Gérald, Alfred, César, Lecarpentier naît le 13 juin 1895 à Sainte-Honorine-des-Pertes (Calvados – 14), fils de Gustave Lecarpentier, 32 ans, journalier, et de Marie Thomasse, 34 ans, son épouse, domiciliés rue du Carrelet dans le village du Grand-Hameau. Gérald a plusieurs frères et sœurs plus âgés : Léa – née le 8 juin 1881, avant le mariage de leurs parents, le 10 juillet suivant -, Sydonie, Maxime, Charles, Marguerite et Eugène.
Pendant un temps, Gérald Lecarpentier est dresseur de chevaux (?).
En avril 1913 et en décembre 1914, le tribunal de Bayeux le condamne à deux reprises à une amende pour chasse sans permis
Le 19 décembre 1914, Gérald Lecarpentier est incorporé comme soldat de 2e classe au 28e régiment d’infanterie ; il est signalé comme un homme de petite taille (1m59), blond aux yeux bleus. Le 21 mars 1915, il passe au 403e régiment d’infanterie, unité qui monte au front. Le 22 septembre 1916, il passe au 293e R.I. Le 18 février 1917, il est cité à l’ordre de son régiment : « Soldat courageux, à participé volontairement à un coup de main qui a permis de ramener 21 prisonniers », ce qui lui vaut la Croix de guerre avec étoile de bronze.
Au cours de cette année 1917, par deux fois, il tarde à rejoindre son unité après une permission, ce qui mobilise le Conseil de guerre qui prononce des peines de prison pour désertion, non suivies d’effet. Le 9 juillet suivant, Gérald Lecarpentier est réaffecté au 403e R.I. Il connaît une « interruption de service du 10 août 1917 au 13 octobre 1919 » (?). Le 14 octobre de cette année, il est envoyé en congé illimité de démobilisation, titulaire d’un certificat de bonne conduite, et se retire au n° 5, rue Saint-Patrice à Bayeux (14).
En mai 1921, Gérald Lecarpentier habite chez ses parents à Cottun (14), où son père est maçon ; lui-même n’est désigné que comme “journalier” chez divers patrons. En novembre suivant, il est domicilié chez M. Cassigneul à Sannerville (14). En mai 1922, il est revenu à Cottun, au hameau Croisette.
Le 15 octobre 1921, à Cairon-le-Vieux (14), il se marie avec Héloïse Ernestine Marie Paris, née le 16 août 1900, dans cette commune. Leur fille Lucienne Éloïse Marie y naît le 31 juillet 1922. Le 31 octobre 1923, son fils Gérald naît à Tour-en-Bessin (14), puis son fils René, le 26 mars 1925. Et, jusqu’en 1926, la famille habite au lieu dit Saint-Anne ; le père de famille est toujours journalier chez divers employeurs. En novembre suivant, ils sont à Vienne-en-Bessin (14), où naissent Andrée Émilie, le 11 mars 1927, et Gustave Charles, le 16 octobre 1930. Puis ils déménagent pour le petit village de Vaucelles, près de Bayeux, dans le quartier de l’église (14). En 1936, leur fille Lucienne, 14 ans, ne vit plus avec eux. Par contre, la mère de Gérald, Maria Thomassin, est leur voisine.
En novembre 1938 et jusqu’au moment de son arrestation, Gérald Lecarpentier est domicilié au 20, rue Saint-Patrice à Bayeux (14).
Gérald Lecarpentier est maçon.
Le 2 septembre 1939, il est rappelé à l’activité militaire, classé dans l’affectation spéciale comme manœuvre à l’atelier de fabrication de Caen. Mobilisé jusqu’au 17 novembre, il est rayé de l’affectation spéciale le 27 décembre suivant.Dans la nuit du 1er au 2 mai 1942, il est arrêté à son domicile par la police française. Figurant comme “communiste” sur une liste d’arrestations demandées par la Feldkommandantur 723 de Caen, à la suite du déraillement de Moult-Argences (Airan) [1], il est conduit à la gendarmerie avec 17 autres habitants de la ville (selon le Comité local de Libération).
Le 3 mai, remis aux autorités d’occupation, il est conduit au “petit lycée” de Caen où sont rassemblés les otages du Calvados. Le 4 mai au soir, il fait partie du groupe de détenus conduits à la gare de marchandises de Caen pour être transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Ils y arrivent le lendemain, 5 mai en soirée.
Entre fin avril et fin juin 1942, Gérald Lecarpentier est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Gérald Lecarpentier est enregistré à Auschwitz, peut-être sous le numéro 45746, selon les listes reconstituées (la photo d’immatriculation correspondant à ce matricule n’a été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Gérald Lecarpentier.
Il meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à l’intérieur du camp au cours de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement gazés [2]).
En juillet 1945, ayant appris le retour d’André Montagne, de Caen, le Comité de libération de Bayeux le sollicite pour connaître le sort de (Gérald) Lecarpentier et celui de six autres Bayeusains (dont aucun n’est revenu).
