Marceau Lannoy naît le 16 août 1922 à Auchel (Pas-de-Calais), dans une famille de mineurs, fils de Marceau Lannoy, né à Liévin le 12 juin 1902, et de Léone Cordonnier, son épouse, née en 1903 ; son grand-père a échappé à la catastrophe de Courrières du 10 mars 1906 (un coup de grisou ayant tué 1099 mineurs). Marceau a un frère, Jules, né en 1924, et une sœur, Hélène, née en 1933.
Entre 1933 et 1936, pour échapper à la mine, la famille part s’installer près de la capitale, au 225, avenue Jean-Jaurès à Aubervilliers [1] (Seine-Saint-Denis) ; ancienne route de Flandre (peut-être vers l’angle de la rue de Montfort, devenue rue Hélène-Cochonnec). Ils hébergent également Louis D., un neveu du chef de famille, né en 1913. Dans le même immeuble vivent d’autres membres de la famille Lannoy, anciens mineurs.
- Extrait d’un plan d’Aubervilliers daté de 1931.
Collection Mémoire Vive.
Marceau Lannoy père travaille chez Billard, entreprise de travaux publics, et sa mère chez Unt et Palmer à la Courneuve.
Le père de famille est adhérent au Parti communiste.
Après avoir obtenu le certificat d’études primaires en 1936, Marceau Lannoy fils continue sa scolarité au cours complémentaire.
Sportif, il est inscrit à l’U.S.O.A. (Union sportive ouvrière d’Aubervilliers ?), où il fait partie de l’équipe de football. Sans argent pour leurs déplacements, les joueurs vont parfois à pied jusqu’à Gonesse pour disputer un match. Le siège du club se trouve dans un local syndical, en face du marché couvert et à côté de la mairie d’Aubervilliers.
En 1937, des footballeurs de son équipe, membres des Jeunesses communistes, incitent Marceau Lannoy à adhérer ; il a 15 ans. Deux ans après, il est secrétaire des Jeunesses communistes d’Aubervilliers dont le siège est situé rue du Landy.
Quand, les organisations communistes sont dissoutes en 1939, Marceau Lannoy participe à l’activité clandestine.
Au moment de l’invasion allemande, l’encadrement de son usine lui donne pour consigne de rejoindre – par ses propres moyens – Toulouse, ville où celle-ci doit se replier. Arrivé sur place après les pérégrinations de l’Exode, il se retrouve seul et rentre à Aubervillers quelques mois plus tard, vers la mi-octobre. Il reprend l’activité clandestine, imprimant et distribuant dans le quartier du Mont-Fort des tracts dont le texte est fourni par Roger Brasini, responsable régional de la JC. La machine (à gélatine ?) utilisée pour l’impression est dissimulée dans la cabane du jardin paternel situé près des fossés du fort d’Aubervilliers. Le travail se fait de nuit, à la lueur d’une lampe de poche. Pour distribuer ce “matériel” sur Aubervilliers, les rencontres ont lieu le long du canal de l’Ourcq, entre la Villette et le pont du Landy.
Le 5 octobre 1940, son père est arrêté lors de la grande vague d’arrestations ciblées organisée dans les départements de la Seine et de la Seine-et-Oise par les préfets du gouvernement de Pétain contre des hommes connus avant guerre pour être des responsables communistes (élus, cadres du PC et de la CGT) ; action menée avec l’accord de l’occupant. Il est interné au centre de séjour surveillé d’Aincourt.
À la suite de cette arrestation, pour remplacer le salaire de son père, Marceau Lannoy fils entre comme ajusteur à la Manufacture d’Estampage du Nord-Est, une usine métallurgique située à Pantin, de l’autre côté de l’avenue Jean-Jaurès, où il fabrique des maillons de chenilles pour les chars d’assaut.
Avec son frère, ils font en vélo le chemin jusqu’à Aincourt pour porter à leur père les colis que leur mère a préparé.
Le 10 janvier 1941, Marceau Lannoy fils est arrêté avec sept autres camarades dont Raymond Rivoal après qu’une jeune fille de son groupe de Résistance ait parlé. Au cours de son interrogatoire au commissariat d’Aubervilliers où il est gardé pendant trois jours, il est lui-même torturé (un doigt brisé dans une fenêtre). Le jour même, inculpé d’infraction au décret du 26-09-1939, il est écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e).
- Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er.
Tribunal correctionnel, un des porches du 1er étage.
(montage photographique)
Le 19 juin, les huit inculpés comparaissent devant la chambre des mineurs (15e) du Tribunal correctionnel de la Seine ; un père et quatre mères ont été convoqués à l’audience comme civilement responsables, dont celle de Marceau Lannoy. Celui-ci est condamné à un an d’emprisonnement, comme responsable de son groupe, mais fait appel auprès du procureur de la République.
