JPEG - 77.1 ko
Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz. 
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Édouard, Hippolyte, Georges, Lechevalier naît le 14 janvier 1889 à Nantes (Loire-Atlantique – 44), chez ses parents, Édouard, Hyacinthe, Lechevalier, 36 ans, employé au chemin de fer, et Marie Marion, son épouse, 29 ans, domiciliés boulevard Victor Hugo.

Le 17 juin 1915, Édouard Lechevalier est embauché par une compagnie de chemin de fer qui fusionnera avec d’autres au sein de la SNCF début 1938 [1].

Militant communiste très connu, Édouard Lechevalier est secrétaire de la Section communiste de Cherbourg (Manche – 50) dès 1921 et élu la même année au premier Comité fédéral du Parti communiste de la Manche, et réélu en 1923.

Son activité politique lui vaut d’être inscrit au “carnet B” [2] par la Préfecture.

Cheminot “démissionnaire” (ou plutôt révoqué, pense l’auteur de la notice du “Maitron”), il travaille comme ouvrier serrurier aux usines Schneider de Cherbourg. Il devient secrétaire du Syndicat des Métaux de Cherbourg et est réélu en 1923 et en 1924.

Il est réintégré à la SNCF, comme ajusteur, au dépôt d’Achères (Yvelines – 78). En 1926, il est administrateur de la Caisse des Écoles d’Achères et devient conseiller municipal communiste en 1927. Élu Maire en 1929, il doit abandonner son mandat le 4 novembre 1930, pour divergences qualifiées de “déviationnisme” avec son parti (PC). À sa demande, il est muté à Cherbourg.

Au moment de son arrestation, Édouard Lechevalier est domicilié rue Laurent-Simon à Cherbourg. Il est célibataire, sans enfant.

Il est alors aide-monteur au dépôt SNCF de Cherbourg.

En février 1931, il est secrétaire de l’Union Locale CGT, mais doit démissionner pour raisons de santé en mars 1933, laissant sa fonction à Charles Mauger d’Octeville, qui sera déporté à Auschwitz avec lui.

Le Parti communiste le présente aux élections législatives en 1932 et 1936 et aux cantonales de 1934. Il devient l’un des principaux dirigeants CGT de la Manche, constamment réélu à la quasi-unanimité à la Commission administrative de l’Union locale, dont il devient secrétaire-adjoint pour 1938 et 1939.

Édouard Lechevalier est arrêté le 23 juin 1941, à son domicile, lors de la vague d’arrestation décidée par l’occupant au début de la guerre contre l’URSS [3] et incarcéré à la prison maritime de Cherbourg. Il est probablement transféré très rapidement au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise-60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le 28 octobre, son nom figure sur une liste de dix-huit otages établie par la Felkommandantur 722 de Saint-Lô.

Entre fin avril et fin juin 1942, Édouard Lechevalier est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

JPEG - 128.9 ko

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Édouard Lechevalier est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45747 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés au travail dans différentsKommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – la moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir. Aucun document ni témoignage publié à ce jour ne permet de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a été affecté Édouard Lechevalier.

Il meurt à Auschwitz le 31 juillet 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp ; trois semaines après l’arrivée de son convoi.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 23-03-1994).

Sources :

- Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron. 
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 366 et 410. 
- De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’associationMémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, notice par Cl. Caron-Hamet page 129. 
- Archives de la Ville de de Nantes, site internet : registre des naissances du 4e canton, année 1889, acte n° 29, vue 6/133. 
- Mémorial de la Shoah, Paris, site internet, Archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; doc. XLIII-22. 
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 701 (17735/1942). 
- Base de données des archives historiques SNCF ; service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne (en 1947), de A à Q (cote 0110LM0108).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 2-04-2013)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] La SNCF : Société nationale des chemins de fer français. À sa création, suite à une convention validée par le décret-loi du 31 août 1937, c’est une société anonyme d’économie mixte, créée pour une durée de 45 ans, dont l’État possède 51 % du capital.

[2] Le carnet B :

Dès sa création, à partir d’une instruction secrète de novembre 1912 visant le recensement des éléments antimilitaristes pour les neutraliser, il permet d’inscrire des personnes définies comme dangereuses pour l’ordre public (notamment les militants anarchistes). Après 1918, il liste les suspects français et étrangers susceptibles de divulguer aux puissances ennemies des renseignements concernant la défense nationale.