Le nom de Gérald Lecarpentier est gravé sur le monument aux déportés et fusillés de Bayeux, apposé sur l’ancien évêché, rue Larchet.
Il est reconnu comme Déporté Résistant.
Le 26 août 1987, à Caen, suite aux démarches de David Badache, rescapé caennais du convoi (matr. 46267), est inaugurée une stèle apposée par la municipalité sur la façade de l’ex-Petit Lycée, côté esplanade Jean-Marie Louvel, en hommage aux otages déportés le 6 juillet 1942.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 23-03-1994).
Le nom de Gérald Lecarpentier est inscrit sur la plaque commémorative dévoilée le 19 décembre 2008 sur le pignon de l’ex-Petit Lycée de Caen, côté avenue Albert Sorel, afin de rendre hommage à tous les otages calvadosiens déportés suite à la répression de mai 1942.
Notes :
[1] Le double déraillement d’Airan et les otages du Calvados : Dans la nuit du 15 au 16 avril 1942, le train quotidien Maastricht-Cherbourg transportant des permissionnaires de la Wehrmacht déraille à 17 kilomètres de Caen, à l’est de la gare de Moult-Argence, à la hauteur du village d’Airan, suite au déboulonnement d’un rail par un groupe de résistance. On compte 28 morts et 19 blessés allemands.
L’armée d’occupation met en œuvre des mesures de représailles importantes, prévoyant des exécutions massives d’otages et des déportations. Le préfet du Calvados obtient un sursis en attendant les conclusions de l’enquête de police. Mais, faute de résultats, 24 otages choisis comme Juifs et/ou communistes sont fusillés le 30 avril, dont deux à Caen.
Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, un deuxième déraillement a lieu, au même endroit et par le même procédé. Un rapport allemand signale 10 morts et 22 blessés parmi les soldats. Ces deux déraillements sont au nombre des actions les plus meurtrières commises en France contre l’armée d’occupation.
Au soir de l’attentat – à partir de listes de communistes et de juifs (130 noms sur le département) transmises au préfet par le Feldkommandant – commence une vague d’arrestations, opérées par la police et la gendarmerie françaises avec quelques Feldgendarmes. Dans la nuit du 1er au 2 mai et le jour suivant, 84 hommes au moins sont arrêtés dans le Calvados et conduits en différents lieux de détention. Pour le commandement militaire allemand, ceux qui sont maintenu en détention ont le statut d’otage. Tous les hommes désignés n’ayant pu être arrêtés, une autre vague d’arrestations, moins importante, a lieu les 7 et 8 mai. Le préfet ayant cette fois-ci refusé son concours, ces arrestations d’otages sont essentiellement opérées par la Wehrmacht.
Au total plus de la moitié des détenus sont, ou ont été, adhérents du Parti communiste. Un quart est désigné comme Juif (la qualité de résistant de certains n’est pas connue ou privilégiée par les autorités). Des auteurs d’actes patriotiques, proches du gaullisme, sont également touchés par la deuxième série d’arrestations.
Tous passent par le “petit lycée”, contigu à l’ancien lycée Malherbe de Caen, alors siège de la Feldkommandantur 723 (devenu depuis Hôtel de Ville), où ils sont rapidement interrogés.
Le 4 mai, 48 détenus arrêtés dans la première rafle sont transférés en train au camp de police allemande de Compiègne-Royallieu ; puis d’autres, moins nombreux, jusqu’au 9 mai (19 ce jour-là).
Les 8 et 9 mai, 28 otages communistes sont fusillés au fort du Mont-Valérien, sur la commune de Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine), pour la plupart (trois à Caen). Le 14 mai, onze otages communistes sont encore fusillés à Caen.
La plus grande partie des otages du Calvados transférés à Compiègne sera déportée à Auschwitz le 6 juillet 1942 : 57 politiques et 23 Juifs (près de la moitié des otages juifs du convoi).
[2] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.
Sources :
De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, page 91, notice de Claudine Cardon-Hamet page 121.
Cl. Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 74 et 75, 150 et 153, 360 et 410.
Jean Quellien (1992), sur le site non officiel de Beaucoudray, peut-être extrait de son livre Résistance et sabotages en Normandie, éditions Corlet.
Archives départementales du Calvados, archives en ligne : état civil de Sainte-Honorine-des-Pertes, registre N.M.D. 1867-1896, année 1895, en marge de l’acte n° 3 (vue 510/545) ; registre N.M.D. 1897-1912, année 1900, acte n° 6, jugement du tribunal administratif de Bayeux réparant un oubli d’enregistrement (vues 62-64/289) ; registre matricule du recrutement militaire pour l’année 1915, bureau de Caen, n° 1-500, matricule 385 (vues 602/775).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 158 (31792/1942), orthographié « Carpentier Le, Gerald ».
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 5-11-2024)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.