Du 12 au 20 février, Marceau Lannoy est conduit à l’infirmerie centrale de Fresnes [1] (Seine / Val-de-Marne) pour un examen de santé (soupçon de tuberculose ?).
Le 11 juillet, il est transféré à la Maison d’arrêt de Fresnes.
À l’expiration de sa peine, Marceau Lannoy n’est pas libéré : le 10 octobre, le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant son internement administratif.
Le 10 novembre, il fait partie d’un groupe de 58 militants communistes transférés au « centre de séjour surveillé » (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne).
Dans sa chambrée, il fait partie d’un groupe de quatre pour le partage des colis avec les jeunes Roger Pélissou et Georges Guinchan. Il commence à apprendre l’allemand dans le cadre des cours organisés par les détenus politiques ; ce qui lui sera d’une aide précieuse plus tard. Il participe aux compétitions sportives qui opposent prisonniers politiques et droit commun : il gagne toujours les épreuves de course, de saut en hauteur et en longueur.
À cette époque, sa mère meurt d’une crise cardiaque en allant vers un abri lors d’une alerte aérienne à Aubervilliers. On lui refuse de se rendre à l’enterrement.
Le 22 mai 1942, Marceau Lannoy fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, Marceau Lannoy est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures, puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Marceau Lannoy est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45727 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard).
Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.
Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, au cours duquel ils déclarent leur profession, ils sont envoyés aux travail dans différents Kommandos.
Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Marceau Lannoy est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir.
Ayant appris que les hivers de Haute-Silésie sont très rudes, il s’est déclaré comme forgeron – malgré son ignorance du métier – et se retrouve au Kommando de la Forge avec Eugène Charles et Jules Le Troadec, hommes de métier, et Ferdinand Bigaré, Raymond Boudou et Gabriel Lacassagne. Il aide notamment à ferrer des chevaux. Ils sont assignés au Block 16A.
Atteint de dysenterie, Marceau Lannoy écoute les conseils de ses camarades et mâche « la valeur d’une bûche entière » de charbon de bois, ce qui arrête aussitôt la maladie. Dans un entrepôt proche de la forge, il dérobe des pommes de terre pour assurer sa survie.
En juillet 1943, la plupart des détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”) reçoivent l’autorisation d’écrire – en allemand et sous la censure – à leur famille et d’annoncer qu’ils peuvent recevoir des colis ; Marceau Lannoy, lui, n’en a jamais reçu.
Les 20 et 23 juillet, le nom de Marceau Lannoy est inscrit sur un registre de l’hôpital d’Auschwitz (Block20).
À la mi-août 1943, il est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11 – la prison du camp – pour une “quarantaine”.
Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11. Marceau Lannoy chante souvent pour distraire ses camarades.
Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, qui découvre leur situation, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine après quatre mois d’un régime qui leur a permis de retrouver quelques forces.
Courant avril 1944, après un accident causé par un cheval qui lui fait quitter la forge, Marceau Lannoy est conduit à pied à Birkenau, avec Francis Joly, Daniel Nagliouck, Albert Rossé et Gustave Rémy (un “123000”). Ils sont assignés au Block 10 du sous-camp des hommes (BIId) et doivent travailler au Kommando 301 B Zerlegebetrieb, composé d’environ mille hommes – dont beaucoup de prisonniers russes – chargé de démonter et récupérer les matériaux d’avions militaires abattus, allemands ou alliés, pour l’entreprise LwB.Rorück.
L’aire de démontage est située au sud de Birkenau, de part et d’autre d’une voie annexe de la ligne de chemin de fer permettant d’acheminer les carcasses d’avions dans un sens et les pièces démontées dans l’autre. Ils sont surveillés par deux capitaines et des sous-officiers de la Lutwaffe. Une fois par mois, certains touchent une petite prime en monnaie : le nom de Marceau Lannoy est inscrit sur les listes établies à cette occasion le 29 juin, le 27 août. Comme cet atelier est classé dans les Kommandos de force, ils reçoivent également une ration supplémentaire de nourriture.
Le 3 août 1944, Marceau Lannoy est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine”, au Block 10, en préalable à un transfert (selon Claudine Cardon-Hamet).
Le 29 août 1944, il est parmi les trente “45000” [2] intégrés dans un convoi disciplinaire de 807 détenus (incluant de nombreux “proheminenten” polonais) transférés au KL Sachsenhausen, dans la ville d’Oranienbourg, au Nord-Ouest de Berlin.
