920 à Moyeuvre-Grande (Moselle), il se marie avec Marguerite Matzel, née le 2 décembre 1899 dans cette commune. Ils ont neuf enfants : Mathias, âgé de 21 ans en septembre 1941, Charles (19 ans), Marie (18 ans), Fernand (16 ans), Georgette (14 ans), Jacqueline (11 ans), René (10 ans), Marguerite (7 ans), et Raymond (11 ans).
À Brumath, Charles Jung est inscrit au carnet “B”.
En avril 1930, la famille emménage à Homécourt (Meurthe-et-Moselle – 54).
Au moment de son arrestation, Charles Jung est domicilié au 13, rue Pierre-Sépulchre à Homécourt. Cinq enfants sont encore à la charge du couple lors de l’arrestation du chef de famille.
Charles Jung est ouvrier-ferblantier aux Forges et Aciéries de la Marine à Homécourt. Il est adhérent au Syndicat des Métaux.
Sous l’occupation, sa maitrise de l’allemand le conduit à participer à la rédaction de tracts destinés aux soldats de l’armée d’occupation.
Au printemps 1941, dans un rapport adressé au gouvernement de Vichy, le préfet Jean Schmidt signale la recrudescence récente de la propagande imprimée clandestine en Meurthe-et-Moselle, l’accompagnant d’une liste des arrêtés d’internement administratif d’une durée de quinze jours qu’il a signé à l’encontre d’ex-militants communistes : 28 pour l’arrondissement de Nancy, 7 pour l’arrondissement de Lunéville, 6 pour l’arrondissement de Briey. Dans ce dernier secteur, l’arrêté concernant Jacques Jung a été pris le 3 mars, et celui-ci a été conduit à la Maison d’arrêt de Briey dès le lendemain.
Le 24 juin 1941, Charles/Jacques est arrêté par la « police allemande » (Feldgendarmerie ?) sur son lieu de travail dans le cadre de l’Aktion Theoderich [1]. D’abord conduit au quartier allemand de la Maison d’arrêt de Briey, il est transféré le 18 juillet à la prison Charles III de Nancy, puis interné deux jours plus tard au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le 8 juillet, Jacques Jung est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45699 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Jacques Jung est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.
Pendant un temps, il est assigné au Block 15.
En juillet 1943, la plupart des détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”) reçoivent l’autorisation d’écrire – en allemand et sous la censure – à leur famille et d’annoncer qu’ils peuvent recevoir des colis (à vérifier le concernant…).
À la mi-août, Jacques Jung est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11 – la prison du camp – pour une “quarantaine”.
Le 12 décembre, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.
Le 3 août 1944, Jacques Jung est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine”, au Block 10, en préalable à un transfert.
Le 29 août, il est parmi les trente “45000” intégrés dans un convoi disciplinaire de 807 détenus (incluant de nombreux “Prominenten” polonais) transférés au KL [2] Sachsenhausen, dans la ville d’Oranienbourg, au Nord-Ouest de Berlin. Jacques Jung y est enregistré sous le matricule 94261. À leur arrivée, et jusqu’au 25 septembre, les trente sont assignés au Block 66.
Jacques Jung est affecté au Kommando Rathenow travaillant pour la firme Bayer. Il est alors assigné au Block 8.
Le 21 avril 1945, Sachsenhausen est évacué à marche forcée en direction de Schwerin, puis de Lübeck et Hambourg ; certains “45000” sont libérés en cours de route. Jacques Jung est libéré le 26 avril ; le 1er juin, à Flischleck-sur-Elbe, il est répertorié par « Mademoiselle Jungelson » (Olga Wormser-Migot) sur une liste de déportés passés par Auschwitz.
Il est rapatrié en France par Nancy le 5 juin.
Le 2 avril 1946, à la mairie d’Homécourt, Jacques Jung et Giobbe Pasini signent conjointement une attestation selon laquelle : « Le déporté Passeri Natale est tombé malade durent la période 1942-1943 en raison de sa faiblesse générale (manque de nourriture) et du typhus. Il est rentré dans le bloc des malades et n’est jamais reparu. Le 14 août 1943, lorsque l’ordre donné par la gestapo de mettre tous les Français en quarantaine a été exécuté, il n’existait déjà plus. Le 4 juillet 1943, nous avons eu l’autorisation d’écrire, et ce malheureux, à notre connaissance, n’a jamais écrit. Nous faisions partie du convoi du 6 juillet 1942 dirigé sur Auschwitz ». Le document est entièrement dactylographié, excepté le nom du disparu, les signatures et la date de leur légalisation par le maire ; il est possible que les deux rescapés aient complétés des documents identiques pour d’autres camarades décédés (à vérifier…).
Le 24 février 1951, il remplit un formulaire de demande du titre de Déporté politique, exposant comme motif d’arrestation : « Suspecté de diffusion de tracts et connu pour mes positions politiques d’avant-guerre ». Ce titre lui est attribué par décision du 12 novembre 1952 (carte n° 1119.02973).
Jacques Jung décède le 25 novembre 1967.
Notes :
[1] Le carnet B : Dès sa création, à partir d’une instruction secrète de novembre 1912 visant le recensement des éléments antimilitaristes pour les neutraliser, il permet d’inscrire des personnes définies comme dangereuses pour l’ordre public (notamment les militants anarchistes). Après 1918, il liste les suspects français et étrangers susceptibles de divulguer aux puissances ennemies des renseignements concernant la défense nationale.
