- Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
François, Marie, Maillard naît le 23 avril 1891 au Petit-Auverné (Loire-Inférieure / Loire-Atlantique [1] – 44), au domicile de son grand-père maternel, journalier âgé de 76 ans, fils de Philomène Maillard, 23 ans, domestique. Le 27 juin 1895, à Châteaubriant (44), François Marie Juvin, 32 ans, journalier, le reconnaît comme fils en épousant sa mère, alors cuisinière âgée de 27 ans.
Pendant un temps, il habite à Boussay, à la limite sud-est du département, et travaille comme « garde ».
Le 10 octobre 1912, François Juvin est incorporé au 64e régiment d’infanterie. Quand la guerre est déclarée, début août 1914, il reste mobilisé, rejoignant le front dès le 5 août. Le 1er septembre 1914, il est blessé à la cuisse gauche par éclat d’obus, mais n’est pas évacué. Le 4 février 1915, il est nommé soldat de 1re classe. Le 2 mars 1915, il est évacué pour une plaie légère par éclat d’obus. Le 24 avril, il est nommé caporal. Le 1er juillet 1916, à Estrée, un éclat d’obus lui occasionne une fracture du maxillaire inférieure gauche avec la perte de 12 dents ; il est évacué. Un mois plus tard, il est cité à l’ordre de son régiment : « Très bon caporal mitrailleur, brave et courageux, a été grièvement blessé auprès de sa pièce sur sa ligne de feu ». Le 6 novembre 1917, la commission de réforme de Nantes le réforme temporairement et le propose n° 1 avec gratification renouvelable n° 7 pour « néphrite chronique, hématurie, anévrisme artéto-veineux de la fémorale gauche opérée, imputable au service (?) ». Le 26 décembre 1918, la commission de réforme de Nantes le classe service auxiliaire pour séquelles légères de troubles circulatoires au membre inférieur gauche. Le 13 janvier 1919, il est rappelé à l’activité militaire au 1er régiment d’artillerie. Le 20 mars, il est mis en congé de démobilisation.
Le 5 septembre 1919, François Juvin est embauché comme cantonnier aux chemins de fer de la Compagnie du Paris-Orléans (CPO).
Le 7 juin 1918, à Nantes, il épouse Marguerite Marie Nicolas, née le 10 juin 1890 à Saint-Nazaire.Il adhère très tôt à la section nantaise du Parti communiste, et au Comité syndicaliste révolutionnaire dès 1921.
François Juvin est candidat communiste aux élections municipales de mai 1925 sur la liste “Bloc ouvrier et paysan”
Fin août 1927, il est domicilié au 21, rue de la Motte-Piquet à Nantes.
En 1930, il est trésorier de “l’Étoile prolétarienne”, une association qui organise fêtes, concerts et réunions de propagande.
En 1931 et jusqu’au moment de son arrestation, François Juvin est domicilié au Val d’Or, commune d’Orvault, limitrophe de Nantes (44). Il est alors garde-barrière.
En octobre 1934, il est candidat communiste au Conseil d’arrondissement (2e canton de Nantes).
Lors des élections cantonales d’octobre 1937, le Parti communiste le présente comme candidat au Conseil général dans la circonscription de Nozay.
Le 23 juin 1941, François Juvin est arrêté par les Allemands [2]. Il figure en quinzième place sur une liste de trente « Funktionaere » (“permanents” ou “cadres”) communistes établie par la police allemande. Avec une vingtaine d’hommes arrêtés dans l’agglomération de Nantes, il est conduit au « camp du Champ de Mars » (s’agit-il de la salle des fêtes, également dénommée « Palais du Champ de Mars » ? à vérifier…).
Le 12 juillet, François Juvin est parmi les vingt-quatre communistes (dont les dix futurs “45000” de Loire-Atlantique) transférés, avec sept Russes (juifs), au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, François Juvin est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45700 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée et identifiée [3]).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; François Juvin se déclare alors comme cheminot (Eisenbahner). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, François Juvin est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.
Là, il est assigné au Block 23 A, comme Georges Niquet, de Maisons-Alfort.
Le 21 juillet, il est admis à l’hôpital d’Auschwitz, dans le Block 20, celui des maladies contagieuses, avec Georges Niquet et Jean Coltey, de Langres. Il en sort le 27 juillet (?), mais s’y trouve de nouveau quelques jours plus tard.
François Juvin meurt à Auschwitz le 8 août 1942, selon plusieurs registres tenus par l’administration SS du camp ; un mois – jour pour jour – après l’arrivée de son convoi. L’acte de décès indique indique pour cause – très probablement mensongère – de sa mort « entérite stomacale aigüe » (Akuter Magendarmkatarrh).
Sur les dix “45000” de Loire-Atlantique, il n’y eut que deux rescapés : Eugène Charles, de Nantes, et Gustave Raballand, de Rezé.
Le nom de François Juvin est inscrit parmi les déportés sur la plaque « À la mémoire des agents SCNF Résistants, arrondissement de Nantes, 1939-1945 ».
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 21-10-1994).
Notes :
[1] Loire-Atlantique : département dénommé “Loire-Inférieure” jusqu’en mars 1957.
[2] L’ “Aktion Theoderich” : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht. Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font déjà partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.
[3] Sa photographie d’immatriculation à Auschwitz a été reconnue par des rescapés lors de la séance d’identification organisée à l’Amicale d’Auschwitz le 10 avril 1948 (bulletin Après Auschwitz, n°21 de mai-juin 1948).
Sources :
Son nom (orthographié « EUVIN Franz ») et son matricule figurent sur la Liste officielle n°3 des décédés des camps de concentration d’après les archives de Pologne, éditée le 26 septembre 1946 par le ministère des anciens combattants et victimes de guerre, page 60.
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 365 et 408.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Bretagne (2002), citant : témoignages de Gustave Raballand et d’Eugène Charles, de Nantes.
Archives départementales de Loire-Atlantique, site internet : recensement de 1931 à Orvault (p. 29).
C. Geslin, notice in Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, tome 31, page 338, citant : Arch. Dales Série M – Site Rail & Mémoire.
Le Travailleur de l’Ouest, 1934 – état civil de Petit-Auverné.
Site Gallica, Bibliothèque Nationale de France, L’Humanité n° 14103 du 9 juillet 1937, page 4, “onzième liste…”).
Base de données des archives historiques SNCF ; service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne (en 1947), de A à Q (0110LM0108).
Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, pages 819-820.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach), archives : liste du Block n° 20, hôpital d’Auschwitz-I ; copie de l’acte de décès du camp ; registre de la morgue (microfilm n° 741/195).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 525 (18789/1942).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 21-09-2020)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.