Avec Maurice Le Gal et Charles Lelandais, Marceau Lannoy est rapidement transférés au petit Kommando de Trebnitz, affecté à des travaux de terrassement, de pose de conduites d’eau. Violemment frappé au visage par un kapo “droit-commun”, il perd de nombreuses dents.
En février 1945, devant l’avancée soviétique, il est affecté à l’usine d’aviation Heinkel. Là, il participe au sabotage : avec un maillet en bois, il fend les rivets en aluminium destinés aux ailes des avions.
Au début mai, ils se retrouvent dans une colonne d’évacuation en direction de Hambourg. M. Le Gal succombe, mais Ch. Lelandais et Marceau Lannoy sont pris en charge par l’armée américaine après la fuite de leur escorte dans la forêt de Schwerin. Ils sont emmené dans un hôpital de campagne à Hambourg, puis transférés en avion à Liège (Belgique) pour quelques jours. Avec un groupe d’une centaine de français, Marceau Lannoy est transporté dans une forteresse volante aménagée sommairement jusqu’à l’aérodrome du Bourget et – de là – au centre de rapatriement de l’hôtel Lutétia, à Paris.
Dans un entretient de juillet 1992, Marceau Lannoy estime qu’il a eu durant toute sa déportation « un moral en acier inoxydable ».
Il est homologué comme sergent dans la Résistance intérieure française, mais (en janvier 1997) n’est pourtant pas reconnu comme Déporté Résistant.
Ayant pris sa retraite près de Chinon, il est très actif dans les associations locales pour la mémoire de la Résistance et de la déportation.
Marceau Lannoy décède le 2 août 2008 à Chinon (Indre-et-Loire).
Le 30 août suivant, lors de la cérémonie commémorant la Libération de la ville, Jean-Pierre Duval, maire, lui rend un hommage public.
Sources :
Marceau Lannoy, témoignage recueilli par Claudine Ducastel et Gilbert Lazaroo le 18-01-1997 (transcription par Renée Joly).
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 184, 190…. 358, 389 et 409
Cl. Cardon-Hamet, notice in 60e anniversaire du départ du convoi des 45000, brochure répertoriant les “45000” de Seine-Saint-Denis, éditée par la Ville de Montreuil et le Musée d’Histoire vivante, 2002, page 10.
Archives communales d’Aubervilliers, recensement de population de 1936.
Archives de Paris, archives du tribunal correctionnel de la Seine, rôle du greffe du 5 juin au 22 septembre 1941 (D1u6-5857).
Archives Départementales du Val-de-Marne (AD 94), Créteil ; archives de la prison de Fresnes, dossier des détenus “libérés” du 1er au 15-10-1941 (511w23) ; maison de correction, registre d’écrou 152 (2742w 19), n° 9172.
Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLI-42, n° 108.
Archives départementales de la Vienne ; camp de Rouillé (109W75).
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), site du Pré-Saint-Gervais) ; cartons “occupation allemande” (BA 2373 ?).
Gustave Rémy, ouvrier aux établissements Kiener à Éloyes (Vosges), en zone interdite, envoyé à Terniz (Autriche) en novembre 1942 au titre du STO, arrêté par la Gestapo après avoir envoyé à son frère prisonnier de guerre une lettre exprimant son dégoût de travailler pour le Reich, enregistré à Auschwitz à la fin mai 1942 (matricule “123000”), passé par la “quarantaine” du Block 11 ; récit dactylographié envoyé à Renée Joly en septembre 1992.
Bureau d’information sur les anciens prisonniers, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne (message 03-2010).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 10-08-2012)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.
[1] Aubervilliers et Fresnes : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] Les trente d’Auschwitz vers Sachso : (ordre des matricules, noms de G à P) Georges Gourdon (45622), Henri Hannhart (45652), Germain Houard (45667), Louis Jouvin (45697), Jacques Jung (45699), Ben-Ali Lahousine (45715), Marceau Lannoy (45727), Louis Lecoq (45753), Guy Lecrux (45756), Maurice Le Gal (45767), Gabriel Lejard (45772), Charles Lelandais (45774), Pierre Lelogeais (45775), Charles Limousin (45796), Victor Louarn (45805), René Maquenhen (45826), Georges Marin (45834), Jean Henri Marti (45842), Maurice Martin (45845), Henri Mathiaud (45860), Lucien Matté (45863), Emmanuel Michel (45878), Auguste Monjauvis (45887), Louis Mougeot (45907), Daniel Nagliouk (45918), Émile Obel (45933), Maurice Ostorero (45941), Giobbe Pasini (45949), René Petijean (45976) et Germain Pierron (45985).