Pierre Lavigne en 1938.

Pierre Lavigne en 1938.

Pierre, Eugène, Lavigne naît le 16 août 1910 à Verdun (Meuse – 55), fils d’Adèle Marie Adrienne Lavigne, née le 16 février 1890 à Montzéville (55), et de père inconnu.

Sa mère le confie aussitôt à ses propres parents, Modeste Lavigne, 46 ans, et Emma, née Grozier, 41 ans, toujours domiciliés à Montzéville et dont le dernier enfant, Denise (Marthe), n’a qu’un an de plus que Pierre.

Pierre Lavigne a une demi-sœur qu’il ne connaîtra pas, Marguerite Charlotte Lavigne, née le 23 mars 1914 à la maternité de l’hôpital Boucicaut, au 78 rue de la Convention à Paris (15e), elle aussi de père inconnu. Leur mère, alors âgée de 24 ans, se déclare comme domestique, domiciliée au 23, rue Pierret à Neuilly (Seine / Hauts-de-Seine). Le 3 avril suivant, elle abandonne ce deuxième enfant à l’Assistance publique : « La mère déclare que de (?) défaillante, très précaire, et qu’il lui serait impossible de (…) faire pour un enfant nouveau-né. Elle ajoute espérer une prompte amélioration dans un (…) et vouloir reprendre l’enfant aussitôt que possible. Fait bonne impression. » « Lavigne Marie Adrienne 24 ans, née à ? Refuse de répondre. » « 1 garçon 4 ans en nourrice ». Marguerite est « envoyée à baptiser ». Le 24 juillet suivant, Adèle Lavigne – sous le pseudonyme de « Madame Flora » -, écrit à l’Assistance publique pour demander des nouvelles de la fillette déposée le 3 avril. Elle donne seulement comme adresse la “poste restante” du village de Nogent-l’Artaud (Aisne sud, limite Seine-et-Marne), entre la Marne et l’aqueduc de la Dhuis. Pendant une période restant à préciser, Adèle Lavigne y est receveuse des Postes et Télégraphe.

Le 28 août 1915, son père, Modeste, lui adresse une demande pressante par carte postale : « Adèle, si tu peux avoir à manger pour les enfants, viens sitôt (reçu) la présente chercher Fernand, Denise et Pierre : la nourriture va manquer chez nous. » Le village de Montzéville sert alors de cantonnement à l’armée française (6e corps d’armée) à l’arrière du front d’Argonne (secteur ouest de Verdun, cote 304, le Mort Homme). Il sera en grande partie détruit par les bombardements ennemis au cours de la guerre, puis reconstruit.

Montzéville. La rue des Trois Fontaine vers 1915. Carte postale, collection Mémoire Vive.

Montzéville. La rue des Trois Fontaine vers 1915.
Carte postale, collection Mémoire Vive.

En 1926, à Montzéville, Adèle présente à sa famille Jean Dubeau, commis principal des Postes à Rabat (Maroc). Celui-ci, affecté comme conscrit au Maroc occidental quelques mois avant la guerre de 1914-1918, s’était installé à Casablanca à sa démobilisation en août 1919. À l’occasion de cette visite, Jean Dubeau propose à Pierre Lavigne (16 ans) de le reconnaître et lui donner son nom. Mais le jeune homme refuse, voulant garder le nom de ses grands-parents qui l’avaient élevé.

Le 3 novembre 1928, à Rabat, Adèle Lavigne, alors âgée de 38 ans, se marie avec Jean Dubeau, né le 29 octobre 1892 à Labroquère (Haute-Garonne). Ils habitent déjà ensemble avenue Dar-el-Maglizen.

À l’issue de ses études à l’École normale de Commercy [1] (55), promotion 1927-29, Pierre Lavigne est nommé instituteur.

Commercy. L’École Normale avec le Monument aux instituteurs.  Carte postale des années 1920. Collection Mémoire Vive.

Commercy. Cour de l’École Normale donnant sur la rue, avec le Monument 1914-1918 aux instituteurs.
Carte postale des années 1920. Collection Mémoire Vive.

Le 7 janvier 1933, à Digoin (Saône-et-Loire – 71), la demi-sœur de Pierre (inconnue de lui) Marguerite, âgée de 18 ans, se marie avec Léonard Matras (1907-1977), employé SNCF.

En 1936 et jusqu’au moment de son arrestation, Pierre Lavigne est domicilié rue Basse dans le petit village de Ville-sur-Cousances (55), situé à 21 km au sud-est de la sous-préfecture, où il est en poste dans une classe unique ; peut-être intégrée dans le bâtiment de mairie (?).

Ville-sur-Cousances, dans les années 1950. Carte Postale. Collection Mémoire Vive.

Ville-sur-Cousances, dans les années 1950. Carte Postale. Collection Mémoire Vive.