Révisé le 10 février 1922, selon les vœux du ministre de l’Intérieur, le carnet B vise également “certains individus notoirement acquis aux idées extrémistes », susceptibles d’entretenir des troubles violents par une propagande qui porte à « l’action directe ». Certains communistes et syndicalistes révolutionnaires répondent à ces critères. Un répertoire général est donc tenu au ministère de l’Intérieur, à partir du duplicata d’un folio mobile et d’une notice individuelle envoyés par les autorités préfectorales ou militaires. L’individu suspect se retrouve en fiche dans chaque brigade de gendarmerie et dans chaque préfecture dont dépend son domicile, ainsi que dans chaque état-major de corps d’armée dont dépend son affectation. Ces folios mobiles, transmis entre les différents centres de gendarmeries doivent permettre de suivre ses déplacements sans que l’intéressé en soit informé. Ordonnées par les préfets et les généraux commandant les corps d’armée qui doivent suivre “personnellement” l’examen des dossiers, les inscriptions au carnet B sont soumises, en cas de différend entre les deux parties civile et militaire, à la responsabilité commune des ministres de la Guerre et de l’Intérieur. Sur proposition des autorités compétentes, et après acceptation du ministre de l’Intérieur, le carnet B peut faire l’objet de révisions en ce qui concerne les individus qui se sont amendés ou n’étant plus susceptibles de fomenter ni d’exercer une action révolutionnaire à titre individuel ou collectif. Révision également nécessaire pour rayer les inscrits qui sont décédés, disparus ou partis dans d’autres pays depuis plus de deux ans.

L’article 10 du code d’instruction criminelle qui fonde la légalité d’un tel carnet donne au préfet toutes les attributions de police judiciaire du juge d’instruction, notamment le droit de faire des perquisitions et de remplir les formulaires de mandats de perquisition et d’amener. Une inscription au carnet B , signifiait que l’individu pouvait être mis en état d’arrestation, sur une simple décision du préfet remplissant un formulaire en blanc préalablement annexé à son dossier individuel. Même dans la période du Front populaire, le carnet B a vu l’inscription de grévistes : Maria Iverlend a été inscrite dans celui de la Somme, le 1er octobre 1936, avec comme motif : « extrémiste militante depuis de longues années. A pris une part très active dans la conduite du mouvement de grèves et occupation des usines juin-août 1936. Violente et exaltée. »

Traitées à part, les listes de personnes surveillées par les renseignements généraux dépassaient largement le nombre de celles inscrites au carnet B.

Dans son livre, Treff Lutetia Paris, Oskar Reile, major en 1940 dans le groupe de recherche du contre-espionnage de l’Abwehr, raconte comment le capitaine Wiegand, à la fin du mois de juin 1940, a « trouvé dans les locaux, 11 rue des Saussaies à Paris les archives et fichiers parfaitement en ordre de la Sûreté nationale ». En janvier 1943, sous l’impulsion d’Oberg, les archives du ministère de l’Intérieur seront déplacées à la Wilhem-strasse, à Berlin. Deux bureaux de la Gestapo recevront la mission de traiter les informations du fichier central concernant les individus pour l’un, les associations et les partis politiques pour l’autre. En 1945, les archives de la Sûreté nationale seront sous contrôle soviétique (restituées en 1992 au gouvernement français).

En l’état actuel des connaissances, à défaut de listes précises, il semble impossible de reconstituer le nombre des individus ayant été inscrits au carnet B ainsi que de connaître l’utilisation qu’en ont fait à la déclaration de guerre, les autorités françaises et après la défaite de 1940 son incidence sur le contrôle allemand de la population française et étrangère.

Le carnet B a été abrogé le 18 juillet 1947.

D’après Jean-Pierre Deschodt, Le carnet B après 1918, RIHM n° 82, Commission Française d’Histoire Militaire, en ligne sur le site de l’Institut de Stratégie et des Conflits – Commission Française d’Histoire Militaire.

[3] L’ “Aktion Theoderich :

L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est défini le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre.

Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht.

Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font déjà partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.