Révisé le 10 février 1922, selon les vœux du ministre de l’Intérieur, le carnet B vise également “certains individus notoirement acquis aux idées extrémistes », susceptibles d’entretenir des troubles violents par une propagande qui porte à « l’action directe ». Certains communistes et syndicalistes révolutionnaires répondent à ces critères. Un répertoire général est donc tenu au ministère de l’Intérieur, à partir du duplicata d’un folio mobile et d’une notice individuelle envoyés par les autorités préfectorales ou militaires.
L’individu suspect se retrouve en fiche dans chaque brigade de gendarmerie et dans chaque préfecture dont dépend son domicile, ainsi que dans chaque état-major de corps d’armée dont dépend son affectation. Ces folios mobiles, transmis entre les différents centres de gendarmeries doivent permettre de suivre ses déplacements sans que l’intéressé en soit informé.
Ordonnées par les préfets et les généraux commandant les corps d’armée qui doivent suivre « personnellement » l’examen des dossiers, les inscriptions au carnet B sont soumises, en cas de différend entre les deux parties civile et militaire, à la responsabilité commune des ministres de la Guerre et de l’Intérieur.
Sur proposition des autorités compétentes, et après acceptation du ministre de l’Intérieur, le carnet B peut faire l’objet de révisions en ce qui concerne les individus qui se sont amendés ou n’étant plus susceptibles de fomenter ni d’exercer une action révolutionnaire à titre individuel ou collectif. Révision également nécessaire pour rayer les inscrits qui sont décédés, disparus ou partis dans d’autres pays depuis plus de deux ans.
L’article 10 du code d’instruction criminelle qui fonde la légalité d’un tel carnet donne au préfet toutes les attributions de police judiciaire du juge d’instruction, notamment le droit de faire des perquisitions et de remplir les formulaires de mandats de perquisition et d’amener. Une inscription au carnet B , signifiait que l’individu pouvait être mis en état d’arrestation, sur une simple décision du préfet remplissant un formulaire en blanc préalablement annexé à son dossier individuel.
Même dans la période du Front populaire, le carnet B a vu l’inscription de grévistes : Maria Iverlend a été inscrite dans celui de la Somme, le 1er octobre 1936, avec comme motif : « extrémiste militante depuis de longues années. A pris une part très active dans la conduite du mouvement de grèves et occupation des usines juin-août 1936. Violente et exaltée. »
Traitées à part, les listes de personnes surveillées par les renseignements généraux dépassaient largement le nombre de celles inscrites au carnet B.
Dans son livre, Treff Lutetia Paris, Oskar Reile, major en 1940 dans le groupe de recherche du contre-espionnage de l’Abwehr, raconte comment le capitaine Wiegand, à la fin du mois de juin 1940, a « trouvé dans les locaux, 11 rue des Saussaies à Paris les archives et fichiers parfaitement en ordre de la Sûreté nationale ». En janvier 1943, sous l’impulsion d’Oberg, les archives du ministère de l’Intérieur seront déplacés à la Wilhem-strasse, à Berlin. Deux bureaux de la Gestapo recevront la mission de traiter les informations du fichier central concernant les individus pour l’un, les associations et les partis politiques pour l’autre. En 1945, les archives de la Sûreté nationale seront sous contrôle soviétique (restituées en 1992 au gouvernement français).
En l’état actuel des connaissances, à défaut de listes précises, il semble impossible de reconstituer le nombre des individus ayant été inscrits au carnet B ainsi que de connaître l’utilisation qu’en ont fait à la déclaration de guerre, les autorités françaises et après la défaite de 1940 son incidence sur le contrôle allemand de la population française et étrangère.
Le carnet B a été abrogé le 18 juillet 1947.
D’après Jean-Pierre Deschodt, Le carnet B après 1918, RIHM n° 82, Commission Française d’Histoire Militaire, en ligne sur WWW.STRATISC.ORG le site de la stratégie dans l’histoire
[2] L’ “Aktion Theoderich” : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht. Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. 131 d’entre eux, arrêtés entre le 21 et le 30 juin, font partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.
[2] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 73, 348 et 349, 358, 368 et 408.
Cl. Cardon-Hamet, Mille otages pour Auschwitz, Le convoi du 6 juillet 1942 dit des “45000”, Éditions Graphein, Paris nov. 2000, page 117.
Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, Metz, registre cote 2R466, feuillet n° 1029 (message de Jean-Éric Iung, directeur des archives, de la mémoire et du patrimoine, adressé à Ginette Petiot le 26-02-2014).
Archives départementales de la Côte-d’Or, Dijon : (cote 1630 W, article 252).
Ministère de la Défense, Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Caen ; cartons Auschwitz (26 p 852) ; dossier de Jacques Jung (21 P 578 199), recherches de Ginette Petiot (message 12-2013).
Jean-Claude Magrinelli, Ouvriers de Lorraine (1936-1946), tome 1, La collaboration franco-allemande dans la répression, pages 253-281 (liste d’internés administratifs, p. 260-263 ; reproduction du rapport mensuel de février 1941 du préfet Jean Schmidt au gouvernement de Vichy, p. 257-258) ; tome 2, Dans la résistance armée, éditions Kaïros avril 2018, L’affaire d’Auboué, pages 199-227 (listes d’otages p. 205, 208-210).
Archives départementales de la Côte-d’Or, Dijon : (cote 1630 W, article 252).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 6-09-2023)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.