Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Raymond, Hervé, Legrand, naît le 22 décembre 1900 à Paris 14e arrondissement – à la maternité de Port-Royal – fils de Marie Legrand, 25 ans, lingère, domiciliée au 9, passage de l’Industrie, et de « père non dénommé ». Il semble avoir une sœur ou une cousine, « L. », née vers 1891 (à vérifier…).

Raymond Legrand poursuit des études secondaires.

En 1919, après la fin de la guerre, il s’engage dans l’armée pour trois ans. Affecté au 58e régiment d’infanterie, il devient sergent sur une auto-mitrailleuse (il est titulaire du permis de conduire).

Démobilisé, Raymond Legrand trouve un emploi de comptable dans une entreprise de 35 employés, installée au 27, rue Lafitte à Paris.

Entre 1924 et 1927, il est adhérent à la CGTU.

À partir du 12 décembre 1927, il loge au 39, boulevard Ornano (Paris 18e).

En 1928, il est comptable chez un marchand de pneumatiques rue d’Amsterdam à Paris 9e. Il est alors membre de la Chambre syndicale unitaire des comptables, teneurs de livres et employés aux écritures de la Seine.

Cette même année, il est également membre du 8e rayon de la région parisienne du Parti communiste.

Le 5 août, à Ivry-sur-Seine, il est appréhendé lors d’une manifestation de rue organisée par la section locale du PC, puis relâché après vérification de domicile, sans aucune suite judiciaire.

À l’automne 1934, il habite au 66, rue du Vertbois (Paris 3e). Il est célibataire.

En 1928, il commence à s’intéresser à la politique du Parti communiste. Pendant un temps, il appartient à l’Union socialiste républicaine, qu’il quitte lors de l’avènement du Front Populaire en 1936 (?). Participant aux grèves et aux manifestations, il adhère en Parti communiste en juillet, inscrit à la cellule 301, peut-être par l’entremise d’André Mercier, député de Paris et désigné comme un ami. Raymond Legrand est membre du bureau de sa cellule pendant cinq mois. Pendant un mois, il suit les cours de l’école des cadres organisée par la section communiste du 3e arrondissement.

En novembre 1936, Raymond Legrand s’engage – au titre du PC – dans les Brigades internationales pour défendre la République espagnole contre la rébellion du général Franco soutenue militairement par Hitler et Mussolini. Chef de peloton au sein de la 14e brigade – dans la 2e compagnie de mitrailleuses ? -, Raymond Legrand participe aux batailles de Grenade, Cordoue. Le 2 décembre, il rentre en France en permission.

Il est de retour en Espagne pour participer aux combats dans le secteur de Caspe, sur la rive droite de l’Ebre (16-17 mars 1938), lors de l’offensive d’Aragon menée par l’armée “nationaliste”. C’est probablement lors de cette dernière bataille qu’il est blessé « à la face » : le 28 mai 1938, il signe une biographie de militant depuis l’hôpital de Vic, ville située entre Barcelone et la frontière. Le 1er juillet suivant, il est secrétaire général de la « troyka » de la caserne du camp de « récupération » d’Olot, ville encore plus proche de la frontière et où a été évacué la base des brigades internationales. Il y est également chargé de l’« agit-prop » radio.

En 1937, il a adhéré au Secours rouge international à Demia et, en janvier 1938, au Parti communiste espagnol.

Le 21 septembre 1938, le gouvernement républicain de Juan Negrín se soumet à la décision de la Société des Nations et dissout les Brigades internationales. Deux jours plus tard, les brigadistes livrent leur dernier combat. Ils sont ensuite progressivement regroupés : le 27 octobre 1938, les volontaires des armées du Centre et du Levant sont rassemblés à Valence, tandis que ceux qui sont engagés en Catalogne sont réunis à Barcelone.

Considéré comme un « bon antifasciste », Raymond Legrand est rapatrié en France en octobre 1938 ; il se rend alors au 16, de la rue de Notre-Dame-de-Nazareth à Paris 3e.