Pierre Lavigne avec sa classe (unique) en 1938 à Ville-sur-Cousances. Site Geneanet, droits réservés.

Pierre Lavigne avec sa classe (unique) en 1938 à Ville-sur-Cousances.
Site Geneanet, droits réservés.

À une date restant à préciser, Pierre Lavigne se marie avec Émilienne Murati, née le 23 septembre 1913 à Sens (Yonne), fille d’un fonctionnaire des impôts.

Pierre et Émilienne, le jour de leur mariage. Droits réservés.

Pierre et Émilienne, le jour de leur mariage. Droits réservés.

De son côté, Émilienne est institutrice en classe unique à Jubécourt (55), village voisin le long de la rivière Cousances. Le couple habite le logement de fonction des instituteurs de Ville-sur-Cousances. Ils auront trois enfants : Jean-Claude, né vers 1937, Gérard, né vers 1940, et Claudie, née après l’arrestation de son père.

Adèle et Jean Dubeau viennent en vacances à Montzéville tous les deux ans. À cette occasion, ils retrouvent Pierre et sa famille.

Adèle Dubeau et son petit-fils Jean-Claude Lavigne en septembre 1938 à Montzéville. Droits réservés.

Adèle Dubeau et son petit-fils Jean-Claude Lavigne en septembre 1938 à Montzéville.
Droits réservés.

Pierre Lavigne  est arrêté entre le 22 et le 24 juin 1941, probablement dans le cadre de l’Aktion Theoderich [1], et interné dans les jours suivants au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Dans un wagon, les détenus de la Meuse se rassemblent autour de Charles Dugny. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Le jour même, depuis le convoi en marche, Antoine Laurent, jardinier à l’École normale de Commercy, jette un message : « Entre Châlons et Commercy, le 6 juillet 1942. Chère femme et enfants, Excusez l’écriture, car je suis dans un wagon à bestiaux avec 99 copains, dont Lavigne, instituteur, et Dugny, de Lérouville. Nous sommes déportés en Allemagne avec 1200 copains de Compiègne… »

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Pierre Lavigne est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45736 selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Pierre Lavigne.

On ignore la date de sa mort à Auschwitz ; probablement avant la mi-mars 1943 [3].

Sur la mairie de Ville-sur-Cousances, une plaque commémorative a été apposée indiquant – s’agissant de Pierre Lavigne – « mort en déportation à Auschwitz le 15 septembre 1942 ».

Contribution photo : Bernard Butet 27/01/2008 Cette photographie est sous licence d'usage CC BY-NC-SA 2.0

Contribution photo : Bernard Butet 27/01/2008
Cette photographie est sous licence d’usage CC BY-NC-SA 2.0

Après-guerre : les enfants orphelins de Pierre Lavigne : Gérard, Claudine et Jean-Claude. Droits réservés.

Après-guerre à Ville-sur-Cousance : les enfants orphelins de Pierre Lavigne : Gérard, Claudine et Jean-Claude.
Droits réservés.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 4-01-1994).

Lorsqu’ils prennent leur retraite en 1952, Adèle et Jean Dubeau rentrent en France et rachètent la maison familiale des Lavigne à Montzéville. Le couple voit souvent Émilienne et ses enfants.

Jean Dubeau décède en 1977 à Reims (Marne). Adèle Dubeau, mère de Pierre Lavigne, y décède le 18 septembre 1982. Le couple est inhumé dans un caveau familial à Montzéville.

Dans le cimetière de Montzéville. Droits réservés.

Dans le cimetière de Montzéville. Droits réservés.

Sa sœur inconnue, Marguerite Charlotte Matras, décède le 23 septembre 2005 à Paray-le-Monial (71).

 

Notes :

[1] L’École normale de Commercy a été installée en 1854 dans les bâtiments datant du milieu du XVIIIe siècle de l’ancien prieuré de Notre-Dame-de-Breuil.

[2] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme «  l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht. Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. 131 d’entre eux, arrêtés entre le 21 et le 30 juin, font partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

[3] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant Pierre Lavigne, c’est le 15 septembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 369 et 414.
- Archives départementales de la Côte-d’Or, Dijon (1630, article 252).
- Ève Rispal, petite-nièce de Pierre Lavigne, petite-fille de sa sœur (messages 09 et 10-2021) ; photos.
- Daniel Lavigne, de Dombasle-sur-Argonne (cousin germain d’Adèle), et Robert Lavigne, de Montzéville (cousin issu de germain d’Adèle), ayant partagé leurs documents et souvenirs familiaux avec Ève Rispal en octobre 2021.
- Site Geneanet : arbre établi par Ève Mornier.
- Site MemorialGenWeb : Ville-sur-Cousances, relevé n° 3080 par Alain Girod (10-2001).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 20-11-2021)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.