Insigne de l’Association des volontaires pour l’Espagne républicaine, ayant appartenu à Christophe Le Meur. Produit entre la mi-1938 et la mi-1939. Coll. André Le Breton.

Insigne de l’Association des volontaires
pour l’Espagne républicaine,
ayant appartenu à Christophe Le Meur.
Produit entre la mi-1938 et la mi-1939.
Coll. André Le Breton.

Le 26 juillet 1939, il dépose au Parquet du tribunal de 1ère instance de la Seine une déclaration de son intention de publier un hebdomadaire intitulé Catalunya (La Catalogne). Il déclare alors travailler comme chauffeur.

Le 24 décembre 1941, peu après 6 heures du matin, dans le cadre d’une vague d’arrestations organisées par la police française contre 33 anciens membres des brigades internationales (dont Jean Cazorla, Maurice Fontès…) en application du décret du 8 novembre 1939, Raymond Legrand est arrêté à son domicile par des agents du commissariat des Arts et Métiers. Deux jours plus tard, il est interné administrativement à la caserne des Tourelles, 141 boulevard Mortier (Paris 20e).

La caserne des Tourelles, boulevard Mortier, avant guerre. Partagée avec l’armée allemande au début de l’occupation, elle servit surtout à interner les « indésirables étrangers ». Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne des Tourelles, boulevard Mortier, avant guerre.
Partagée avec l’armée allemande au début de l’occupation, elle servit surtout à interner les « indésirables étrangers ».
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 5 mai 1942, Raymond Legrand fait partie des 24 internés des Tourelles, pour moitié anciens Brigadistes, que vient chercher une escorte de Feldgendarmes afin de les conduire à la gare du Nord, où ils rejoignent 13 communistes extraits du dépôt et 14 « internés administratifs de la police judiciaire ». Un train amène tous les détenus au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Raymond Legrand est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45771 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Raymond Legrand est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Pendant un temps, il est assigné au Block 16 avec d’autres “45000”.

Raymond Legrand meurt à Auschwitz le 1er septembre 1942 selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), qui indique pour cause mensongère de sa mort « insuffisance (du muscle) cardiaque » (Herzmuskelinsuffizienz).

En France, après le retour des premiers déportés, il est porté « disparu » pendant un certain temps.

Raymond Legrand est homologué comme “Déporté politique”.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 21-06-1994).

Une plaque honore sa mémoire au cimetière du Père-Lachaise, ainsi que sur l’immeuble où il a habité, au 66 rue du Vertbois.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 370 et 411.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen.
- Archives de Paris, site internet, archives en ligne : registre des naissances du 14e arrondissement à la date du 25-12-1900 (V4E 9770), acte n° 10416 (vue 23/28).
- Dossiers des brigades internationales dans les archives du Komintern, fonds du Centre russe pour la conservation des archives en histoire politique et sociale (RGASPI), Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC), campus de l’Université de Paris X-Nanterre, microfilms acquis par la BDIC et l’AVER-ACER, bobines cotes Mfm 880/22 (545.6.1275), 880/48 (545.2.290).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, internés dans différents camps… (BA 1837) ; dossier individuel au cabinet du préfet (1 W 978-45964).
- François Tanniou, sur le site Plaques Commémoratives (aujourd’hui désactivé), citant : Ministère de la Défense, bureau Résistance.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 705.
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Service d’information sur les anciens détenus (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; registre du Block 16.
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : copies de pages du Sterbebücher provenant du Musée d’Auschwitz et transmises au ministères des ACVG par le Service international de recherches à Arolsen à partir du 14 février 1967, carton de L à R (26 p 842), acte n° 26651/1942.
- Philippe Apeloig, Enfants de Paris, 1939-1945, éditions Gallimard, 2018, page 143 : photo de la plaque commémorative.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 14-02-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.